FMJ Mtl17e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – B
Frère Antoine-Emmanuel
2 R 4, 42-44 ; Ps 144 ; Ép 4, 1-16 ; Jn 6, 1-15
30 juillet 2006
Sanctuaire du Saint Sacrement, Montréal

Et il y eu du pain en abondance …

Nous voici aujourd’hui sur les collines
de la rive orientale du lac de Galilée.
Collines verdoyantes et fleuries un matin de printemps.
En contrebas, la lumière matinale se reflète
dans les eaux tranquilles du lac en forme de harpe.
Jésus est là au milieu de nous,
assis sur l’herbe verte ou sur quelque roche.
Et vers Lui convergent peu à peu
des centaines, des milliers de visages
d’hommes, de femmes, d’enfants
qui gravissent la montagne les uns derrière les autres.
Ils ont marché, longuement,
faisant le tour du lac, par la rive nord,
pour être auprès de Jésus.
Ils sont là, foule immense,
portant en eux l’espoir d’être le témoin
ou l’objet de quelque guérison.

Jésus ne ferme pas les yeux sur cette foule,
Il lève les yeux nous dit saint Jean (Jn 6, 5)
et déjà Il sait ce qu’Il va faire, (cf. Jn 6, 6)
Il perçoit la volonté du Père :
Il va donner le signe – le grand Signe – du pain.
Il va leur révéler qu’Il est venu du Ciel
pour nourrir les foules,
pour être Lui-même leur Pain…

Père, qu’ils comprennent aujourd’hui
que je suis le Pain que Tu leur donnes.
Qu’ils sachent que Je n’ai d’autre désir
que d’être leur nourriture,
et qu’ils sachent
que c’est une surabondance de Vie
que Je leur donne.

Commence alors sous nos yeux
la première multiplication des pains.
Pour la vivre intensément,
où porterons-nous notre regard ?
Sur les mains de Jésus !
Oui, ne quittons pas des yeux
pour un moment les mains de Jésus.
Ces mains de charpentier,
ces mains qui savent ce qu’est le travail.
Ces mains qui aujourd’hui reçoivent
les cinq pains d’orge
et les deux petits poissons
qui lui viennent d’un enfant.
Deux mains qui reçoivent
le pain des pauvres,
le pain d’un enfant.
Et ce peu de pain travaillé par les mains de Jésus
devient abondance de pain pour nourrir la foule.
Quelle joie, quelle espérance de voir des mains
qui ne se referment pas,
qui ne s’approprient rien,
et qui, tout au contraire, multiplient le pain.
De ces mains abonde le Pain
pour les foules de tous les temps…

Mais comment Jésus parvient-Il à « multiplier » le pain ?
L’Évangile nous le suggère
avec une très grande discrétion.
Que nous est-il dit en effet de ce qui reste à la fin :
ils remplissent douze couffins
avec les morceaux des cinq pains d’orge
restés en surplus (Jn 6, 13).
Il n’y a rien d’autre
que des morceaux des cinq petits pains.
Le terme grec morceaux, ‘κλασμα’,
renvoie immédiatement à un autre terme
que nous connaissons bien ‘κλασις’, la « fraction » du pain.
La multiplication des pains, des cinq pains,
est en réalité la fraction des cinq pains.
C’est d’ailleurs ce que dit explicitement Jésus aux apôtres :
« Vous ne vous souvenez pas ?
Quand J’ai rompu les cinq pains pour les cinq mille ? » (Mc 8, 19)

Alors ce matin, nous pouvons
simplement contempler ce geste :
les mains de Jésus qui travaillent
à rompre sans fin les pains.
Dans nos mains, rompre le pain,
c’est le partager.
Dans ses mains, rompre le pain,
c’est le multiplier …
Regardons longuement ce geste :
il y a là un jaillissement de matière,
un jaillissement de Vie.
Il y a là un Amour fou
qui ne veut laisser personne sans nourriture, sans vie.
Et la vie vient de ce qui est brisé.
Oui, la Pâques de Jésus est proche !
L’Eucharistie de Jésus est proche.

*

Après avoir regardé les mains de Jésus,
il nous faut maintenant
laisser Jésus s’approcher de nous.
L’Évangile de Jean
nous dit que Jésus, ayant rendu grâce,
« distribue » Lui-même le pain et le poisson
à la foule étendue sur l’herbe (cf. Jn 6, 11).
Voici donc Jésus qui parcourt la foule,
qui s’approche de chacun,
et qui donne à chacun ce dont il a besoin.
Jésus s’approche de nous,
et nous offre le Pain,
non parce que nous le méritons,
mais parce que nous en avons besoin.
Nous nous laissons approcher,
nous nous laissons nourrir.
Quel merveilleux face à face
entre ces hommes et ces femmes
qui étaient las et prostrés comme des brebis
qui n’ont pas de berger (Mt 9, 36)
et le Bon Berger qui donne sa vie pour ses brebis (Jn 10, 11).

