FMJ Mtl15e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – C
Frère Antoine-Emmanuel
Dt 30, 10-14 ; Ps 18 ; Col 1, 15-20 ; Lc 10, 25-37
11 juillet 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Sous le signe du sabbat

À quelques jours de la pause estivale,
comme on aimerait entendre cette page d’Évangile
où Jésus nous dit :
« Venez à l’écart et reposez-vous un peu » (Mc 6,31).
Mais non…
Le Seigneur nous donne aujourd’hui à travers l’Église
une page d’Évangile qui appelle…
au grand labeur de l’amour !

Soyons donc disciples de la Parole
et laissons-la nous éclairer
sur ce que pourraient être les semaines à venir.

*

Quelle est la question que l’homme de loi pose à Jésus :
« Maître qu’ai-je à faire
pour hériter d’une vie éternelle ? » (Lc 10,25)
La perspective dans laquelle se place ce docteur de la Loi
est celle de la Vie éternelle.
À la différence des saducéens,
il a la certitude que le Dieu d’Israël
a créé pour l’humanité une Vie éternelle,
et sa question est : que dois-je faire ?
Quels commandements dois-je aujourd’hui observer
pour ne pas rater ce rendez-vous d’éternité ?

Jésus ne refuse pas cette manière de penser,
Il la confirme même.
Sa réponse au docteur de la Loi est
« fais cela et tu vivras » (Lc 10,28).
Il y a un « faire », une activité, un labeur
qui conduit à la Vie éternelle.

Frères et sœurs
commençons par retenir cette perspective,
la seule perspective ultime qui soit juste et vraie :
nous avons été créés pour l’éternité,
pour partager le bonheur éternel de Dieu.

Voilà ce qu’il nous faut garder au cœur !
Nos noms sont déjà inscrits dans les cieux (Lc 10,20).
Notre âme jamais ne s’éteindra ;
dans notre corps, nous connaîtrons la résurrection
et si nous avons fait le bien,
ce sera une résurrection de vie (Jn 5,29),
un éternel jaillissement de joie partagé dans l’amour
où nous serons un ciel les uns pour les autres
comme Jésus le sera pour nous tous.
Ce sera le « repos éternel »,
c’est-à-dire que nous serons unifiés, éternisés dans l’Amour.

Frères et sœurs, gardons toujours au cœur
la mémoire de cette promesse d’éternité.
Si certains parmi nous
ont en perspective la Baie-des-chaleurs,
les plages de Cuba ou les hauteurs du Charlevoix, soit !
Mais soyons prudents :
ayons – et ayons pour tous les humains –
un désir beaucoup plus grand :
une espérance vaste comme le ciel !

*

« Fais cela et tu vivras » ;
telle est donc la réponse de Jésus.
Fais cela et tu vivras éternellement,
fais cela et dès cette vie tu goûteras la Vie éternelle.

Mais quel est ce « faire » ?
C’est celui de l’amour.
Le labeur quotidien qui mène au Ciel, c’est l’amour.

L’Amour de Dieu qui doit devenir premier
dans notre intention profonde,
et l’amour du prochain
qui doit devenir premier dans nos faits et gestes.

L’amour qui est don de soi
à l’exemple de ce samaritain en voyage
qui donne à l’homme demi-mort
tout ce dont il a besoin,
et ne pose aucune limite au coût de l’amour :
« tout ce que tu dépenseras en plus – sans limite aucune –
je te le rendrai » (cf. Lc 10,35).

L’Amour qui prime sur tous les rites et toutes les traditions
et qui appelait le prêtre et le lévite
à renoncer à leurs exigences légales ou rituelles
pour s’agenouiller devant Dieu
présent dans un homme ensanglanté.

L’amour du « prochain »
où le prochain est celui que la vie, la Providence
met sur mon chemin sans que je l’aie choisi ou voulu.

L’amour qui donne corps à l’Amour du Christ
car le Samaritain en voyage est bien Jésus Lui-même
qui Se penche sur l’humanité dépouillée et chargée de coups,
sur l’humanité à moitié morte,
qui prend soin d’elle pour qu’elle soit restaurée
et la confie à l’Église jusqu’à son retour en gloire.

Voilà le labeur de l’amour.
Aimer Dieu de tout notre être
en nous faisant proches de quiconque a besoin de tendresse.

Frères et sœurs, tel est notre appel,
tel est le commandement de Dieu.
Il n’y a pas besoin de monter au ciel
ou de traverser l’océan pour savoir ce que Dieu attend de nous.
Ce que Dieu nous demande est clair et limpide (cf. Ps 18(19))
Sa parole est dans ta bouche quand tu lis l’Écriture
et dans ton cœur quand tu écoutes ta conscience.
« Fais cela et tu vivras »… « aimes et tu vivras ».

