FMJ Mtl26e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – C
Frère Antoine-Emmanuel
Am 6, 1.4-7 ; Ps 145 ; 1 Tm 6, 11-16 ; Lc 16, 19-31
26 septembre 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Briseurs de murs

Frères et sœurs,
avez-vous perçu l’électrochoc de la Première lecture ?
Amos nous brasse fort !
Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles… (Am 6,1)

Amos dénonce avec vigueur ceux qui se vautrent
dans des lits d’ivoire et jouissent de banquets
copieusement arrosés de vin,
le corps dégoulinant d’huiles précieuses,
et qui ne s’affligent pas du drame de leur peuple,
inconscients, insouciants qu’ils sont de la déportation
qui les menace et qui bientôt va les réduire en esclavage.

Frères et sœurs,
il nous faut bien regarder si nous ne sommes pas tombés
dans cette insouciance aveugle,
si nous ne nous laissons pas séduire par les plaisirs de ce monde,
si un aveuglement spirituel n’a pas obscurci notre conscience.

Où en est ma liberté intérieure ?
Où en est mon éveil à ce que vit le monde, à ce que vit l’Église ?
Où en est ma quête de vérité ?

*

Quels moyens prenons-nous pour réfléchir,
pour écouter et obéir à notre conscience,
pour rester libres,
libres par rapport à ce que pense la majorité ?

Le Cardinal John Henry Newman disait ceci :
« Il arrive que dix mille personnes affirment
ce dont aucune d’entre elle n’est convaincue ;
chacun l’affirme parce que tous les autres le font,
craignant qu’en ne le faisant pas,
elle risque d’être jugée par les autres ».

Comment faire pour ne pas nous laisser balloter
et emporter à tout vent de la doctrine (Ép 4,14) ?
Un moyen essentiel et sûr, c’est de revenir à la Parole de Dieu,
en nous laissant enseigner,
en nous laissant juger par ce qu’elle nous dit,
par ce que Dieu nous y dit.

Prenez les quelques versets
de la Première lettre à Timothée de ce jour.
Paul nous met en garde contre l’orgueil qui aveugle (cf. 1 Tm 6,4)
et contre l’amour de l’argent (v. 10)
qui transperce l’âme de tourments sans nombre :
à nous de l’entendre !
Puis il nous appelle à la sainteté
à travers le bon combat de la foi (v. 12).
À nous de combattre !
Il devient ensuite très solennel pour nous prier,
presque nous supplier :
« Je t’en prie devant Dieu qui donne vie à toutes choses
et devant le Christ qui, sous Ponce Pilate,
a rendu son beau témoignage,
garde le commandement sans tache et sans reproche
jusqu’à l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ » (Am 6,13-14).

Garde LE commandement…
Et garde-le sans tache, sans reproche,
sans compromis, sans demi-mesure…

LE Commandement, le seul, l’unique,
c’est le commandement de l’Amour ;
l’Amour qui est la loi dans sa plénitude (Rm 13,10).

Je t’en prie : garde ce commandement de l’Amour.
Ne dévie pas !
N’abandonne pas !

Frères et sœurs, cet appel à aimer
prend aujourd’hui un relief particulier.
Écoutez simplement ces noms : Jean de Brébeuf, Isaac Jogues,
Antoine Daniel, Noël Chabanel, René Goupil,
Jean de La Lande, Gabriel Lalemant, Charles Garnier.
Est-ce qu’ils ne résonnent pas
de manière particulière dans nos cœurs ?
Est-ce qu’ils n’éveillent pas en nous notre propre vocation à aimer ?

Notre fondation ici à Montréal repose
sur le témoignage des martyrs canadiens.
C’est une force pour nous tous,
mais c’est aussi un défi, un appel :
aujourd’hui, il te faut revenir à ta vocation à aimer ;
veux-tu à nouveau répondre comme au jour de ta jeunesse (Os 2,17) ?
Veux-tu renouer avec la décision de te livrer qui t’a mené ici-même ?

