FMJ Mtl3e DIMANCHE DE CARÊME – A
Frère Antoine-Emmanuel
Ex 17, 3-7 ; Ps 94 ; Rm 5, 1-2.5-8 ; Jn 4, 5-42
24 février 2008
Montréal, Sanctuaire du Saint-Sacrement

De la femme de Samarie à la femme eucharistique

Combien nos visages sont différents !
Combien sont différentes
nos personnalités, nos histoires, nos cultures.
Mais s’il y a une chose que nous avons tous en commun,
c’est bien le désir d’aimer.
Le désir de la rencontre,
le désir de se donner,
le désir de recevoir,
le désir de la communion.

Qu’il soit épanoui ou refoulé,
qu’il soit déployé ou contrarié,
serein ou désorienté,
ce désir est là, au fond de chacun de nous.

De ce saint et beau désir,
la sexualité est le signe saint inscrit en notre chair,
mais ce désir implique tout notre être
à travers le regard, le sourire, la gestualité,
à travers le partage, le dialogue, le soutien mutuel,
à travers la mise en commun des idées,
des sentiments, du temps, de la prière,
à travers l’amitié
et jusqu’au mariage où l’alliance engage
toute la personne et toute la vie dans un don sans retour.

Il y a en nous tous en appel à aimer.
À aimer l’autre, frère ou sœur en humanité,
mais aussi à aimer l’Autre divin.
C’est inscrit en nous.
Paraphrasant Saint Augustin, nous pourrions dire :
Tu nous as fait pour aimer, Seigneur,
et notre cœur, notre esprit et notre corps,
sont sans repos
tant qu’ils ne s’épanouissent pas dans le don de soi.
Le désir d’aimer est en nous
mais qu’il est laborieux d’aimer et de se laisser aimer.

Notre histoire ressemble à celle – emblématique –
de la femme de Samarie
qui est marquée par une double aridité :
sa vie affective est désespérément aride.
Par cinq fois elle s’est engagée dans une relation,
et cinq fois elle a connu l’échec.
Elle a aujourd’hui un compagnon,
mais il n’est pas son mari,
le don total est encore une fois impossible.

Aimer Dieu lui est aussi difficile,
et là aussi elle connaît une douloureuse aridité
qu’elle partage avec son peuple.
Que de blessures dans leur histoire religieuse !
Sans oublier la question lancinante :
où adorer ?
Et qui adorer ?
Comment adorer?
Qu’il est difficile d’aimer un Dieu que l’on ne voit pas !

Le puits où elle puise l’eau
– ressource vitale pour sa vie quotidienne –
ne manque pas d’eau
et elle a la cruche nécessaire pour puiser.
Mais quand il s’agit d’étancher sa soif d’amour,
où aller ?
Où puiser l’amour ?

Où trouverons-nous la force d’aimer,
la joie d’aimer,
la persévérance dans l’amour ?
Peut-on acheter l’amour ?
Le Cantique nous répond :
Qui offrirait toutes les richesses de sa maison
pour acheter l’amour
ne recueillerait que mépris (Ct 8,7).

*

Cette femme de Samarie, aujourd’hui,
est une fois encore en route vers le puits,
vers la source de Jacob.
Elle vient puiser.
Mais voici qu’un homme, un juif,
la précède, ce midi, au Puits.
Un Homme fatigué, assoiffé : Jésus.
Assoiffé d’eau
et assoiffé d’elle.
Jésus engage le dialogue,
demandant à boire à la Samaritaine.
Mais très vite, il se présente, Lui,
comme celui qui donne à boire.
« Si tu savais le don de Dieu,
et qui est Celui qui te dit ‘donne-moi à boire’
c’est toi qui l’aurais prié,
et il t’aurait donné de l’eau vive (Jn 4,10). »
Aussi la scène s’inverse.
Ce n’est plus seulement Jésus
qui demande à boire à la femme,
c’est aussi la femme qui lui dit :
« Seigneur donne-moi de cette eau (vive)
afin que je n’aie plus soif. » (v. 15)

Mais qu’elle est donc cette eau vive que donne Jésus ?
N’est-ce pas justement
cette capacité d’aimer dont nous avons tous soif ?
De fait, Jésus, dans un dialogue extraordinaire
conduit peu à peu la femme de Samarie
à nommer ses vraies soifs,
à dire l’aridité de son cœur :
« Va, appelle ton mari … »(v. 16)
« Je n’ai pas de mari »(v. 17) ;
je ne sais pas aimer les hommes.
Et je ne sais pas non plus adorer Dieu.
Donne-moi l’eau vive !

Oui, Seigneur, donne-nous l’eau vive !
Frères et sœurs, voilà la prière
que nous pouvons faire aujourd’hui.
Fais jaillir en nous, Seigneur, la source de l’amour.
Aie pitié de nos déserts affectifs.
Aie pitié des déserts de notre vie de prière
Nous voulons aimer !
Donne-nous la source qui jaillit en vie éternelle,
c’est-à-dire la source d’amour que rien,
pas même la mort, ne peut assécher !

Mais comment cet homme, Jésus,
peut-il répandre l’amour
dans ce cœur de toute l’humanité ?
Il le peut parce que Lui-même reçoit du Père
l’Amour jaillissant en vie éternelle !
Et Il le fait en mourant pour nous :
« Alors que nous n’étions encore capables de rien,
le Christ, au temps fixé par Dieu,
est mort pour les coupables que nous étions » (Rm 5,6).

