FMJ Mtl5e DIMANCHE DE PÂQUES – A
Frère Antoine-Emmanuel
Ac 6, 1-7 ; Ps 32 ; 1 Pi 2, 4-9 ; Jn 14, 1-12
20 avril 2008
Montréal, Sanctuaire du Saint-Sacrement

Et toi, Me connais-tu vraiment ?

« Il y a si longtemps que je suis avec vous,
et tu ne me connais pas, Philippe  ! » (Jn 14,9)

Philippe est l’un des douze ;
l’un de ceux qui ont suivi Jésus
depuis l’aube de sa vie publique.
« Et tu ne me connais pas, Philippe ! »

Philippe a entendu tant et tant de fois la Parole,
l’enseignement de Jésus :
sur le Mont des Béatitudes,
par les villes et les villages, au bord du lac,
dans la synagogue de Capharnaüm, chez Zachée
ou dans le Temple de Jérusalem.
« Et tu ne me connais pas, Philippe ! »

Philippe est l’un de ceux
qui ont été les témoins directs de si nombreux signes :
les guérisons à Capharnaüm,
la délivrance du possédé gérasénien,
la résurrection de la fille de Zaïre,
la guérison de Bartimé,
la résurrection de Lazare,
et tant d’autres.
« Et tu ne me connais pas, Philippe ! »

Ne pas connaître Jésus
cela signifie ne pas avoir reconnu
que tout ce que Jésus dit ou accomplit vient du Père.
Être Dieu, être Fils de Dieu
ne signifie pas être
dans une toute-puissance autonome
qui n’a besoin de personne.
Au contraire :
« Les mots que je vous dis,
je ne les prononce pas de moi-même » (Jn 19,10) .
« Moi, je ne parle pas de moi-même,
mais le Père qui m’a donné mission,
Lui m’a commandé
que dire et comment parler » (Jn 12,49).
Et les œuvres, et les signes ?
« Ce sont les œuvres
que le Père m’a donné à accomplir » (Jn 5,16).
Et même : « Le Père, demeurant en Moi,
fait ses œuvres » (Jn 14,10).
Souvenons-nous de ce que Jésus avait proclamé
après la guérison du paralytique de Bethesda :
« Je ne peux, moi, rien faire de moi-même » (Jn 5,30).

Philippe avait-il compris cela ?
L’avons-nous compris ?

Notre intelligence blessée, notre culture blessée,
nous a convaincu que l’humanité accomplie, adulte,
que l’humanité idéale,
est celle d’un homme,
d’une femme qui ne manque de rien,
et qui ne dépend de personne.
« Je n’ai besoin de personne sur ma Harley Davidson
chantait une star des années ′70 » !

Si cela était vrai,
alors l’humanité de Jésus
serait entièrement inaccomplie !
Car Jésus est Celui
qui vit constamment en dépendance du Père.
En son humanité, il vit à chaque instant
cette dépendance filiale,
cette obéissance aimante.
Sa mort et sa résurrection
vont-elles l’affranchir de cette dépendance ?
Non, tout au contraire,
elles le consacrent dans cette dépendance
puisque l’humanité de Jésus est toute entière saisie
dans la gloire du Fils,
et la gloire éternelle du Fils
est d’être Celui qui se reçoit éternellement du Père.
C’est sa gloire !
C’est sa divinité !
En Lui divinité et pauvreté sont inséparables !

Voilà qui démolit toute notre idée de Dieu
comme superpuissance.
En Dieu tout est communion
dans l’accueil réciproque des Personnes divines !

Et cela s’est rendu visible
un jour sur l’horizon de l’histoire :
c’était au Golgotha.
La divinité de Jésus
y a resplendi dans toute sa lumière :
sa divinité dans son infinie pauvreté,
dans sa soif infinie.
Divine pauvreté qui resplendit en sa résurrection
dans un éclat éternel de joie.

*

La pauvreté du Christ…
Quel mystère si loin de notre culture
du pouvoir et de l’autonomie.
Si loin et si proche parce que Jésus
dans son abandon sur la croix
s’est fait le prochain de toute humanité
aussi défigurée qu’elle puisse être.

