FMJ MtlLE SAINT SACREMENT DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST – A
Frère Antoine-Emmanuel
Dt 8, 2-3. 14b-16a ; Ps 147 ; Co 10, 16-17 ; Jn 6, 51-58
25 mai 2008
Montréal, Sanctuaire du Saint-Sacrement

Pour la vie du monde… d’aujourd’hui

11 août 1264.
Le Pape Urbain IV décide d’étendre à l’Église universelle
la fête du Corps et du Sang du Christ
jusque là célébrée dans quelques diocèses seulement.
Il le fit en ces mots :
« Qu’en ce jour, la foi s’épanche en bénédictions.
Que l’espérance bondisse de joie.
Que l’amour tressaille d’allégresse.
Que la dévotion jubile.
Que l’assemblée des saints soit remplie de douceur spirituelle.
(Qu’à cette fête) chacun vienne avec un esprit gai
et une volonté pleine d’affection »1.

Voilà ce qu’est la Fête-Dieu.
Un débordement de reconnaissance et de joie
de la part de l’Église
pour le « Don de Dieu par excellence »
qu’est la Sainte Eucharistie.
Il suffit de penser à Saint Jean-de-la-Croix
qui, au dire de Jean d’Avila,
dansait autour du Saint Sacrement
lors de la Procession de la Fête-Dieu.

Frères et sœurs, pensons un instant
à toutes les célébrations, à toutes les processions
qui se déroulent aujourd’hui de par le monde entier.
C’est un immense cri de joie qui s’élève
sous toutes les latitudes
parce que le Seigneur a voulu devenir pain,
notre pain,
notre pain véritable, notre manne véritable,

Pain de Vie, Pain vivant !
Mais cette joie est-elle légitime
quand on regarde avec lucidité l’actualité ?
Le monde n’est-il pas traversé justement
par une grave crise du pain ?

Les médias ont récemment dénoncé
la mort emblématique le 9 avril dernier
d’Amal, une femme égyptienne de 43 ans,
mère de 4 enfants
morte étouffée dans une bousculade
pour obtenir son quota de 20 galettes de pain ?
Comme tant d’autres, elle avait crié « eish ! ».
Ce mot veut dire « du pain ! »
mais il signifie aussi « la vie ! ».
Scène insoutenable,
et cela d’autant plus
qu’elle n’est qu’une parmi tant d’autres,
du fait de la flambée des prix des céréales.
De juin dernier à aujourd’hui,
le prix du riz a triplé !
D’où ces émeutes de la faim
qui depuis un an se multiplient
aussi bien au Mexique, en Haïti, en Inde,
en Afrique, au Pakistan ou au Bengladesh.

Le monde a faim ; terriblement faim !
Pouvons-nous alors danser de joie
devant le « Pain vivant »,
devant la Sainte Eucharistie
comme jadis Saint Jean-de-la-Croix ?

Frères et sœurs, la réponse à cette question,
nous la trouvons
dans la Parole de Dieu entendue aujourd’hui.
« Le pain que je donnerai, dit Jésus, c’est ma chair,
donnée pour que le monde ait la vie » (Jn 6, 51).
« Pour que le monde ait la vie » :
pas seulement les disciples,
pas seulement l’Église Catholique,
mais le monde, le monde entier.

Jésus confirme ainsi
ce qu’il avait proclamé peu de temps auparavant :
« Le Pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel
et donne vie au monde » (Jn 6,33).
Au monde !
La Sainte Eucharistie est Don de Dieu
pour la vie du monde !
Du monde d’aujourd’hui !
Du monde contemporain secoué par ses guerres,
ses injustices, ses crises éthiques,
bioéthiques, environnementales,
mais aussi par cette crise financière
qui génère la crise du pain.

Mais comment la Sainte Eucharistie,
comment ce peu de pain et ce peu de vin
offerts sur cet autel
peuvent-ils donner vie au monde ?

Frères et sœurs, aujourd’hui, sur notre planète,
est-ce le blé, le maïs et le riz qui manquent ?
Non !
Ce qui manque c’est la solidarité
pour partager les ressources existantes.
Une solidarité à l’échelle de la planète,
solidarité au sens le plus fort du terme
qui se sacrifie pour que l’autre ait la vie.

Est-ce la globalisation qui manque ?
Non !
Elle est omniprésente !
Ce qui manque c’est une globalisation
de la solidarité, de la charité 2.

Et comment pourra-t-elle advenir ?
Par un leader politique qui s’en fera le porte-parole ?
C’est insuffisant !
Par des groupes de pression, des ONG,
et même par l’exemple d’une nation ou d’un peuple ?
Ce sera encore insuffisant.

Il faut un levain de solidarité vécue, en actes
qui soit présent dans le monde entier,
et qui témoigne d’une autre manière de vivre,
d’un autre rapport aux biens de la terre,
non pas à partir d’une idéologie généreuse,
mais à partir de Dieu,
à partir de l’amour de Dieu,
de l’amour crucifié.

