FMJ Mtl29e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – B
Frère Antoine-Emmanuel
Is 53, 10-11 ; Ps32 ; Hé4, 14-16 ; Mc 10, 35-45
21 octobre 2012
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Allégés par Dieu à l’école de Sainte Katéri

Ils ont des oreilles, mais ils n’entendent pas… (cf. Is 6,10).
Trois fois déjà, Jésus vient d’annoncer aux apôtres
l’abîme de sa Passion,
et Jacques et Jean sont encore
à convoiter de bonnes places.
Jésus parle d’abaissement,
eux rêvent de grandeurs.

Dans le fond, ils n’ont pas tort,
parce que Dieu veut quelque chose de très grand
pour chacun de nous.
Le Père veut nous donner en partage la gloire de son Fils,
et cela est inscrit en nous très profondément.
La soif d’être ensemble consumés par la joie de Dieu
se trouve en chaque personne humaine.
« Tous nous avons été créés en bol à soupe,
disait un moine – créés en creux, en creux infini.
Et être fait en creux est extrêmement malcommode. »
Aussi Jésus ne réprouve pas l’ambition de Jacques et de Jean,
mais Il leur révèle le chemin de la vraie gloire.
Il est impossible d’être glorifiés par Dieu sans en souffrir,
sans s’abaisser, sans se dépouiller, sans se perdre.

C’est ce que vit Jésus Lui-même.
Jésus sait et sent
que l’entrée de son humanité dans la gloire divine
passe par un déchirement intérieur ;
elle passe par une « coupe » et un « baptême ».
La coupe, ce sera de Se sentir définitivement abandonné de Dieu,
rejeté par Dieu.
Le baptême, ce sera d’être plongé dans le non-être de la mort
avant d’émerger à une vie nouvelle.

Jacques et Jean, vous désirez partager ma gloire ?
Mais pouvez-vous boire à ma coupe
et être baptisés de mon baptême ?
En êtes-vous capables ?
Jacques, Jean, et moi et toi, par nous-mêmes,
nous n’en sommes pas capables,
mais l’Esprit Saint nous en rend capables,
nous unissant, nous attachant très profondément à Jésus
qui nous précède
et nous porte sur notre chemin de dépouillement.

Nous ne boirons pas seuls notre propre coupe ;
nous ne serons pas plongés seuls dans la mort.
Jésus est là, éternellement là, avec nous,
et c’est Lui qui, en final, prend sur Lui
tout le poids d’amertume et de péché du monde.

Le chemin de la gloire passe par la souffrance.
On ne peut être rempli de Dieu
qu’en étant peu à peu vidé de soi,
vidé des ambitions égoïstes de notre nature blessée,
libéré, évidé, allégé, élargi intérieurement.

Il y a là une conversion radicale
qui demande au moins toute une vie.
Faire en soi la place à l’Amour de Dieu,
ou plutôt laisser Dieu créer en nous l’espace
où son Amour pourra passer…

Dieu est ambitieux.
Il a l’ambition de faire de notre éternité une fête sans fin,
mais Il a aussi l’ambition de faire de notre vie
un chef-d’œuvre d’amour
où tout de notre quotidien
soit à l’unisson avec le vécu de Jésus.
Et quel est-il le vécu de Jésus ?
Être au monde pour servir
et pour donner sa vie
en rançon pour la multitude (cf. Mc 10,45).
Combien, ô combien le Seigneur voudrait
nous embarquer sur ce chemin-là !

Dieu nous veut légers, allégés,
et Il prend pour cela aujourd’hui
un moyen bien étonnant.
Il place au milieu de nous
une jeune amérindienne handicapée,
une pauvre, une orpheline,
une adolescente mal vue de son entourage,
mal vue et mal voyante,
au visage ravagé par la maladie :
Kateri Tekakwitha, vierge native du peuple des agniers,
de père mohawk et de mère algonquine.

Mais pourquoi avoir canonisé Kateri ?
Des amérindiens dont la vie chrétienne a été remarquable,
il y en a un nombre immense.
Parce que l’Évangile est venu féconder
les grandes richesses humaines, religieuses et culturelles
des amérindiens, avec, notamment
la dimension nécessairement spirituelle de l’existence ;
l’attention à l’expérience, à la vision, au réel ;
le focus sur les relations avec le cosmos, avec les autres,
avec le Grand Esprit,
la quête d’harmonie dans ces relations,
l’écoute des anciens, des sages…

Tout cela a donné une foi très incarnée.
La Croix n’est pas reçue comme une idée,
mais comme une expérience,
d’où l’attirance des chrétiens de Kahnawake
pour les mortifications,
souvent jusqu’à l’excès.

