FMJ MtlLA CROIX GLORIEUSE – B
20 ans de Fondation de Strasbourg
Frère Antoine-Emmanuel
Ph 2, 6-11 ; Ps 77 ; Jn 3, 13-17
14 septembre 2015
Église Saint Jean, Strasbourg

Frère Pierre-Marie et l’Ecce Homo

« La Croix glorieuse ».
La croix peut-elle être glorieuse ?
La souffrance peut-elle être glorieuse ?
La gloire, c’est-à-dire la communion qui vient de Dieu,
peut-elle se déployer quand nous sommes
plongés dans la souffrance, l’humiliation, l’échec ?

Cette question traverse toutes nos vies.
Elle traverse la vie de nos fraternités monastiques de Jérusalem.
Nous avons bien du mal à accepter nos fragilités
et plus encore à les aimer.
N’est-ce pas ?

Nous savons bien qu’il faut
nous glorifier de nos faiblesses (cf. 2 Co 12,9)
autant personnellement que communautairement,
afin que la puissance du Christ repose sur nous (Id.).
Mais comment y parvenir ?
Comment découvrir que nous sommes forts
lorsque nous sommes faibles ? (cf. v. 10)

Pierre-Marie a-t-il quelque chose à nous enseigner là-dessus ?
Dans le « Livre de vie » certainement.
Pierre-Marie, à la suite de saint Paul y écrit :
« Qu’ainsi la mort fasse son œuvre en toi
et sème la vie autour de toi.
Tu portes en toi-même ton arrêt de mort
afin d’apprendre à ne pas mettre ta confiance en toi-même,
mais en Dieu qui ressuscite les morts » (LdV, no. 103).

Pierre-Marie a aussi beaucoup à nous dire
par le « livre » de sa vie
et particulièrement par la rencontre
qu’il fit avec Jésus dans sa Passion,
avec le Christ aux outrages.

Ceux d’entre nous qui ont recueilli
ce qu’il y avait dans la cellule de Pierre-Marie après sa mort
ont été surpris d’y trouver plusieurs représentations
du visage du Christ souffrant.

Le visage de Jésus dans sa Pâques d’amour appelait,
saisissait Pierre-Marie.

Cela remonte au moins à son adolescence :
Il était très sportif et il nous racontait
qu’il allait souvent jouer sur le stade de la ville.

Or, en passant par les petites rues qui y conduisaient,
le regard du jeune Pierre Delfieux était comme attiré
par une petite statue de Jésus du XIIIe siècle.
« Cela me frappait.
Les camarades, eux, s’en moquaient complètement.
Moi, je trouvais cela assez saisissant.
Dans une niche dans le mur, un Christ tout jaune aux outrages.
Et moi, étant adolescent, ça me touchait… »

Premier regard, premier contact.
Ces jeunes vont faire du sport, de la compétition sans doute,
et le regard du jeune Pierre est saisi par Jésus défiguré,
couronné d’épines, immobilisé, décharné.
Pierre-Marie est un sportif au cœur saisi par l’amour du Christ,
par la Passion du Christ.

Expérience spirituelle qui n’est pas sans rappeler
celle de Thérèse d’Avila
que Pierre-Marie citait volontiers.
Car, c’est devant une statue du Christ aux outrages
que la vie de Thérèse a été bouleversée, mieux, retournée.
L’énergique Thérèse est devenue sainte Thérèse.
Une femme qui, plongeant dans les demeures de vie en Dieu,
devint de façon inséparable une femme mystique et apostolique,
une contemplative et une bâtisseuse.
N’est-ce pas aussi ce que Pierre-Marie a vécu
depuis le grand dépouillement du désert,
avec sa longue contemplation du Visage du Christ ?