*

Mais y a-t-il des vacances dans ce labeur de l’amour ?
Y a-t-il des moments
où nous sommes dégagés de ce commandement ?
Non !
L’appel à l’amour ne connaît pas de vacances.
Le Samaritain n’était-il pas en voyage ?
N’a-t-il pas interrompu sa route
pour prendre soin de l’homme blessé ?

Alors, le repos n’est-il pas chrétien ?
Les vacances sont-elles une infidélité à Dieu ?
Certainement pas !
Le repos est essentiel pour toute personne humaine.
Mais il faut bien saisir que le repos
n’est pas un congé de notre vocation à l’amour ;
il appartient à notre vocation à l’amour.
Pour aimer, nous avons besoin de nous ressourcer dans l’Amour.

Prenons l’exemple de la vie monastique.
Un moine, une moniale
n’est jamais en vacances de la vie monastique.
Il n’y a pas de moment où je peux dire :
« pendant ces 15 jours, je ne serai plus moine ».
Le repos n’est pas une mise à distance de notre vocation,
il appartient à notre vocation !
Le moine a besoin pour être vraiment moine
de ruptures, de silence,
de « vacances » du travail et, pour nous, de la ville.

Regardons bien les termes que nous employons :
le mot « vacances » vient du latin vacare
qui signifie cesser ses activités
pour se concentrer sur une tâche.
Les vacances chrétiennes sont bien cela :
rompre avec nos activités habituelles
pour redevenir attentifs à l’unique nécessaire : à Dieu.
Comme le dit le Psaume :
« Arrêtez – vacate –
et connaissez que Moi je suis Dieu (Ps 45(46),11). »

Prenons le terme de « jours fériés ».
Le mot « férié » vient du latin « feriae »
qui signifie un jour dédié au culte liturgique.
Nos jours fériés sont d’abord ordonnés à la louange de Dieu,
à la mémoire et à la célébration des merveilles de Dieu.

Passons à l’anglais.
Les vacances sont les « holidays »,
c’est-à-dire les jours saints !
Des « jours à part » pour Dieu,
des jours où renouer avec notre vocation à la sainteté !
Voilà ce que véhicule notre langage courant.
Mais au-delà des mots,
il y a d’abord un appel de Dieu,
et même une manière de faire de Dieu Lui-même.

Après six jours de labeur,
Dieu cessa de travailler pour Se reposer,
c’est-à-dire pour envelopper d’un amour profond
la création jaillie de son amour,
pour contempler et épouser
ce que le travail de l’amour a suscité.

Et nous, nous sommes appelés nous aussi, à nous arrêter.
Non pas nous arrêter d’aimer,
mais nous arrêter pour aimer davantage,
comme Dieu.

Que ce soit dans la chaleur d’un studio en ville
ou quelque part en campagne,
c’est bien là le sens de notre pause estivale :
vivre un vrai et profond sabbat.

Un moment de retour à l’essentiel,
un moment pour retourner dans l’alliance,
pour raviver la joie des noces avec Dieu.

Si nos vacances ne sont qu’une grande distraction et une fuite,
elles ne nous feront pas de bien, et nous reviendrons déçus.
Elles ne sont pas faites pour nous distraire,
mais pour nous soustraire à l’emprise des choses à faire
pour retrouver l’amour.

Nous arrêtons un moment le travail
pour le reprendre ensuite d’une manière nouvelle,
c’est-à-dire en ayant retrouvé l’amour.

Notre vie a besoin de cette respiration
entre l’amour qui travaille et se fatigue
et l’amour qui s’arrête et se ressource en Dieu.
Dieu Lui-même vit de cette respiration
entre le labeur des six jours et les épousailles du sabbat !

C’est cette respiration qui nous prépare à l’éternité
dans le plus concret du quotidien et de chaque semaine
illuminée par le dimanche jour de la résurrection !

Apprenons ce mois-ci le sens du sabbat,
le sens du temps donné
à la mémoire des merveilles de Dieu et à la louange.
Réapprenons cela cet été
pour le vivre tout au long de l’année qui vient.
Ce ne sera pas une année sabbatique
mais une année sous le signe du sabbat,
une année où nous vivons vraiment chaque dimanche.
Une année où nous refuserons de nous laisser écraser par le faire
et où nous garderons le sens de Dieu,
la présence à Dieu.
Une année obéissante à l’unique commandement
comme Je vous ai aimés,
aimez-vous les uns les autres (Jn 13,34).

© FMJ – Tous droits réservés.