FMJ Mtl28e Dimanche du temps ordinaire – B
Frère Benoît
Sa 7, 7-11 ; Ps 89 ; Hé 4, 12-13 ; Mc 10, 17-30
11 octobre 2009
Montréal, Sanctuaire du Saint-Sacrement

L’Action de grâce

Chers frères et sœurs, la rencontre de Jésus avec l’homme riche est une rencontre au fond entre Dieu souverainement libre en ses richesses et l’homme blessé dans son rapport avec sa richesse, dans son désir d’avoir et de partager.

Quel est le chemin de liberté ?

Sous le regard de miséricorde et d’amour que Jésus pose aujourd’hui sur l’homme riche, sur ses disciples et sur nous ici rassemblés, essayons de comprendre tant qu’il se peut.

Frères et sœurs, l’action de grâce est une manière très appropriée de commencer le chemin du partage et de communion avec les autres. Notre Livre de Vie dit :

La première étape de ta pâque de pauvreté passe par l’humble acceptation de tes richesses.

Quoi que tu fasses, quoi que tu dises, te voilà riche de ta foi, de ton espérance, de l’amour de ta Fraternité, de ta culture, de ta santé, de ta liberté, et jusqu’à savoir le pourquoi de ta soif de pauvreté. De cela ne tire ni honte ni vanité : Dieu n’a de préférence pour personne. Ne t’en culpabilise pas, mais ne l’oublie jamais.

En retour, vis dans une continuelle action de grâce. Puisque tu n’as rien que tu n’aies reçu, que ta pauvreté t’invite à être un perpétuel offrant en sacrifice de louange.

Pour notre pays, pour nous tous donc, accepter humblement notre richesse et en faire l’action de grâce est le premier pas sur le chemin de liberté vis-à-vis de ces mêmes richesses.

Notre rapport avec les richesses est en effet très complexe. S’il y a une chose en nous que le péché originel avait bien mêlé et même perverti, c’est justement notre rapport avec « avoir ». Avoir ou ne pas avoir, acheter ou ne pas acheter, quoi choisir et quoi laisser, c’est vraiment notre combat de tous les jours. La course du jeune homme riche vers Jésus finit net par un carambolage triste. Pourquoi ? Parce que cet homme, comme beaucoup aujourd’hui, court sur le chemin du ‘faire pour avoir’. Alors que Jésus se tient sur un autre chemin qui est ‘donner pour être’. Oui, être avec Lui.

La vraie richesse est dans la relation, dans la communion. C’est de cela que témoigne le regard de Jésus posé sur cet homme, un regard plein d’amour et de liberté. Car on ne peut même pas avoir Jésus. On peut seulement être avec Lui. « Après tout ce que j’ai fait, ‘Bon Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ?’ (Mc 10, 17) »

Or, come le dirait la sagesse populaire ‘À vouloir trop, on perd tout’, comme au Casino par exemple ou ‘Mieux est ennemi du bien’, ou encore ‘Mieux vaut un moineau entre les mains qu’un pigeon sur un toit’.

En effet, pour sortir de l’impasse de la richesse qui ne comble pas, la sagesse populaire se concentre sur le juste nécessaire (et un peu plus pour le plaisir).
Trop de choses, trop de soucis. On est heureux quand on arrive à la mesure équilibrée des choses. Ni trop, ni moins. C’est là la liberté supposée de beaucoup de gens ou au moins leur calme. Le difficile, c’est de tenir l’équilibre.
Nous sommes toujours balancés vers les extrêmes. La possession, avoir le maximum, entraîne les personnes et même les peuples entiers dans les guerres. L’amour de l’argent, dit Saint Paul est à la racine de tout les maux… (1 Tm 6,10)

À l’extrême opposé, se trouve l’autosuffisance. Celle-ci se trouve au centre de la philosophie cynique. Le sage est celui qui est capable de se contenter du minimum, non du juste nécessaire, ni du maximum, mais du minimum des choses. De manière à ne souffrir d’aucun manque. Le sage cynique, dont vous connaissez certainement Diogène , l’homme qui habitait dans un tonneau à Athènes, choisi donc de vivre dans l’abstinence. Il ne recherche aucune richesse, il n’a pas de maison, il se contente des nourritures les plus simples et s’il le pouvait, il ne mangerait pas du tout et il refuse tout ce qui ne lui semble pas absolument nécessaire. Le but est de n’avoir aucun besoin, avoir besoin de rien et même de personne. Car même la sexualité, le cynique la gère par l’auto-sexualité.

La Bible reflète elle aussi, constamment, cette lutte complexe autour de la richesse. On y trouve même cette phrase désespérante : « Mon cœur en est venu à se décourager pour toute la peine que j’ai prise sous le soleil. Car voici un homme qui a travaillé avec sagesse, savoir et succès, et il donne en héritage tout à celui qui n’a pas travaillé. Cela aussi est vanité et c’est un tort grave. Car que reste-t-il à l’homme de toute sa peine et de tout l’effort pour lequel son cœur a peiné sous le soleil ? C’est la vanité et la poursuite de vent (Qo 2, 21-26) ».

