FMJ Mtl4e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – C
Frère Antoine-Emmanuel
Jr 1, 4-5, 17-19 ; Ps 70 ; 1 Co 12,31 – 13,13 ; Lc 4, 21-30
31 janvier 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Qui donc est comme Toi ?

« Cette parole de l’Écriture que vous venez d’entendre,
c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ! »  (Lc 4, 21)

La première réaction de l’assemblée aux paroles de Jésus
est la surprise, la stupeur.
Mais très vite tous commencent à se scandaliser ;
c’est impossible que cet homme que nous connaissons bien
soit à la hauteur de ce qu’il proclame :
« Médecin, guéris-toi toi-même ! » (4,23)
Si tu es le médecin de l’humanité que tu prétends être,
fais-nous le donc voir ici !

Cette ironie, va alors tourner à la colère,
à la colère de toute l’assemblée.
Pourquoi ?
Parce que Jésus en quelques mots
démasque leur péché,
démasque leur dureté de cœur,
leur refus d’accueillir Dieu, d’accueillir sa Parole,
exactement comme cela se produisit
au temps d’Élie ou d’Élisée
où le cœur d’Israël était tellement épais et fermé
que Dieu dût envoyer ses prophètes
non pas en Israël,
mais parmi les païens.

*

La colère, la fureur gagne alors toute l’assemblée.
Il nous faut, frères et sœur, regarder cette scène :
tous se lèvent pour mettre Jésus dehors
et pour aller le jeter du haut d’un précipice
pour ne plus jamais entendre parler de lui.

Et nous, et toi …
Est-ce que tu te serais levé toi aussi ?

Sommes-nous si différents
des fidèles de la synagogue de Nazareth ?
N’avons-nous jamais eu de colère contre Dieu ?

De fait, la colère contre Dieu
bouillonne dans le cœur de l’homme.
Et ce n’est pas d’hier.
Le Premier Testament la met au jour progressivement.
Plus le Christ se fait proche, plus la colère jaillit.

Pensons à celui qui est sans doute
la figure du Christ prophète et souffrant la plus marquante : Jérémie.
Les habitants de son village, Anatot, ne mâchent pas leurs mots :
« Tu ne prophétiseras pas au nom du Seigneur,
sinon tu mourras de notre main ! (Jr 11,21) »
Et Jérémie de se tourner vers Dieu en criant :
« Tout le monde me maudit (15,10) ».

« La Parole de Dieu, dit-il encore, a été pour moi
source d’opprobre et de moquerie tout le jour » (20,8).

Colère contre Dieu.
Colère contre Dieu quand il dévoile notre péché.
Quand il s’occupe de ce qui ne le regarde pas, pensons-nous,
mais qui en réalité le regarde très directement.
Colère et rage qui éclate aujourd’hui à Nazareth,
et demain dans une autre synagogue
quand Jésus guérira l’homme à la main desséchée :
les scribes et les pharisiens furent remplis de rage (Lc 6,11).

Colère contre les apôtres :
(les membres du sanhédrin) frémissaient de rage
et projetaient de les faire mourir (Ac 5,33).
Colère contre Étienne :
leurs cœurs frémissaient de rage
et ils grinçaient les dents contre Étienne (Ac 7,54).

Oui, les nations se sont mises en fureur
comme le proclame l’Apocalypse
à la suite du Psaume 2 (Ap 11, 18).
L’Apocalypse qui ne nous cache pas que vaincu par l’Agneau,
le diable est descendu chez vous frémissant de colère
sachant que ses jours sont comptés (Ap 12,12).

Colère contre Dieu quand il dévoile notre péché,
mais aussi colère contre Dieu parce qu’il fait miséricorde.
C’est la colère de Jonas qui dit à Dieu
qu’il a bien raison d’être fâché à mort (Jon 4,9) :
« Je savais en effet que tu es un Dieu de pitié et de tendresse,
lent à la colère, riche en grâce et te repentant du mal » (4,2).
C’est la colère du fils aîné de la parabole
qui refuse d’entrer dans la Miséricorde (cf. Lc 15,28).

*

Frères et sœurs cette colère n’est-elle pas en nous aussi ?
Comme un bouillonnement intérieur contre Dieu, contre sa Parole
quand elle nous fait toucher notre nudité adamique ?