Dieu sait la sainteté qui a germé
là où « foi et culture se sont enrichies naturellement » .
Dieu sait la sainteté qui a germé
grâce à la sainteté des missionnaires,
mais aussi malgré et à travers les exactions
et la cupidité des européens
et les violences de part et d’autre.

Pourquoi donc Kateri et pas tel ou telle autre visage
de ce peuple ?
Kateri n’est pas la seule à être morte en odeur de sainteté !

Pourquoi ?
Parce que le Seigneur Lui-même a désigné Kateri !
Kateri est décédée le Mercredi Saint,
17 avril 1680 dans sa cabane vers 16 heures.
À peine un quart d’heure après sa mort,
« le Père Cholenec, (Jésuite français,)
qui était demeuré en prière à côté d’elle poussa un cri » :
les traits du visage défiguré de Kateri
s’étaient miraculeusement refaits.
« Son visage parut plus beau qu’il n’était de son vivant,
raconte son biographe,
il donnait de la joie et fortifiait chacun dans la foi » (Note 2).

Kateri a bu à la coupe de Jésus,
elle a été baptisée dans sa mort,
et désormais la voici vivante et lumineuse,
littéralement transfigurée,
glorieuse de la gloire de Jésus à même son corps,
et le Seigneur a voulu que ce soit visible, tangible.

Le signe était clair !
Et il fut confirmé par des visions,
et cela dès le Lundi de Pâques
où le Seigneur donna à un autre jésuite, le Père Chauchetière,
de voir Kateri le visage rayonnant de lumière.
Des visions et surtout des guérisons à l’intercession de Kateri
qui se sont multipliées depuis 1680 jusqu’à aujourd’hui
comme celle de ce jeune américain
guéri de la bactérie mangeuse de chair.

Le Seigneur nous a clairement désigné Kateri.
Elle n’a pas fondé d’hôpital ni de congrégation ;
elle n’a pas écrit de traité de théologie ;
elle n’est pas martyre
mais elle est celle que Dieu nous invite à regarder.

Et que découvre-t-on en contemplant sa vie ?

D’abord un courage et une liberté spirituelle remarquables,
et cela dès avant son baptême.
Kateri est restée fidèle à ce qu’elle portait en elle-même,
le choix de la virginité,
et cela envers et contre tout, et contre tous.

Ensuite sa vie traduit une intimité extraordinaire avec Dieu
dans une vie très ordinaire.
Une intimité dont la profondeur était cachée
aux yeux de beaucoup,
et pour une part à ses propres yeux.

Enfin, la vie de Kateri, une fois baptisée,
manifeste un sens aigü de l’appartenance à Dieu.
Elle ne s’appartient plus.
Elle appartient à Dieu, pour toujours.

Tous ces trésors, Dieu a pu les déposer en Kateri,
parce que Kateri laissait de la place à Dieu.
Kateri n’était pas encombrée d’ambitions humaines
avec toutes les peurs et les frustrations que cela comprend.
L’Amour de Dieu en elle n’était pas à l’étroit.

Et c’est elle
que le Seigneur nous donne aujourd’hui 21 octobre 2012 !
Comme pour nous dire :
ne vous laissez pas empoisonner et alourdir
par toutes sortes d’ambitions et de passions de ce monde.
Soyez fidèles à ce que vous portez de si beau en vous ;
apprenez de Kateri, à « vivre où nous sommes
sans renier qui nous sommes » (cf. note 1).
Entrez dans l’amitié que Dieu vous offre,
et vivez votre appartenance à Dieu.

*

Une semaine après sa mort,
Kateri apparut à une vieille femme du village et lui dit :
« Ma mère, regardez bien cette croix que je porte.
Voyez, voyez comme elle est belle !
Oh ! que je l’ai aimée sur la terre.
Oh ! que je l’aime encore dans le Paradis » (Note 2 p. 158).

Sainte Kateri, toi dont la sainteté a germé
des premières semailles de la foi
en notre terre d’Amérique,
nous te confions le Printemps
de la nouvelle évangélisation. Amen

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