Mais plus souvent et de manière plus générale, l’idéal de l’Ancien Testament, c’est un riche juste. Un riche qui veut plus la justice que la richesse. L’idéal, c’est un riche qui donne, même si cela lui coûte : «Il n’accepte rien pour nuire à l’innocent, ne prête pas son argent à intérêt, qui jure à ses dépens sans se dédire, Qui fait ainsi jamais ne bronchera dit le Psaume 14(15),4. Un riche juste en effet, c’est l’image de Dieu et l’idéal divin de l’Ancien Testament. Dieu infiniment riche et infiniment juste.

Quand Dieu accuse Jérusalem de ne pas être son épouse fidèle, qui fait l’œuvre de Dieu, il la compare à la ville de Sodome et il dit : « Voici quelle fut la faute de Sodome ta sœur : orgueil, voracité, insouciance tranquille, telles furent ses fautes et celles de ses filles ; elles n’ont pas secouru le pauvre et le malheureux. (Éz 16, 49) » De ne pas partager sa richesse, voilà le péché de Jérusalem. Elle s’était accaparée des biens que Dieu lui a confiés, elle jouissait de la faveur de Dieu, même en Lui rendant grâce dans le Temple, mais elle a oublié le partage. Un pas de plus sur le chemin de la liberté. Or Dieu est riche et juste.

La justice est la première voie de la charité, disait Paul VI, son « minimum ». La justice n’est pas étrangère à la charité. Non seulement elle n’est pas une voie alternative ou parallèle à la charité : la justice est inséparable de la charité, elle lui est intrinsèque, dit notre pape Benoît XVI. La justice est la première voie de la charité… mais d’autre part, la charité dépasse la justice et la complète dans la logique du don et du pardon. »

Qu’est-ce à dire ? Si je reviens à notre Livre de Vie, il nous dit que le premier pas dans le mystère de pauvreté, c’est l’action de grâce. L’Action de grâce, c’est la reconnaissance. Cela signifie reconnaître que tout ce que nous avons nous vient, comme un don, de la part de Dieu. Dieu nous a beaucoup donné. Saint Paul dira : « Tout est à vous ! Mais vous êtes au Christ et Christ est à Dieu » (1 Co 3, 22-23).

La justice exigerait ainsi de nous une action de grâce envers Dieu telle que toute notre vie ne suffirait pas. Nous pourrions vider nos poches, les tourner à l’envers trois fois, jamais nous serons capable d’apporter à Dieu la juste part de notre action de grâce qui correspondrait à ses dons. Le prix de la vie est trop élevé pour la racheter.

Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. (1 Co 13,3)

Oui frères et sœurs même donner véritablement en juste, cela nous dépasse. Se donner soi-même ne suffirait pas si nous prétendions marcher en héros sur les chemins de la justice. Dieu déteste le pauvre orgueilleux (Pr 25,1s).

Il y a en effet trois mouvements de la liberté dont l’action de grâce est le premier. Quels sont les autres. Comme dans l’Eucharistie, l’action de grâce par excellence, il y a aussi la fraction du pain et la communion : Jésus prit le pain, il rendit grâce, le rompit et le donna à ses disciples. (cf Lc 22,19)

Action de grâce correspond à ce qui est juste envers Dieu. « Il est bon, il est juste et digne de te bénir et de te rendre grâce, Père très bon » disons-nous dans la Préface eucharistique. Après vient la fraction du pain. C’est le deuxième mouvement.

Dans la fraction du pain, Jésus fait de sa Passion et de sa vie toute entière un don. Librement, il choisi de se donner. C’est aussi le moment décisif de notre liberté humaine. Le moment crucial de la décision pour le sacrifice. À l’instar d’Abraham qui lève son couteau, à l’instar de Saint Martin qui tranche son manteau en deux moitiés et en donne une à un pauvre. Forts de la Parole de Dieu, plus coupante qu’une épée à deux tranchants, ils décident de rompre, de partager ce qu’ils ont reçu de Dieu.
C’est le deuxième mouvement du chemin pascal vers la liberté. Rompre. Obligatoire pour les riches que nous sommes. Là nous quittons le dictat de l’avoir, amasser, garder et nous nous ouvrons à l’inconnu de la nouvelle dépendance à Dieu à l’expérience nouvelle de sa grâce nouvelle.

Et puis vient le troisième mouvement. C’est donner. C’est créer une relation, c’est communier. Mais donner, cela ne nous appartient plus frères et sœurs. Seul Dieu est bon, le Donateur ! C’est toujours lui qui donne. Nous, nous partageons. Nous ne pouvons pas nous vider, ni en action de grâces, ni en sacrifices, sans recevoir l’amour de Dieu en même temps. Nous pouvons seulement nous rapprocher de l’impossible, mais c’est Dieu qui sauve. Même en donnant tout, il nous est impossible de nous sauver et de sauver les autres. Je peux vouloir donner, faire tout pour donner, mais au bout du compte c’est à Dieu que revient la grâce de donner et de Se donner à nous-mêmes et aux autres.

L’Action de grâce et le partage sont deux mouvements de notre chemin de liberté pour chacun de nous. Le troisième est sans cesse à recevoir de Dieu. Comme le dit dans sa prière Saint Ignace de Loyola : Prends, Seigneur et reçois toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté, tout ce que j’ai, tout ce que je possède. Tu me l’as donné, à toi, Seigneur, je le rends. Tout est à toi. Disposes-en selon ton entière volonté. Donne-moi seulement ton amour et ta grâce : c’est tout ce qu’il me faut. Amen

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