Tous ils espèrent en toi,
tu donnes en son temps leur nourriture,
tu leur donnes, eux ils ramassent,
tu ouvres la main, ils se rassasient (Ps 103 (104), 27-28).
C’est à notre tour d’ouvrir nos mains,
pour recevoir le Pain de Jésus
comme nous le ferons tout à l’heure.
Ouvrir nos mains,
ouvrir nos cœurs,
pour recevoir le Pain de Dieu !
Pourquoi dépenser de l’argent
pour autre chose que du pain ?
Pourquoi dépenser ce que vous avez gagné
pour ce qui ne rassasie pas ?
Écoutez, écoutez-moi
et mangez ce qui est bon ! (Is 55, 2).

Aujourd’hui Jésus se fait proche de nous
pour nous donner le vrai Pain qui rassasie.
Comme les cinq pains de misère,
passant par ses mains,
ont rassasié une foule immense,
ainsi ces petits pains dérisoires
que sont nos hosties
passant par les mains de Jésus
deviennent le Pain de Vie,
le Pain qui rassasie
la faim la plus profonde de notre être.
Nous avons tous faim d’un au-delà,
faim de dépassement de nous-mêmes, d’extase.
Beaucoup cherchent cela dans la sensualité
et ils se font mal
et ils font mal,
et sont douloureusement insatisfaits.
Or cette faim d’extase est en réalité une faim de Dieu,
et Jésus vient à nous pour nous rassasier.
Il est Lui-même le Dieu fait Pain.
Il est mort et ressuscité pour cela :
pour être notre Pain.

Seigneur Jésus,
donne-nous le Pain de Vie qui est ton Corps
afin qu’unis à Toi,
nous puissions aller au-delà de nous-mêmes,
nous puissions vivre l’extase sans retour sur soi,
Toi qui es l’Amour vrai !

*

Nous avons contemplé les mains de Jésus,
nous L’avons vu S’approcher de nous pour nous nourrir,
et maintenant nous pouvons aller plus loin encore,
en ouvrant notre cœur à l’espérance du Ciel
que cet Évangile nous découvre.

Frères et sœurs, cette foule affamée et fatiguée
qui s’avançait comme une longue cohorte inquiète
pour gravir la montagne en Galilée,
n’est-elle pas la figure
de toute notre humanité meurtrie et blessée
qui chemine à travers les peines
et les joies de l’existence ?

Quel est donc ce rivage, cette « autre rive »,
sinon celle de l’éternité qui nous est promise ?

Et cette herbe abondante
dont nous parle l’évangéliste,
n’est-elle pas le signe d’une nouvelle création
où il n’y a plus ni épine, ni chardon
car le péché et ses conséquences
ont été brûlés au feu du pardon divin ?

Et là, en cette Terre nouvelle,
nous attend un banquet
dont les poissons de l’Évangile
sont le signe simple mais bien éloquent.
Banquet d’abondance où tous sont éternellement
rassasiés par l’Amour.
Banquet de fête où chacun
se laisse servir par Celui
dont la Vie a été brisée sur la croix
pour Se démultiplier en surabondance de Vie
offerte à tous.

« En vérité, je vous le dis,
le Maître se ceindra,
vous fera mettre à table,
et passant de l’un à l’autre,
il vous servira » (cf. Lc 12, 37).
Oui, c’est le Fils Lui-même qui nous sert.
Et le Père, quant à Lui,
essuie toutes larmes de nos yeux
par la douceur infinie de son Esprit.

C’est bien ce qu’Isaïe avait entrevu :
« Le Seigneur tout-puissant
donne sur la montagne
un festin pour tous les peuples ! » (Is 25, 6)
« Il y fera disparaître la mort pour toujours » (25, 8).
« Ceux qu’a libéré le Seigneur
arriveront à Sion hurlant de joie,
portant avec eux une joie éternelle.
La joie et l’allégresse les accompagneront,
la douleur et les plaintes auront pris fin. » (Is 35, 10).

Frères et sœurs, en proclamant cela,
nous ne rêvons pas,
nous ne nous évadons pas.
Rien n’est plus sûr que le Ciel.
Tout ce qui est de cette Terre est passager.
Tout passe.
Tout passera, sauf l’amour qui est déjà le Ciel.
L’autre Rive nous attend,
Jésus y a préparé notre place.
L’autre Rive attend toutes les foules de la Terre.

Au-delà, non plus du lac de Galilée,
mais du grand baptistère
qui est la mort glorifiante de Jésus,
le Banquet est prêt qui sera
une éternelle communion
au Christ ressuscité,
à Jésus glorifié.
Une joie en plénitude,
une plénitude de joie,
qui est déjà « contenue »
dans la petite Hostie de nos Eucharisties.

Seigneur Jésus,
à qui irions-nous ?
Tu as les Paroles de la Vie éternelle ? (Jn 6, 68)
Tu donnes le Pain de notre Vie éternelle,
Tu es le Pain de notre Vie éternelle.

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