Combien de bibles ont fait des vols planés
y compris dans des cellules de moines ?
Combien de messes dominicales ont été désertées
par rancune contre Dieu ?

*

Comment Dieu réagit-il ?
Comment Dieu répond-il à nos colères ?
Est-ce qu’il réagit à la manière de Jacques et de Jean,
les fils du tonnerre, qui voulaient
faire descendre la foudre sur les samaritains ? (cf. Lc 9, 54)
Non !
Jésus ne fait pas descendre la foudre sur Nazareth
comme il n’appellera pas de légions d’anges à Jérusalem
à l’heure de sa Passion.
Jésus consent à la colère des siens.
Il l’a même éveillée pour qu’elle ne reste pas
à ronger secrètement le cœur de ceux qu’il aime.

Jésus prend sur lui la violence de l’homme contre Dieu,
contre l’Amour.
Puis, nous dit saint Luc,
passant au milieu d’eux chargé de leur colère,
il va son chemin… (Lc 4,30)

La colère s’abat sur Lui,
Elle s’abattra sur Lui jusqu’à l’horreur,
jusqu’à la malédiction extrême de la croix.
La colère semblera même avoir le dernier mot
L’Amour paraîtra anéanti.

Mais l’Amour est vainqueur justement parce qu’il s’est anéanti.

La tendresse de Dieu est plus forte que toutes nos rages.
Il se passe ceci d’extraordinaire :
la miséricorde de Dieu étreint l’homme en colère,
alors la colère se déchaîne
et en même temps s’y éteint.
Les flots de nos colères se perdent dans l’amour de Dieu.
Et pas seulement une fois, mais tant et tant de fois.

Car l’amour que Dieu a pour nous prend patience.
L’Amour de Dieu ne s’emporte pas,
l’Amour que Dieu a pour moi n’entretient pas de rancune,
il ne se réjouit pas de ce qui est mal,
sons amour pour nous supporte tout,
espère tout, endure tout (cf. 1 Co 13, 4-7).
Et il ne passera jamais (13,8).

S’il se tait, s’il se cache parfois,
c’est pour laisser la colère sortir du cœur de l’homme
afin de nous en guérir plus profondément.

Car c’est même de la moindre petite amertume
logée au fond de notre cœur que le Seigneur nous guérira,
ici-bas ou dans la flamme d’amour du purgatoire.

*

Frères et sœurs, il nous faut entendre cela,
il nous faut reconnaître ce grand dessein d’amour de Dieu
qui en Jésus est venu
chercher et sauver ce qui était perdu (Lc 19,10).

Souvent, nous avons peur d’être vaincus par notre propre péché
dont nous voyons bien qu’il surgit et resurgit jusqu’à nous épuiser.
Or, c’est de cette peur, c’est de ce défaitisme,
que le Seigneur veut aujourd’hui nous délivrer.
Il nous annonce la victoire de l’Amour.

L’hymne à la charité que nous avons entendu
n’est pas un manifeste d’un idéal inaccessible :
il est une promesse, une annonciation.
Oui, cet amour est possible !
Oui, cet amour t’habite déjà !
Car de cet amour qui excuse tout,
croit tout, espère tout et supporte tout, (cf. 1 Cor 13,7)
de cet amour nous sommes aimés !
Il est en nous !

La charité de Dieu est en nous !
Nous pouvons sans cesse y tremper notre colère
pour que l’énergie de la colère
soit retournée en énergie d’amour.
La vitalité de la colère est en réalité belle et bonne,
elle vient de Dieu,
mais elle a été désorientée.
Jésus vient la réorienter dans le sens de l’amour,
de l’amour fou qui est notre vraie identité, notre vraie vocation.

*

Seigneur Jésus, à Nazareth, tu as traversé la foule,
pour continuer ta route,
pour aller, chargé de notre colère,
traverser la mort afin de nous ouvrir le chemin de l’amour.
Nous te bénissons car toujours
Tu changeras nos deuils en une danse, (cf. Ps 30(29), 12).
Tu changeras nos colères en passion d’amour.
Qui donc est comme toi ?
tu seras ma louange, toujours ! (cf. Ps 70(71), 19)

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