FMJ MtlNATIVITÉ DU SEIGNEUR – A
(Messe dans la nuit)
Frère Antoine-Emmanuel
Is 9, 1-6 ; Ps 95 ; Ti 2, 11-14 ; Lc 2, 1-14
24 décembre 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Il ne restera que l’enfance de Dieu

Nous l’avons entendu :
l’Ange vient de trouver quelques bergers pauvres
qui l’écoutent et le croient…

Qui sait si l’Ange n’est pas allé
chez des fins connaisseurs de la Loi, de l’Écriture.
Mais ils étaient trop séduits par leurs travaux
pour prêter l’oreille à du neuf venant de Dieu.

Qui sait si l’Ange ne s’est pas présenté chez le roi
ou chez quelques princes de haute naissance.
Mais ils étaient affairés à leurs richesses,
leurs fêtes, leurs affaires.

Non, l’ange est allé chez des ouvriers de la nuit.
Des gens simples qui ne compliquent pas les affaires,
pécheurs comme les autres,
mais pécheurs avec leurs sabots,
pécheurs reconnaissant leur misère
sans les finesses de ceux qui se justifient.
Des gens qui savent bien que la vie est impossible sans Dieu,
et que le péché est une sale maladie de l’âme
dont personne ne sait nous guérir.

Alors l’ange a pu leur proclamer le message
qu’il avait tant de mal à garder pour lui,
pris d’un tel désir de le communiquer,
de le chanter, de le crier même !
« Ne craignez plus.
Car voici je vous annonce une bonne nouvelle
une grande joie qui sera pour tout le peuple » (Lc 2,10).

Enfin ne plus craindre.
Enfin ne plus vivre dans la peur,
la peur de la vie et la peur de la mort,
la peur de Dieu et la peur de l’absence de Dieu.
« Ne craignez plus ! »

Les bergers n’ont pas répondu :
« Nous t’entendrons là-dessus une autre fois » (Ac 17,32).
Ils savaient bien que la vraie joie,
la grande joie, elle ne peut pas venir des hommes.
Alors, que Dieu l’annonce, que Dieu la promette,
que Dieu la donne, cela les bergers ne le refusent pas ;
et ils se mettent en route pour ne rien manquer
de la Bonne Nouvelle qui peut changer leur vie
de peines et de misères.
« Heureux les pauvres,
le Royaume des Cieux est à eux (Mt 5,3).

Les voici sur les sentiers des environs de Bethléem, en pleine nuit,
pour rejoindre la ville qui fut celle du roi David
et où vient de naître un nouveau roi.

Ils ont la folie de croire
que ce nouveau roi n’est pas né dans un palais
et que son berceau n’est pas fait de rubis et de perles précieuses.
Ils font confiance : l’Enfant qui sauve le monde,
ils vont le trouver dans une mangeoire à orge.

Tout est nuit et Bethléem est endormie ;
et les bergers y cherchent le Sauveur du monde.
Ils le savant : l’Enfant n’est pas dans la salle noble
d’une des maisons du village :
ils savent qu’ils le trouveront dans la salle pauvre,
la dépendance d’une maison,
là où l’on garde volontiers cette richesse
qu’est un âne ou un bœuf.

C’est bien là, dans le grand dénuement,
qu’ils trouvent Marie et Joseph :
un couple qui n’est pas d’ici et le nourrisson
déposé dans la mangeoire comme pour être mangé.

Un nourrisson, un tout petit, frêle, fragile, vêtu de langes.
Il n’y a rien de royal ici ;
les pauvres s’y sentent bien à l’aise.
Il n’y a rien de riche,
rien de puissant, rien d’impressionnant,
mais il y a un Amour brûlant, il y a Dieu.
Dieu dans son enfance.
Dieu devant lequel on fait silence.
Dieu qui ne fait pas peur,
mais que l’on voudrait tout prendre dans les bras.

*

À bien y penser, le contraste est saisissant
entre cette naissance silencieuse du Sauveur du monde,
et l’entreprise démesurée du César de l’époque.

Car l’oppresseur d’Israël, Rome,
vient juste de décréter le premier recensement de toute la Terre.
Projet immense, volonté de puissance sans retenue
de César qui se dit, et que l’on dit « auguste ».
Voici que par le décret d’un empereur,
des milliers de familles humiliées se retrouvent sur les routes
comme des exilés, comme des réfugiés.
Le tout-puissant de la Terre manipule les humains
pour faire ses comptes.
C’est cela l’actualité de ces jours-là.
Le triomphe de Rome qui prétend
recenser toute l’humanité (Lc 2,1).

Mais ce déferlement de toute puissance
n’a pas empêché l’amour de Dieu de se manifester.
Aussi puissant que peut être le mal
en nous et entre nous et contre nous,
Dieu ne renonce pas à ses promesses.
Dieu les accomplit : Il passe en faisant le bien (Ac 10,38),
Il se faufile comme un enfant espiègle,
Il pénètre l’histoire et de l’intérieur, Il la transforme.

Au moment même où César triomphe dans l’actualité,
l’amour de Dieu éclot comme une fleur rebelle
qui fait éclater l’asphalte
pour donne sa beauté et son parfum au grand jour !

Ce que les bergers contemplent de leurs yeux ébahis,
c’est l’Amour qui fait sa grande entrée dans le monde.
Le mal est vaincu de l’intérieur,
sa toute puissance est délogée comme on déloge un usurpateur.

Oui le mal continue à ravager des cœurs, des familles des nations,
mais il se heurte un jour ou l’autre à l’Amour
qui le détruit libérant les âmes qu’il avait prises en otage.
L’Amour, la miséricorde, transforme tout, retourne tout.
Car un enfant nous est né (Is 9,5),
il est né pour nous ;
un fils nous a été donné cette nuit-là.
Non… Il nous est donné cette nuit ;
nous pouvons, si nous y consentons, vivre cette nuit
comme le Premier Noël de l’histoire.
Le don de l’Enfant n’appartient pas au passé
« Hodie, Cristus natus est ».
Aujourd’hui, dans la secret de notre âme
sans nous occuper du regard des autres,
ni même de notre propre regard,
nous pouvons prendre l’Enfant dans nos bras
et goûter cette innocence de Dieu
qui fait vibrer des harmoniques cachées de notre cœur,
là où en nous la soif de Dieu est plus forte que tout.

Certes l’énorme dragon rouge-feu
veut dévorer l’enfant aussitôt né (cf. Ap 12,4)
mais l’Enfant l’a perdu.
Le recensement de César est tombé dans l’oubli ;
le sanguinaire Hérode
et toutes les volontés de puissance de l’histoire
échouent les unes après les autres.

Et au terme, il ne restera que l’enfance de Dieu.
Tout le reste se sera éteint.

*

Frères et sœurs, Noël est un jour merveilleux
pour commencer ou recommencer une vie de foi
main dans la main avec l’Enfant-Dieu
qui nous dit ces mots d’enfants qui traversent les siècles :
« Je suis le Chemin, la Vérité, et la Vie » (Jn 14,6).
« Viens et suis-moi » (Lc 18,22).
Au lieu de nous épuiser
à courir sans cesse, à recenser ce que nous dominons,
comme le César de notre propre vie,
laissons l’Enfant nous apprendre à vivre et à aimer.

Ce soir le regard de l’Enfant, son amour et sa Paix
peuvent nous réconcilier avec notre vie, avec Dieu,
et avec tous.
Il suffit de prendre l’Enfant dans nos bras.

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