FMJ MtlLe saint Bon Larron – A
Frère Antoine-Emmanuel
Is 1, 16-18 ; Ps 31 ; Lc 23, 39-43
12 octobre 2011
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Dismas, ami des mourants

Les quatre Évangiles sont unanimes :
Jésus n’a pas été exécuté seul.
Trois hommes ont été exécutés ensemble
ce même vendredi au Golgotha.

Jésus a grandi parmi les enfants de Nazareth ;
Jésus a été un parmi d’autres
à s’avancer pour recevoir le baptême de Jean ;
Jésus a été exécuté avec d’autres condamnés.

Seul trait distinctif, une pancarte :
« Celui-ci est le roi des juifs » (Lc 23-38).

Et pourtant c’est vers lui que s’élèvent les cris,
les moqueries, les blasphèmes, les insultes.
Insultes des chefs religieux, des soldats
et, nous disent Matthieu et Marc,
ceux qui étaient en croix avec lui
l’insultaient (Mc 15,32) (cf. Mat 27,44).

Ils sont en croix, dans une souffrance sans nom,
exhibés par le pouvoir romain comme des épouvantails, condamnés pour leurs crimes
et ils insultent leur compagnon d’infortune.

Luc nous rapporte alors une sorte de fissure :
les deux condamnés sont des « lèpsois », des brigands, des truands ;
les deux sont des « kakourgois », des malfaisants, des malfaiteurs ;
les deux sont à l’article de la mort ;
les deux sont à côté de Jésus à l’article de la mort, lui aussi ;
Les deux sont témoins du silence de Jésus
qui ne répond à aucune insulte ;
les deux voient la douceur de Jésus…
mais ils vont s’engager sur deux routes différentes.

*

La douceur de Jésus, son consentement à la faiblesse et à la mort,
provoquent chez l’un des crucifiés la haine, le mépris :
« Tu es le Messie, n’est-ce pas ?
Sauve-Toi Toi-même et nous aussi ! » (Lc 23,39)

Son compagnon lui reproche alors son absence de crainte de Dieu :
« Tu ne crains pas Dieu,
toi qui es sous la même condamnation ? » (v. 40)
En d’autres termes :
Tu veux encore être le dieu de ta vie ?
Tu ne mesures pas ton échec
et tu ne vois pas l’innocence de cet homme ?

Qu’est-ce que Jésus répond à ce premier crucifié qui l’insulte :
rien !
Rien, c’est-à-dire aucune parole audible.
La réponse de Jésus est de prendre sur lui le mal,
la haine, les ténèbres de cet homme
pour qu’au moment de sa mort même
s’ouvre pour lui une espérance,
un passage par le feu qui le mène au Paradis.
S’il y consent.
Sinon il torturera le cœur de Dieu
en choisissant l’enfer
parce que l’Amour de Dieu est si grand, si chaste,
qu’il ne peut ni forcer, ni manipuler la liberté
qu’il a donné à l’homme.

*

De l’autre côté de la Croix de Jésus,
un chemin tout autre s’est ouvert.
La douceur de Jésus, son consentement à la faiblesse et à la mort,
Dismas, puisque la tradition le nomme ainsi,
les a lus comme une révélation.

Cette faiblesse n’est pas un désaveu de Dieu.
Cette faiblesse n’est pas un messianisme avorté.
Cette faiblesse est celle de l’Innocence et de l’Amour.

Dismas dans son extrême faiblesse, celle du malfrat condamné,
se voit rejoint par une présence aimante
et – qui sait ? – par un regard comme il n’en a jamais rencontré.

Les insultes lui semblent ce qu’il y a de plus anachronique.
Son cœur se brise et dans cette brisure de la dernière heure,
l’Esprit Saint fait en lui son chemin
et dépose en son cœur et sur ses lèvres
une prière qui est pure inspiration divine
et qui est désormais sienne :
« Jésus, souviens-Toi de moi
quand Tu viendras dans ton royaume ! » (Lc 23,42)
C’est une prière et c’est une prophétie.
Dans le cœur du plus pauvre,
dans le cœur désormais brisé du grand pécheur,
a jailli la plus extraordinaire confession de foi.

Je te vois crucifié, ensanglanté,
perdu comme un maudit,
mais je reconnais en toi un ami
que je peux appeler par son prénom
comme personne dans l’Évangile ne le fit :
« Jésus » ;
et je confesse que la croix est pour toi
le chemin d’un Règne où tu accueilleras
les pauvres, les petits, les malfaiteurs.

*

Qui dira la joie de Jésus d’entendre
la première confession ?
Et de donner la première absolution ?
« Amen, Je te dis :
Aujourd’hui, avec Moi tu seras dans le Paradis » (23,43).

Le Paradis, c’est le jardin de Dieu ;
c’est le lieu de l’intimité joyeuse avec le Père.
Nous y serons ensemble.
Non pas demain, mais aujourd’hui.
Aujourd’hui, car c’est dans son mourir
que Jésus est glorifié.

*

Parce qu’il a reconnu Dieu dans la faiblesse de la croix
les yeux de Dismas sont prêts pour voir l’Amour,
pour voir l’éternelle faiblesse de Dieu.
Pour lui, point de purification nécessaire.
Mort avec Jésus, il ressuscite avec Jésus.
Et il devient ainsi,
il est devenu,
l’ami des mourants,
leur grand intercesseur.
Et, qui sait ?
Son intercession n’a-t-elle pas préservée
son compagnon du drame de l’enfer ?

Saint Dismas,
saint Bon Larron,
souviens-toi de tous les mourants ;
souviens-toi de nous, pauvres larrons que nous sommes,
maintenant et à l’heure de notre mort.
Amen.

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