Le monde d’aujourd’hui a besoin
d’un peuple de témoins qui traverse les frontières,
et qui soit brûlant de charité,
brûlant de la charité du Christ !
En d’autres termes, d’un peuple qui vive de l’Eucharistie ;
car on ne sort pas indemne de l’Eucharistie :
elle nous transforme,
elle nous saisit dans l’offrande
que Jésus fait de lui-même au Père et à tous.

La Sainte Eucharistie nous plonge
dans l’adoration du Père
et cette adoration se vit
en partageant le pain avec les frères.
Elle nous mène au plus grand sacrifice
qu’on puisse offrir à Dieu,
c’est-à-dire à la concorde fraternelle (DTB, p. 45).
Elle nous fait devenir Église,
ce peuple brûlant de charité
dont le monde a tellement besoin aujourd’hui
pour ne pas mourir de faim,
de faim du corps et de l’âme.

Avec la Parole de Dieu,
La Sainte Eucharistie suscite un peuple
qui existe pour les autres,
qui existe pour le monde.
Y a-t-il une célébration de l’Eucharistie
où nous ne présentions pas le monde entier à Dieu
en criant : « Seigneur souviens-toi » ?
en priant : « étends au monde entier le salut et la paix » ?
L’Eucharistie ouvre notre cœur au monde entier.
Et pourrions-nous adorer le Saint-Sacrement
sans nous unir à Jésus qui s’offre
pour le monde,
pour le monde d’aujourd’hui ?

La Sainte Eucharistie suscite,
éveille en nous une profonde solidarité.
Je pense ici, par exemple à l’économie de communion
développée par les Focolaris
ou à l’engagement pour la paix
mené par la Communauté San Egidio.
Plus : l’Eucharistie est un constant défi
à la qualité de notre vie et de notre amour.
Qu’ai-je fait de mon frère ?
Jésus ne cesse de nous le demander :
qu’avez-vous fait de moi qui me suis identifié
au malade, à l’assoiffé, à l’immigré, au prisonnier ?
L’amour brûlant qui est l’Eucharistie
ne cessera jamais de nous interpeller !

N’est-ce pas ce dont notre histoire québécoise témoigne ?
Si de belles valeurs de solidarité
et d’accueil de l’étranger
continuent de briller ici aujourd’hui
n’est-ce pas parce que l’Eucharistie
a été dans les siècles passés,
un véritable ferment de culture ?
L’Eucharistie rappelle le droit des pauvres
et le devoir de la justice et de la solidarité.
Elle éveille la communauté
au don immense de la nouvelle alliance
qui appelle l’humanité entière
à devenir plus grande qu’elle-même (DTB, p. 54).

Les idéologies de tous ordres,
aussi généreuses qu’elles soient,
échoueront toujours contre le roc
qu’est la dureté du cœur humain.
Mais ce même roc, le Christ en a pris la dureté
et y a ouvert un passage vers la vie,
rendant possible une culture de la solidarité et de l’amour.

Voilà ce que l’Eucharistie nous redonne sans cesse :
une inspiration nouvelle
et une force nouvelle et divine
pour la vie du monde,
à partir d’un renouvellement intérieur
des cœurs et des mentalités.

Frères et sœurs,
tout homme, toute femme est appelé à l’amour.
Or, la Sainte Eucharistie nous y conduit,
dans l’amour vrai qui se sacrifie
pour que l’autre ait la vie,
pour que l’autre ait du pain.
Il y a dans la Sainte Eucharistie
la puissance pour une transformation intérieure
de toute l’humanité :
La Sainte Eucharistie contient l’essentiel
de la réponse chrétienne
au drame d’un humanisme
qui a perdu sa référence constitutive
au Dieu créateur et sauveur (DTB, p. 13).

Alors, pouvons-nous danser de joie aujourd’hui
devant le Saint Sacrement ?
Oui, parce que l’Eucharistie est don de Dieu
pour la vie du monde entier,
à commencer par les plus pauvres.
Oui, mais à condition
de ne jamais célébrer l’Eucharistie froidement,
égoïstement pour notre bonne conscience religieuse
ou notre petit bonheur.

L’Eucharistie n’est pas un pain
pour se rassasier humainement.
Elle est un Pain pour mourir.
Elle est le Pain
qui me donne la force de mourir d’amour.
Elle nous insère dans le sacrifice de Jésus
pour la vie du monde.
Elle nous fait membre de son Corps
offert en sacrifice d’amour pour ressusciter,
mais pour ressusciter ensemble avec les plus démunis.
« Le pain que nous rompons
n’est-il pas communion au corps du Christ ?
Et la coupe d’action de grâce que nous bénissons
n’est-elle pas communion
au sang du Christ ? » (cf. 1 Co 10, 16-17).

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1. Bulle Transiturus de hoc mundo Salvator
2. DTB (Document théologique de base) du CEI (Congrès eucharistique international), p. 57.