FMJ Mtl32e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – B
Frère Antoine-Emmanuel
1 R 17, 10-16 ; Ps 145 ; Hé 9, 24-28 ; Mc 12, 38-44
8 novembre 2015
Sanctuaire du Saint Sacrement, Montréal

Comment survivre ? Comment vivre ?

Nous faisons route ce matin avec le prophète Élie.
Élie vient de faire l’expérience de la Providence de Dieu
au bord du torrent du Kérith dont il buvait l’eau quotidiennement.
Mais la sécheresse dure et le torrent s’assèche…
plus une goutte d’eau.
Le Seigneur qui prend soin du prophète
l’envoie alors dans un lieu tout à fait inattendu :
en terre païenne, dans l’actuel Liban, à Sarepta.
Là, il sera nourri par une personne que Dieu a choisie pour cela.

On imagine alors que Dieu va choisir une personne riche, nantie,
dont les réserves abondantes permettront de survivre à la famine
et de nourrir Élie.

Mais tel n’est pas le choix de Dieu.
À qui le Seigneur demande-t-il de ravitailler Élie ?
À une veuve pauvre. Très pauvre.
Une femme qui ne possède plus qu’un fond d’huile
et une poignée de farine pour se nourrir et nourrir son jeune fils.
Autrement dit, une femme qui est à la veille de mourir.
« Quand j’aurai ramassé quelques morceaux de bois,
je rentrerai et préparerai (quelques galettes)
pour moi et pour mon fils ;
nous les mangerons et puis nous mourrons » (1 R 17,12).

Comment Dieu peut-il choisir cette femme
qui est à toute extrémité pour nourrir Élie ?
Comment ? Pourquoi ?

« J’ai ordonné à une femme, une veuve, de te ravitailler »
dit clairement le Seigneur.

Comment Dieu peut-Il ordonner à celle qui n’a rien
de nourrir une autre personne ?
Seigneur, frappe donc à une autre porte !
Pourquoi demander à cette femme
dont le cœur est déjà déchiré par la mort de son mari,
par la famine, par l’imminence de sa mort,
et surtout par l’imminence de la mort de son enfant ?

« Ne crains pas !
Avec ce que tu as, fais-moi d’abord une petite galette
et tu me l’apporteras – dit le prophète Élie.
Tu en feras ensuite pour toi et pour ton fils.
Car ainsi parle le Seigneur, le Dieu d’Israël.
Cruche de farine ne se videra,
jarre d’huile ne se désemplira
jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie
à la surface du sol » (1 R 17, 13-14).

Frères et sœurs,
pourquoi le Seigneur demande-t-Il
à la femme la plus pauvre de nourrir son envoyé ?
Pour la sauver !
Pour la combler !
Pour qu’elle et son fils survivent à la sécheresse,
pour qu’ils vivent.

Dieu demande beaucoup…
Dieu demande trop, dirons-nous.
Mais Il ne demande beaucoup
que pour déployer pour nous les richesses de sa Providence,
les richesses de son Cœur.

Cela une autre femme l’a compris.
Une veuve elle aussi.
Une veuve à toute extrémité, elle aussi.
Une veuve qui a compris le Cœur de Dieu.

Elle n’a plus rien sinon un quart de sou,
soit deux piécettes, deux liards,
la plus petite monnaie de l’époque.
C’est tout ce qu’elle a, rien d’autre.

Comment survivre ?
Comment vivre ?
En donnant tout à Dieu.

Je ne vivrai que si je donne à Dieu tout ce que j’ai pour vivre.

Tout ce qui me fait vivre, Seigneur, je Te le donne.
Parce que Toi seul Tu peux me donner la vraie Vie.
« Cette femme à cause de son extrême pauvreté
aurait pu offrir une seule piécette pour le Temple
et garder l’autre piécette pour elle.
Mais elle ne veut pas faire les choses à moitié pour Dieu :
elle se prive de tout.
Dans sa pauvreté, elle a compris qu’en ayant Dieu, elle a tout.
Elle se sent aimée pleinement par Dieu
et à son tour, elle L’aime pleinement.
(Pape François – Angélus 8-11-2015)

Cette femme a compris qu’il n’y a pas d’indifférence en Dieu ;
elle a compris que Dieu n’abandonne jamais son enfant.
Et elle investit tout ce qu’elle a
dans le meilleur investissement qui soit : le Cœur de Dieu.