Son cœur pour nous a été transpercé
et il est devenu,
dans cette mort d’amour,
la Source vive qui étanche notre soif d’aimer !
Désormais, un cri parcourt l’humanité
« Venez puiser aux sources du salut »
« Que l’homme assoiffé s’approche,
que l’homme de désir
reçoive l’eau de la vie gratuitement » (Ap 22,17).

Oui, nous pouvons recevoir cette source !
Mieux : nous l’avons déjà reçue !
Quand ? lors de notre baptême !
Notre cœur de baptisé est une source divine !

Mais que faisons-nous de notre source ?
« Si tu savais le don de Dieu … » (Lc 4,10).
Le don de Dieu qui est où ?
Qui est en toi ?

Jésus, en ce Carême,
nous appelle à revenir à la Source
qu’Il est Lui-même :
« Si quelqu’un a soif,
qu’il vienne à moi et qu’il boive
celui qui croit en moi.
De son sein, jailliront des fleuves d’eau-vive». (cf. Jn 7, 37-39) .

Oui, revenons à la Source de l’Amour
qui est le Christ qui demeure en nous.
C’est par Lui,
c’est avec Lui
que seront enfin irrigués nos déserts affectifs
et nos déserts spirituels.

« Ce qui est beau dans le désert, disait Saint Exupéry,
c’est qu’il cache un puits quelque part. »
Ce puits, cette source en plein désert,
c’est Jésus Lui-même
dont nous avons vu
qu’il est toujours avec nous dans nos déserts.

Comme Moïse fit jaillir l’eau du rocher
pour le peuple assoiffé,
nous aussi pourrons faire jaillir l’eau
de ce roc d’amour et de vérité qu’est Jésus.
Avec quel bâton pourrons-nous frapper le Rocher
pour que jaillisse l’eau vive ?
Saint Paul nous répond :
C’est par la foi
que nous avons accès au monde de la grâce (Rm 5,2).
Notre bâton, c’est notre foi.
C’est par la foi que nous permettons
à la Source divine qui est en nous
d’irriguer toutes nos sécheresses relationnelles et spirituelles.
Et Paul poursuit :
« et notre orgueil à nous,
c’est d’espérer avoir part à la gloire de Dieu » (id.).
Oui, notre espérance, notre certitude
c’est d’être un jour éternellement saisis dans l’amour,
éternellement « amorisés ».

Mais cette espérance ne concerne pas seulement le Ciel,
puisque, nous dit Paul, « l’amour de Dieu,
(l’amour divin) a (déjà) été répandu en nos cœurs ».
Comment ?
Par le Saint Esprit qui nous a été donné. (Rm 5,5)

Gardons-nous du grand mensonge
proprement diabolique
qui affirme que Dieu n’aime pas que nous aimions.
C’est tout le contraire :
Il a soif, soif jusqu’à en être mort,
de nous voir aimer,
de répandre en nous l’Amour véritable et éternel
pour que nous l’aimions
et que nous nous aimions.

Combien nous serions heureux
si nous buvions à pleine gorgée chaque jour à cette source !
Et combien de personnes nous rendrions heureuses !

L’histoire est remplie de visages d’hommes et de femmes
dont la vie a été transformée
par cette source vive
qu’est le cœur de Jésus,
par les flots d’amour de l’Esprit Saint.

Nous pourrions raconter ici
tant et tant de merveilles
inscrites dans la mémoire de l’humanité.
Je m’en tiendrais à une seule :
Une femme non pas de Sychar en Samarie,
mais de Nazareth en Galilée ;
une femme dont l’amour est bouleversant : Marie.

Benoît XVI,
à la fin de la Lettre encyclique Deus Caritas est,
a ces mots formidables :
« des hommes de tous les temps
et de tous les coins du monde,
font sans cesse l’expérience
du don de la bonté de la Vierge Marie.
Ils font l’expérience de l’amour inépuisable
que Marie déverse du plus profond de son cœur.
Les témoignages de gratitude
qui lui sont attribués dans tous les continents
et dans toutes les cultures
expriment la reconnaissance de cet amour pur
qui ne se cherche pas lui-même
mais qui veut simplement le bien.
De même, la dévotion des fidèles
manifeste l’intuition infaillible
de la manière dont un tel amour devient possible :
il le devient grâce à la plus intime union avec Dieu,
en vertu de laquelle Marie
s’est totalement laissé envahir pas Lui
– condition qui permet à celui
qui a bu à la source de l’amour de Dieu
de devenir lui-même une source
d’où  jailliront des fleuves d’eau vive (Jn 7, 38).
Marie, la Vierge, la Mère,
nous montre ce qu’est l’amour
et d’où il tire son origine,
sa force toujours renouvelée. »

Vierge Marie, Notre Dame du Bel Amour,
en ce Carême où ton Fils nous appelle
à devenir les créatures nouvelles que nous sommes,
à nous convertir à notre vraie beauté,
intercède pour nous
et accompagne-nous chaque jour
pour nous apprendre à puiser à la source vive de l’Amour.
qui est ton Fils,
Verbe faits chair Eucharistique ;
Verbe devenu, en sa chair livrée,
source jaillissante en vie éternelle.

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