Le Cardinal Newman disait ceci :
« Dieu m’a créé pour un service précis.
Il m’a confié un travail qu’il n’a confié à personne d’autre ».
À nous de redire oui à ce service, à ce travail,
qui est toujours travail de l’amour,
travail pour aimer.
« Aime et fais ce que tu veux » dit St Augustin.
Notre Livre de vie est là terriblement exigeant :
« Si quelqu’un ne voulait pas profondément aimer et pardonner,
qu’il n’entre pas ou ne reste pas dans la vie monastique » (LdV n°10).

Aimer, pardonner, aller jusqu’au bout de l’amour,
c’est aussi ce que l’évangile de ce jour nous demande.

Ce n’est pas un évangile facile que celui d’aujourd’hui,
avec ce Lazare affamé qui gît près du portail d’un riche,
portail qui jamais ne s’est ouvert pour lui…

Frères et sœur, que de portails fermés,
que de murs nous séparent les uns des autres…
simplement parce que nous ne voulons pas être dérangés
dans notre confort, ou même dans notre inconfort.

N’y a-t-il pas des Lazares qui gisent auprès de ton portail ?
Ne sommes-nous pas aussi des Lazares qui aimerions
que telle ou telle personne nous partage
un peu de ses richesses humaines, matérielles, spirituelles ?

Regardons, souvenons-nous des occasions de notre vie
où nous avons ouvert notre portail,
où nous avons brisé nos murs
pour partager avec un Lazare affamé de pain,
ou d’amour, ou de sourire.
Quelle grâce !

Souvenons-nous de ces occasions
où une personne nous a partagé ses richesses.
Quel joie !

Les murs maintenus préparent des abîmes de tristesse
comme nous le montre la parabole.
Mais les murs abattus préparent un bonheur éternellement partagé
et même démultiplié…
Frères et sœurs,
aurons-nous le courage de briser des murs cette année ?
Des murs culturels, éthiques, sociaux, religieux…

Nous y sommes appelés, nous moines et moniales
puisque notre Livre de vie nous dit clairement :
« Ne te contente pas de te dire frère de tous :
sois aussi l’ami de chacun » (LdV n°11).

Être priant au cœur de la ville, c’est briser un mur du mépris
parce que c’est proclamer que Dieu habite la ville,
que Dieu réside au cœur de tous,
du musulman, du chrétien et du juif,
du bouddhiste et du taoïste,
mais aussi de l’agnostique, de l’athée et du révolté.

Quel sens cela aurait d’être priant dans la ville
si nous regardions le monde de haut,
ou si nous le regardions par-dessus un mur de jugement ?

Chrétiens, nous sommes les disciples
de Celui qui a tué la Haine (Ép 2,16).
Jésus a détruit le mur qui séparait les gens pieux et observant
des gens qui ignorent la Loi de Dieu.
Gardons-nous bien de reconstruire des murs.

Frères et sœurs, nous avons désormais dans notre Sanctuaire
un signe discret, mais fort,
qui nous appelle à ouvrir le cœur aux autre.
D’où vient cette pierre d’onyx du nouvel autel,
de l’ambon et du siège du président ?
Elle vient d’un autre continent.
Elle vient d’un pays musulman,
elle vient d’un pays dont les dirigeants
s’affirment hostiles à l’Occident : elle vient d’Iran !
Ainsi en a disposé la Providence divine.
N’est-ce pas pour nous rappeler quotidiennement
notre appel à aimer d’un amour universel ?

Nous voici ramenés à notre lien avec Charles de Foucauld,
« petit frère universel »,
avec le Bienheureux Charles de Jésus
façonné par l’Eucharistie célébrée, adorée et vécue.
Car telle est bien la source où puiser l’Amour universel.
Car le Sang a été versé pour nous et pour la multitude (Mc 14,24).
Il a été versé pour rassembler dans l’unité
les enfants de Dieu dispersés (Jn 11,52).

Nous fêtons aujourd’hui les six ans de notre fondation.
Nous entrons donc dans la septième année :
ce devrait être l’âge de raison, de sagesse !
Et qu’est-ce que l’amour de sagesse sinon un amour universel
un amour puisé dans le Cœur eucharistique de Jésus
pour aimer comme Lui…

Seigneur Jésus, brise nos murs
et garde-nous bien d’en construire !
Entraîne-nous dans ton amour,
dans le beau travail de l’amour à la suite de tes martyrs
et de Marie à qui nous confions cette année nouvelle.
Amen

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