Deuxième regard.
Il date d’il y a une dizaine d’années, vers 2005-2006.
Quel en est le contexte ?
Pierre-Marie a alors connu
les joies de la fondation et des fondations,
mais aussi l’épreuve.
L’épreuve terrible des années 80
où tout semblait s’écrouler et où beaucoup le rejetaient.
Puis il y a eu le labeur des années 90
pour rédiger les Constitutions.
Par la suite, en 2005,pointait alors la nouvelle épreuve
qui sera celle des dernières années de sa vie
où tout semblait se fissurer et où il se sentait rejeté.

Or un dimanche après-midi,
avec plusieurs frères de la Fraternité de Paris,
Pierre-Marie visitait le musée de Cluny.
Voici comment Pierre-Marie raconte cette visite.

« On est allé visiter le musée lapidaire de Cluny
qui est sans doute un des plus beaux de Paris
du point de vue de l’art chrétien.
À la fin, je vais attendre tout le monde dehors.
Après avoir vu des beautés
plus sublimes les unes que les autres
dans la statuaire essentiellement,
je tombe sur un Ecce Homo assis et saisissant,
d’une beauté sublime.
Une sculpture de bois.
Alors je Le regarde… Il me regarde…
Alors, je me mets sur le côté, Il me regarde…
Je me mets sur l’autre côté, Il me regarde.
Qu’est-ce à dire ?
Je monte en haut sur le tabouret, Il me regarde…
Je me mets en bas, Il me regarde.
J’ai dit : ‘Mais alors,
qu’est-ce que c’est que ce Christ
qui me regarde comme ça ?
Il me surveille ?’
J’ai été saisi.
Et un visage !
Allez voir si vous voulez, peut-être cela ne vous dira rien,
moi, cela m’avait profondément touché.
Alors, je m’approche, tout près,
pour voir quand même ce regard et là,
il ne me regarde plus.
Donc, c’est quelqu’un qui me voit
mais qui ne m’accuse pas. »

Et Pierre-Marie conclut : « C’était saisissant ! ».

Autant dire que Pierre-Marie a été littéralement saisi
intérieurement par ce corps souffrant et si digne.
Saisi par le regrard si présent, si fort et si aimant
de Jésus délaissé, de Jésus exposé, mis à nu et humilié.

Pierre-Marie, l’athlète de la foi, le fondateur,
le bâtisseur infatigable, saisi par le Christ ;
Lui en moi, moi en Lui…

La troisième rencontre eut lieu peu de temps après.
Cela s’est passé à Cologne, le jour où Pierre-Marie
visitait l’église Gross Sankt Martin
que le Cardinal Meizner allait nous confier.
Voici, là encore, le récit que Pierre-Marie
fit aux frères prieurs en 2012 :
« On rentre dans l’église, on la regarde.
Je m’arrête devant le Christ aux outrages,
l’Ecce Homo de la petite abside latérale, à droite.
Et là, de nouveau je suis, mais alors, bloqué.
Je m’agenouille sur le prie-Dieu – ce n’est pas mon style –
je ne pouvais plus en sortir.
Il y avait derrière les sœurs Édith et Rébekka
(elles se disaient ‘il est quand même saisi !’).
Elles m’ont laissé un long moment
comme ça devant ce Christ.
J’étais fasciné, j’étais saisi. »

Le sportif de Dieu « bloqué », « fasciné », « saisi »…

Vous le savez, Pierre-Marie chantait,
proclamait, prêchait la Résurrection…
Il proclamait la Résurrection
parce que son cœur avait rencontré l’Agneau humilié,
le Christ blessé au Visage brûlant de souffrance et d’amour.

Et nous en venons à la quatrième rencontre.
Celle-là date des derniers mois de la vie de Pierre-Marie.
2008, 2009, 2010… Pierre-Marie est labouré intérieurement
par la désaffection de plusieurs.
Septembre 2010… Il est dépossédé, blessé, meurtri.
Son cœur saigne.