La pauvreté du Christ :
qu’elle est gênante
pour l’homme dans son luxe (Ps 48(49),13)
qui ne veut comprendre !
Nous autres, constructeurs de société et de civilisation
cherchions des pierres
pour bâtir sur cette terre ;
trouvant un jour cette pierre-là,
la pauvreté du Christ,
nous l’avons regardée,
mais elle n’entrait pas dans nos calculs et nos projets,
et nous l’avons rejetée.
Nous l’avons rejeté définitivement
sur le tas de pierres du Golgotha.

Mais le Père n’a pas le même regard que nous.
Pour lui, cette pierre est la pierre choisie
et la pierre précieuse (1 Pi 2,4)
nous a dit aujourd’hui l’apôtre Pierre.
Le Père l’a aimée,
et le Fils en sa divinité – ignorée des hommes –
s’est laissé aimer dans la misère – notre misère –
qu’il avait fait sienne.
La pierre éliminée par les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle (Ps 117(118),22).
La pierre angulaire qui est aussi pierre de fondation,
c’est-à-dire qu’elle est la pierre qui fait tout tenir.
En elle, autour d’elle, tout tient.
Sans elle, tout s’écroule,
tout tombe en ruine.

Une vie qui n’est pas fondée
dans la pauvreté du Christ
ne peut durer, ne peut tenir.
Aucune construction humaine ne sera épargnée
par les flots de la mort
si elle n’est bâtie sur ce roc
qu’est le Christ pauvre et obéissant.

Il est la Pierre d’angle de tout édifice
que ce soit notre vie personnelle,
que ce soit l’amitié,
que ce soit le couple,
que ce soit la famille,
que ce soit la société elle-même,
il n’y a de solidité
que bâtie sur le roc de la personne du Christ pauvre.

Il n’est pas un chemin parmi d’autres
pour aller vers Dieu pour entrer dans le bonheur ;
Il n’est pas une vérité parmi d’autres
pour comprendre le sens de l’humain,
de la création, de Dieu Lui-même.
Il n’est pas une source de vie parmi d’autres.

« Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie
et nul ne va au Père sinon par moi » (Jn 14,6).

Notre vie, notre respiration,
notre joie, notre liberté est là :
nous recevoir de Jésus ;
recevoir de Lui la Route, la Vérité et la Vie
pour notre existence de chaque jour !

Si nous rêvons d’autonomie, de toute puissance ;
si nous rêvons de n’avoir besoin de personne
sur notre Harley Davidson ;
si nous rêvons de tout contrôler de nous et des autres
devant un écran extra plat,
nous nous coupons de la Vie.

Nous ne sommes vivants qu’en nous recevant de Jésus
et en nous recevant les uns des autres.

La joie est dans cette dépendance d’amour
où nous demeurons en Jésus et Lui en nous
exactement comme Jésus demeure dans le Père
et le Père en Lui.

Ce n’est pas une servitude,
c’est la véritable liberté,
c’est même la divine liberté.

L’être humain accompli
n’est pas un être fermé sur ses richesses,
mais un être de communion,
qui ne cesse de recevoir et de donner.
Le sur-homme, l’übermench de l’idéalisme allemand
nous savons où il nous a conduit :
à Auschwitz, à Dirhenau et à Dachau.

Le super-homme de l’être technologique
privé de repères éthiques,
ne fera pas mieux, s’il ne fait pas pire.

C’est pour cela que nous ne cesserons pas
de proclamer à la face du monde
que nous chrétiens,
nous ne connaissons et n’annonçons
nul autre salut,
nul autre bonheur,
qu’en Jésus crucifié,
scandale pour ceux qui réduisent la religion
à des lois et de la piété,
et folie pour ceux qui font de leur propre intelligence
la lumière ultime sur l’existence.

Si nous tenons fermes dans cette Bonne Nouvelle
qui dénonce l’erreur sans condamner quiconque,
alors nous serons ce que nous sommes :
la race choisie, le sacerdoce royal,
la nation sainte,
le peuple qui appartient à Dieu ;
le peuple chargé d’annoncer les merveilles
de Celui qui nous a appelés des ténèbres
à son admirable Lumière (1 Pi 2,9).

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