Jeudi, 2e Semaine de Carême – C
Frère Antoine-Emmanuel
Jr 17, 5-10 ; Ps 1 ; Lc 16, 19-31
4 mars 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal
Regarde l’abîme que tu as creusé
« Père Abraham, aie pitié de moi !
Envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau
et rafraîchir ma langue,
parce que je suis au supplice dans cette flamme ! » (Lc 16,24)
Cette demande, ce cri,
Abraham ne peut pas l’exaucer.
Parce qu’il y a entre lui et Lazare d’un côté
et le riche et ceux qui partagent son sort de l’autre,
un abîme, un grand gouffre immuable (v. 26).
C’est trop tard.
La traversée est impossible.
Un abîme sépare le riche de Lazare.
Mais n’est-ce pas ce que le riche lui-même
a préparé par sa manière de vivre ?
N’y avait-il pas un abîme infranchissable
qui empêchait Lazare de se nourrir
même des miettes qui tombaient de la table du riche,
c’est-à-dire de la mie de pain
dont les riches se servaient pour se nettoyer les doigts.
Le riche était inaccessible.
Il se protégeait pour jouir de ses biens.
Il se protégeait pour ne pas avoir à partager.
Il creusait un abîme
et cet abîme aujourd’hui se retourne contre lui.
Il avait pourtant Moïse et les prophètes
qui dénonçaient à hauts cris les injustices de toutes sortes,
qui dénonçaient la première des injustices :
celle d’avoir été sauvés par le Dieu d’Israël de la pire misère
et de ne pas prendre soin, en réponse,
de ceux qui sont dans la misère.
Ils avaient Moïse et les prophètes,
mais l’homme riche et religieux est un sourd.
Même si quelqu’un de chez les morts ressuscitait,
ils ne seraient pas convaincus
de ce que l’urgence est de partager.
La seule issue pour ces riches,
la chance de leur vie, pour ne pas dire la grâce,
ce serait qu’ils tombent dans la pauvreté
et qu’ils se fassent des amis avec l’argent trompeur
qui les accueilleront dans les tentes éternelles (cf. Lc 16,9).
Frères et sœurs,
c’est à nous aujourd’hui
que le Seigneur adresse cette parabole.
Regardons bien :
est-ce que nous n’avons pas creusé
même subtilement,
même pieusement,
un abîme autour de nous
pour ne pas être dérangé
pour ne pas avoir à partager ?
Regardons bien quelles sont les richesses
que nous ne voulons pas partager.
Notre temps ?
Notre argent ?
Notre pain ?
Notre toit ?
Mais aussi : notre foi…
Nous aurons à répondre devant Dieu
de ce que nous n’aurons pas voulu partager.
Si nous creusons un abîme pour ne pas partager,
cet abîme sera notre enfer.
Mais, au contraire,
si nous partageons nos richesses
– et d’abord notre foi –
avec le Lazare que le Seigneur a placé près de nous,
c’est par ce Lazare
que nous goûterons la joie du Salut.
Allons jusqu’au bout de cet Évangile.
Quelle est la plus grande richesse ?
C’est l’amour !
Qui est riche ?
Qui est le plus riche ?
C’est Dieu !
Or Dieu a-t-il l’habitude de creuser un abîme
pour ne pas partager son Amour ?
Non !
Au contraire : il crée pour partager !
Il est communion d’Amour
et il crée pour déverser cette communion,
pour partager sa Vie divine.
C’est tout le contraire du riche de l’Évangile
Dieu suscite la vie pour se donner.
C’est cet amour-là qui se reflète
lorsque des époux désirent donner la vie à des enfants.
Ils suscitent la vie, ils la pro-créent
pour pouvoir partager l’amour dont ils vivent !
C’est cet amour-là que nous accueillons tous
quand nous vivons notre foi chrétienne.
Nous entrons dans les mœurs de Dieu.
Notre désir, notre joie est de partager, de donner.
Alors, même le pardon devient notre joie.
Et peut être la plus belle
car le pardon est le bien le plus précieux
que tous nous pouvons donner,
nous pouvons partager.
Et le baptême nous en a rendus capables.
Qu’en ce Carême chacun de nous se dépêche
d’en finir avec les abîmes que nous avons creusés
pour que Pâques soit
une vraie et belle communion dans l’Amour.
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