Et ce fut l’ultime épreuve de la maladie :
le cancer se répand dans son corps.
L’athlète de Dieu n’a plus que la peau sur les os.
Un frère qui souvent le soignait,
le vit un jour vêtu du minimum
et fut saisi par le corps décharné de Pierre-Marie.

Or Pierre-Marie reçut alors une lettre
de notre soeur Katarina de Cologne.
Voici comment Pierre-Marie le raconte :

« Je reçois un jour, une lettre de Katarina de Cologne.
Elle devait savoir que j’aimais ce Christ
et elle m’envoie le Christ justement, l’Ecce Homo,
une sculpture en bois extraordinaire, avec un visage
– c’est très curieux, c’est quand même
le sommet de la souffrance pour le Christ –
quasi souriant.
Je le regarde de près, alors je dis ‘Oh la la !
Qu’est-ce qu’Il est maigre !’
Et je me suis reconnu.
J’ai dit ‘Il est comme moi !’. Non ! Je suis comme Lui. Voilà !

Alors maintenant, je l’ai sur mon bureau.
Là Il me réconforte, Il me stimule, …
et alors ce qui est étonnant : je Le trouve très harmonieux. »
Et Pierre-Marie conclut : « Je suis sensible à l’Ecce Homo ».

Sensible, fasciné, saisi…
Le plus beau chapitre du livre de sa vie,
Pierre-Marie ne l’a-t-il pas écrit à travers sa maladie ?
Maladie vécue dans la foi, l’amour
et plus encore dans l’espérance.
Car il était porté intérieurement
par cette amitié infaillible avec Jésus.

Avec Jésus délaissé,
avec Jésus seul, monos, unus ;
avec Jésus silencieux,
d’un silence brûlant d’amour,
prégnant de miséricorde ;
avec Jésus présenté, exposé à la ville,
sur la Place publique de Jérusalem.
Ecce Homo.
« Voici l’homme » (Jn 19,5).
« Voici votre roi » (v.14).

Jésus dépouillé de tout,
offrant au Père la liturgie la plus brûlante d’amour
que la terre n’ait jamais connue.
Il n’y a plus rien d’une gloire extérieure, visible, tangible.
Rien.
Rien de rien.
Il n’y a plus que l’offrande,
Il n’y a plus que l’Amour.
Voilà le vrai moine !
Le seul moine !
Il n’a de règle que de S’offrir par amour.
Il n’a de règle que de donner sa vie en pure perte.
Tout est unifié en Lui par l’Amour.
Il ne S’appartient plus
parce qu’Il est tout au Père
et parce qu’Il est tout à tous.
Véritablement « unus ».
Celui qui rassemble dans l’unité
les enfants de Dieu dispersés (Jn 11,52).

*

Chers frères et sœurs, cette passion pour le Christ
est inscrite au cœur de notre charisme.
Passion pour le Christ,
ou plutôt Passion du Christ pour nous.
Notre ouvrage est de nous laisser saisir,
de nous laisser fasciner ;
de nous laisser déposséder humainement,
affectivement, matériellement, spirituellement ;
de nous laisser saisir entièrement par le Christ.

L’épreuve, qu’elle soit personnelle ou communautaire,
nous épuise, nous démantèle, nous décourage
jusqu’au jour où nous reconnaissons
le Christ délaissé et souffrant en nous.
N’est-ce pas ?
Le Christ Jésus qui veut déployer en nous et à travers nous
toute la puissance de Sa Résurrection
qui est puissance d’Amour
qui unit les âmes dans une indicible communion
dont l’Eucharistie est le Sacrement si bouleversant.

Voilà, frères et sœurs,
le merveilleux travail de l’Esprit Saint.
Qui rend glorieuse l’amère croix que tous nous portons ?
L’Esprit Saint !
C’est lui, l’Esprit Saint qui, aujourd’hui,
vient à nouveau S’unir amoureusement à nos faiblesses,
qui vient Se répandre en notre faiblesse
pour que transparaisse sur tous nos visages,
la joie de la Résurrection.

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