FMJ Mtl3e DIMANCHE DE L’AVENT « GAUDETE » – C
Frère Antoine-Emmanuel
So 3, 14-18 ; Is 12 ; Ph 4, 4-7 ; Lc 3, 10-18
17 décembre 2006
Sanctuaire du Saint Sacrement, Montréal

Au-delà des « valeurs »

Les abords du Jourdain sont aujourd’hui noirs de monde.
Une foule de Judée, de Jérusalem et d’ailleurs,
se serre autour d’un homme au visage ascétique
habillé d’un vêtement de poils de chameau
et d’un pagne de peau (cf. Mt 3, 4).

De la foule monte une question :
Maître, « que devons-nous faire ? » (Lc 3, 10).
S’élève alors la voix du jeune prophète
– il a à peine une trentaine d’années –
qui s’adresse d’abord au peuple fidèle et croyant
et leur rappelle une valeur essentielle de la Loi :
le partage avec les plus pauvres.
Partage de ta garde-robe, partage de ton garde-manger.
Puis Jean s’adresse aux païens
– aux soldats romains – et aux publicains,
les appelant à vivre au moins des deux valeurs de base
que sont la droiture et la non-violence.

Voilà l’enseignement de Jean.
Pourquoi cet enseignement seulement moral ?

Simplement parce que nous
– hommes et femmes de toute époque –
nous avons besoin que l’on nous dise
et qu’on nous rappelle
ce que nous oublions ou ignorons
faute de savoir écouter notre conscience.

Oui, nous avons besoin d’un tel enseignement,
mais nous savons bien que cela est insuffisant.
Pour changer le monde,
il ne suffit pas de rabâcher des principes moraux,
aussi élevés soient-ils !
Car « vouloir le bien est à notre portée,
mais non pas l’accomplir »
comme le dit si clairement l’apôtre Paul (Rm 7, 18).

De fait, il nous faut comprendre l’exhortation de Jean
dans la perspective du baptême qu’il propose.
Jean rappelle aux foules les valeurs
que tous doivent pratiquer
pour que chacun prenne conscience de ses misères,
de ses infidélités, et discerne la nécessité d’un retour,
d’une « teshouva », d’une conversion.
Et tel est le sens du baptême de Jean,
qui est un engagement à la conversion
pris devant Dieu et à cause de Dieu.
Oui, je reconnais que s’il y a en moi
le bon grain de la droiture et du partage,
il y a aussi – inextricablement lié –
la paille, la misère, la noirceur de mes infidélités.
Et par le baptême dans le Jourdain,
je me tourne vers une vie nouvelle ;
je reconnais la nécessité de vivre différemment,
de me convertir.

Voilà ce que Jean nous propose de vivre
en ce temps d’Avent.
Il nous rappelle à l’ordre, à l’ordre de l’amour,
et nous invite à nommer
ce qui en nous n’est pas amour.

Mais Jean-Baptiste ne s’arrête pas là :
il ne se contente pas de nous montrer notre misère,
il nous montre Celui qui nous en libère,
et à ce moment précis,
Jean se retire, et c’est là sa grandeur.

Redisons-le autrement :
Jean ne nous laisse pas seuls
face à des impératifs moraux admirables
mais si difficiles :
il nous conduit jusqu’à Jésus,
l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (Jn 1, 29)
qui l’enlève en nous donnant sa propre sainteté,
qui l’enlève en Se donnant Lui-même, Lui le Saint !
Et la grandeur de Jean, c’est de s’éclipser,
de se taire, de disparaître
pour que nous nous laissions rencontrer et sauver
par l’Agneau, par Jésus.

*
Si Jean-Baptiste n’avait fait
que nous exhorter à une conversion morale,
ce serait du moralisme,
et son baptême serait un engagement moral
finalement irréaliste et stérile.
Non ! Jean est allé plus loin :
son exhortation et son baptême
ne sont qu’une préparation au Baptême dans l’Esprit,
au Baptême de Feu qui consume le péché en nous,
au Baptême de Jésus.
La grandeur de Jean est aussi là :
en ceci qu’il proclame la sainteté
à laquelle nous sommes appelés
mais ne sépare pas cette sainteté
de Celui-là seul qui peut nous y conduire.

Jean proclame les « valeurs »
comme nous disons aujourd’hui,
mais il ne les proclame jamais
sans nous montrer Jésus.

Jean est grand, très grand parce qu’il dit :
« Je ne suis pas le Messie » (Jn 1, 20),
c’est-à-dire : ce n’est pas mon enseignement moral
ni mon baptême d’eau qui sauve le monde :
ils vous conduisent seulement au Sauveur qui est Jésus,
l’Époux aimant de notre humanité pécheresse.

