FMJ MtlSamedi, 2e Semaine du Carême – C
Frère Théophane
Mi 7, 14-15.18-20 ; Ps 102 ; Lc 15, 1-3.11-32
6 mars 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Identité filiale

Frères et sœurs,
nous connaissons bien cette page d’Évangile
si belle et si profonde.

Cette parabole des deux frères et du père miséricordieux,
Jésus la propose aux pharisiens et aux scribes
qui récriminent contre l’accueil plein de bonté
qu’il réserve aux publicains et aux pécheurs.

Dans cette parabole, un homme a deux fils,
il est bon à l’extrême.

Il est père ;
il est celui par qui les deux fils ont reçu la vie
et celui qui les accompagne vers leur autonomie et leur maturité.

Il est celui qui respecte la liberté de son cadet
qui veut rompre tous les liens
et partir avec sa part du patrimoine.
Il consent même à être mort aux yeux de son jeune fils.
Quoiqu’il en soit, aux yeux du père,
ce fils demeure son fils bien-aimé.

Et le cadet est parti vers un pays lointain,
loin du monde du père.
Au long des jours, le père observe,
scrute l’horizon et espère un retour ;
un retour incertain
même si les espoirs d’un retour
ne sont jamais vraiment dissipés.
Il attend, il espère, il aime en espérant.

Il découvre sa paternité sous un jour jusque-là inconnu.

Il est inquiet, mais ne nourrit aucune amertume
car lorsqu’ il verra son fils au loin,
il sortira à sa rencontre pour l’étreindre,
pour l’envelopper de sa tendresse,
pour le laver dans le manteau de la miséricorde
et le réengendrer dans son identité de fils.

Il est celui qui vient à la rencontre du fils perdu.
Et il aura la même attitude avec son fils aîné.
Ce père aime ses fils d’un même amour privilégié et personnel.

Ce père, nous le savons bien,
c’est la figure de notre Père du Ciel.
C’est pour cela que quelque part
ses deux fils sont pour nous attachants ;
ils nous sont si ressemblants.

Regardons bien ce que vit le plus jeune.
Dans ce passage, il manifeste son désir de liberté.

Dans son enfance, tout portait à ce qu’il puisse s’épanouir
et apprendre la grammaire de l’amour, de la liberté, de la vie.
Le milieu était porteur :
rien ne manquait matériellement et affectivement.
Il était entouré d’amour, tout respirait la bonté.
Son frère aîné se montrait un modèle,
faisant en tout la volonté du père.
Mais voilà, pour être « lui-même », pour se trouver,
le fils cadet a voulu partir au loin, rompre avec ses proches.

Il a voulu répondre à cette soif de liberté qui est là,
présente en lui, présente en chacun de nous.

Mais, et le drame est là,
la rupture radicale l’a conduit
à une progressive et totale dégradation.

Il a cherché la liberté totale et sans limite.
Il s’est coupé de ses racines,
du père de qui il reçoit son identité.
Il espérait trouver là la vraie liberté,
mais il s’est égaré et même perdu.

Heureuse, bienheureuse pauvreté et famine
qui l’ont conduit à se retrouver lui-même,
à regarder vers son père et à se mettre en marche.
Dans son abîme, n’espérant que de survivre,
il s’est découvert aimé comme jamais par son p
ère.
Non-aimable à ses yeux,
il s’est découvert aimé pour ce qu’il était
et non pour ce qu’il avait fait ou n’avait pas fait.
Il a découvert son identité filiale.
Il a découvert la vraie liberté.

*

Cette découverte de son « être fils »,
le fils aîné, lui, ne l’avait pas encore faite ;
lui aussi est en chemin.

Toute sa vie,
il a plus respecté et observé les commandements de son père
qu’aimé son père.

Il a tout fait pour mériter la reconnaissance et l’amour du père,
mais il est passé à côté de l’essentiel.

Le retour de son frère cadet est pour lui une chance.

Elle est l’opportunité de découvrir ce qu’est « être fils » :
Aimer et faire la volonté du père, non pour mériter son amour,
mais parce que son père l’aime gratuitement et veut son bonheur.

Frères et sœurs, à la fin de cette parabole,
le père sort sur le pas de la porte à la rencontre du fils aîné
qui refuse son accueil débordant de miséricorde et d’exubérance.
Le père veut communiquer la joie formidable
qui habite son cœur paternel : son fils perdu est revenu à la vie.

Mais, après avoir laissé parler son cœur du trop plein qui l’habite,
il laisse son fils aîné libre.
L’amour vrai n’est pas possessif.

Le père espère sa venue à la fête, une venue incertaine
même si les espoirs ne sont jamais vraiment dissipés.
Il attend, il espère, il aime son fils en espérant.

Ce fils aîné a laissé de côté son apparence de fils parfait.
Il est ébranlé dans le monde idéal qu’il s’était construit.
Honnêtement, nous le serions nous aussi à sa place.

Cette déconstruction qui s’opère dans le fils aîné
est pour lui sa planche de salut.
Dans la pauvreté de celui qui n’a rien à mériter,
il peut à la suite de son cadet
découvrir ce que signifie aimer et être aimé,
être véritablement aimé pour soi-même.

Cette découverte de la gratuité de l’amour du Père
pour son frère et pour lui-même
serait aussi la découverte de ce que c’est
que d’avoir un frère et de l’aimer.

Frères et sœurs, ce cheminement,
la découverte et l’approfondissement
de notre identité de fils et filles bien-aimés du Père,
qui est inséparablement conscience
de la fraternité universelle dans laquelle le Père nous rassemble,
voilà ce que nous avons à vivre.

Terminons en allant plus loin.
Jésus est le Premier-né, le Fils par excellence,
Celui qui a été envoyé dans le monde
non pour condamner le monde
mais pour que le monde soit sauvé.
Il est venu fouler la terre des humains
pour aller nous rejoindre dans nos abîmes et nous ramener au Père.

À sa suite, et si nous vivons véritablement en fils,
et en frères et sœurs, – c’est un peu là un test pour nous –,
nous ne pourrons pas ne pas témoigner de l’amour du Père.
En effet, combien de fils et filles du Père
errent dans les rues de Montréal
à la recherche de qui ils sont et du sens de leur vie.
Pouvons-nous nous satisfaire d’être,
ou de nous croire d’être dans la maison du Père
alors que nos contemporains espèrent secrètement
Celui qu’ils ne connaissent pas ou si mal ?
Frères et sœurs, que cette Eucharistie consume en nous
tout ce qui résiste à vivre de notre identité filiale
et que brûle en nous le désir
d’annoncer l’amour miséricordieux du Père. Amen.

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