Jésus a été bouleversé par cette femme,
au point de la donner en exemple à ses disciples.
Jésus a reconnu en elle l’amour de Dieu
qui fleurit dans la pauvreté du cœur éprouvé par la vie.

L’épreuve aurait pu déchaîner en elle la colère, la haine de Dieu.
Non ! L’épreuve a déployé en elle une confiance folle en Dieu.

Qui sait si Jésus en son humanité, n’a pas été encouragé,
consolé par le témoignage de cette femme ?

Car c’est sur le même chemin que Jésus avançait.
Celui du don total.
Jésus était à la veille de donner, Lui aussi,
tout ce qu’Il avait pour vivre.
Mais d’une manière infiniment plus exigeante,
follement exigeante.

Il n’a pas donné seulement sa dernière galette
comme la veuve de Sarepta.
Il n’a pas donné seulement ses dernières piécettes
comme la veuve du Temple.
Jésus a donné son Être même.
Il S’est laissé dépouiller, humilier
et crucifier comme un blasphémateur.
« Mon Dieu, mon Dieu
pourquoi M’as-Tu abandonné ? » (Mt 27,46)

Jésus a consenti à perdre le Père pour nous donner le Père.
Jésus a consenti à être sans le Père pour nous donner le Père.
Jésus a tout donné de ce qu’Il est
pour abolir le péché par son propre sacrifice
avons-nous entendu dans la Lettre aux Hébreux (9,26).

Le Père Lui a tout demandé de ce qu’Il est.
« Je ne peux pas croire en un Dieu
qui fait souffrir son Fils » me disait cette semaine
un ami rencontré dans le métro.

Est-ce un Dieu qui fait souffrir son Fils
ou bien un Père qui demande
à son Fils devenu Homme
d’entrer dans le plus grand Amour,
et cela par amour pour chacun de nous,
pour moi, pour toi…
« Père, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Lc 22,42).

Oui, Dieu demande beaucoup parce qu’Il aime beaucoup
et que son Amour ne s’arrête jamais à une personne.
Il est infiniment large ;
Il embrasse l’humanité entière.

Dieu demande beaucoup pour pouvoir combler la multitude.

Dieu n’est pas en train de se saisir de ta vie par convoitise,
mais Il veut la saisir pour te combler
et combler une multitude d’hommes et de femmes.

Si nous résistons à remettre tout de notre vie
entre les mains de Dieu,
c’est parce que nous oublions la Promesse de vie et de fécondité,
la Promesse d’éternité que Dieu nous a faite.

Il nous veut féconds… mais de sa fécondité.

Tout donner à Dieu : voilà ce à quoi nous sommes appelés
tout au long de notre vie.
Mais aussi dans notre mort.

Et je ne peux pas ne pas citer ici
une lettre de frère Pierre-Marie écrite 7 mois avant sa mort
alors que progressait son triple cancer.

« Comme promis, je te fais parvenir l’homélie
sur la veuve du Temple
qui m’a conduit à méditer sur le don du Christ Jésus
nous donnant Lui-même tout ce qu’Il avait pour vivre.
Mais plus encore sur ce don total et radical
que nous pourrons offrir,
le jour où, scandaleusement, la mort nous enlèvera tout !
Mais ce ne sera pas un scandale injuste ;
mais l’occasion de rendre à un Dieu qui nous a tout donné
ce qu’Il nous a Lui-même donné.
Et, si c’est offert dans l’amour,
ce n’est plus de mort qu’il s’agira, mais d’entrée dans la Vie.

Dès lors, tout change.
« Chaque jour, frères, je meurs »,
peut écrire l’apôtre Paul (1 Co 15,31) (…)
Qu’importe que « l’homme extérieur s’en aille en ruines »,
en effet, si en même temps » l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour ».
(la mort qui devient don de soi total et radical)
Il n’y a que Dieu qui puisse changer cela,
(qui puisse) faire cette transformation en acte de pur amour.
C’est finalement pour nous révéler sa Pâques de Vie
que le Christ est mort pour nous.
Quel beau mystère !
(Lettre inédite de juin 2012)

Frères et sœurs, comme il parle fort le geste silencieux
de la pauvre veuve.
Et toi, et moi…
Tu as donné une piécette déjà.
Veux-tu maintenant donner ton autre piécette ?
Donner tout ?

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