*

Oui, ce ne sont pas les valeurs qui sauvent le monde,
c’est le Christ Jésus Lui-même et Lui seul
qui nous sauve en venant vers nous,
en venant en nous,
en nous faisant vivre en Lui.

Les valeurs sont bonnes, très bonnes,
et il nous faut chercher à les vivre au mieux,
mais elles n’ont pas la force de nous sauver.
Elles peuvent même nous écraser
si nous voulons les vivre sans Dieu.

C’est la grande tentation du moralisme
qui veut vivre selon Dieu en vivant sans Dieu.
Aujourd’hui, Jean nous en libère :
Non pas en nous libérant des exigences morales
mais en nous conduisant à Jésus
qui nous rend capables de vivre dans la sainteté.

Jésus, pour reprendre l’image employée pas Jean,
sépare en nous le bon grain
plein de promesse et de fécondité
de la paille qui n’est bonne que pour le feu (cf. Lc 3, 17).
Il nous libère de la paille stérile
et fait fructifier tout ce qu’il y a de si beau en nous
car nous sommes tous porteurs
d’une vocation extraordinaire
non seulement à la droiture,
à la non-violence et au partage,
mais à l’Amour de charité.

Jésus vient libérer les ressources infinies
que nous portons
nous qui avons été façonnés à l’image de l’Amour.
Oui, nous portons en nous une promesse d’Amour infinie
et ce que le péché a défiguré,
Jésus vient non seulement le restaurer,
mais tout porter en nous
à un amour bien au-delà de toutes les « valeurs ».

Car, dans le fond, l’unique moyen
de vivre pleinement les valeurs morales
que l’on prêche partout,
c’est de les dépasser à travers la charité,
ce qui est don de soi,
qui est amour des ennemis,
qui est l’amour des autres
choisi et vécu à cause du Seigneur, et par sa grâce.
La valeur suprême, c’est la grâce de Dieu !
c’est l’Esprit Saint vivant en nous !

*

Frères et sœurs, n’est-ce pas là le chemin de la joie ?
La joie n’est pas un impératif moral arbitraire.
Le Seigneur ne nous dit pas :
« Soyez joyeux ! »
Allez, fabriquez-vous de la joie !
Non !
Il nous dit : « Recevez ma joie » !
« Ouvrez-vous à ma joie ! »

C’est merveilleux de constater
que dans les Lectures de ce jour,
partout où il est question de joie,
celle-ci apparaît comme don de Dieu :
par le prophète Sophonie, le Seigneur nous dit :
« Pousse des cris de joie » ! (So 3, 14)
Pourquoi ?
Parce que « j’écarte tes accusateurs
et je te libère de tes ennemis » (v. 15).
Le Psalmiste quant à lui s’écrie :
« Jubilez, criez de joie,
car il est grand au milieu de toi le Saint d’Israël » (Ct Is 12, 6).
Et L’apôtre Paul nous dit avec force :
« Soyez toujours dans la joie du Seigneur ! » (Ph 4, 4)

En d’autres termes, la joie, la vraie joie,
celle que rien ni personne ne peut nous enlever,
cette joie-là vient de Dieu,
de sa Présence, de son Salut.
La joie profonde ne se fabrique pas
avec nos propres efforts :
elle est toujours un don de Dieu.
Mieux : elle est Dieu en nous !
Dieu qui vient en nous !
Dieu qui danse en nous !

Notre joie grandit dans la mesure
où nous allons au-delà des valeurs
pour nous perdre dans l’Amour de Dieu.
Elle s’épanouit quand nous perdons notre vie
pour Jésus, pour l’Évangile, en la donnant aux autres.

Plus nous communierons à la pauvreté de Dieu,
plus grande sera notre joie !
C’est pour cela que Noël est une fête si joyeuse :
parce que Noël nous fait entrer
dans la pauvreté de Dieu
venu se laisser déposer
dans une mangeoire à orge.
Et parce que Noël nous appelle
à nous appauvrir pour réjouir les autres.
Noël nous invite à rendre les autres heureux,
à leur faire des cadeaux,
et le plus beau cadeau à faire aux autres,
n’est-ce pas de les conduire vers la joie de Dieu ?

Seigneur Jésus,
nous te bénissons toi qui viens.
Tu es déjà là au profond de notre cœur
et de l’intérieur, tu frappes à notre porte
pour que nous laissions Marie
Te déposer en nous,
Te déposer en notre milieu, en notre monde.

Aujourd’hui, séduits par ta joie,
séduits par ta danse,
séduits par ta liberté
nous t’ouvrons déjà la porte.
Viens ! Entre !
Maintenant, à Noël, en chaque maintenant,
et à l’heure de notre mort. Amen !

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