FMJ Mtl4e DIMANCHE DE PÂQUES – C
Frère Antoine-Emmanuel
Ac 13, 14.43-52 ; Ps 99 ; Ap 7, 9.14b-17 ; Jn 10, 27-30
29 avril 2007
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Quel berger suis-tu ?

Le bon berger.
Le beau berger.
Ce thème a touché profondément
les premières générations chrétiennes
à en croire la littérature et l’iconographie
des premiers siècles de l’Église.
Mais, aujourd’hui, à l’époque des i-pods dernière génération,
ce thème nous parle-t-il encore ?
Il n’y a pas de moutons ni de bergers sur le boulevard René-Lévesque
ou sur la rue Sherbrooke !
Ce thème peut-il encore nous toucher ?
Au premier regard, non.

Mais regardons bien
comment Saint Jean nous parle des brebis et du berger.
Pour lui, le berger est avant tout
celui qui rejoint le troupeau enclos dans son bercail, dans son parc,
et qui le fait sortir pour le conduire à travers collines et vallées
vers les pâturages et les sources.
Le berger est celui que suivent les brebis
parce qu’elles connaissent sa voix (Jn 10,4).

Frères et sœurs, l’image est-elle si périmée que cela ?
N’y a-t-il pas des bergers que beaucoup suivent
– que nous suivons – en notre temps ?
Je pense à trois bergers – de nature bien différente –
que suivent des foules immenses :

Le premier est un berger terriblement exigeant : c’est la mode.
Mode vestimentaire, mode alimentaire,
mode technologique et mode de pensée.
Ce berger-là n’arrête pas de nous faire marcher
et d’exiger de grands sacrifices.

Le second berger de notre temps
est un berger à priori bon et bienfaisant,
mais qui tend à devenir aliénant.
Je pense aux médias, à la grande nébuleuse des médias,
en particulier à l’internet qui capte de plus en plus nos énergies,
notre temps, notre liberté jusqu’à nous emmener
dans le monde purement virtuel de la « second life ».

Le troisième berger qui séduit notre temps est, je crois, la mort.
Berger qui séduit sous les habits du désespoir,
de l’athéisme idéologique et du suicide.
La mort les mène paître (Ps 48[49],15) dit l’Écriture
sinistre berger qui séduit bien des jeunes
comme le tueur du Collège Dawson.

Non, l’image du berger n’est pas désuète du tout.
Elle nous mène à nous interroger :
Mais nous, qui suivons-nous ?
Suivons-nous ces trois bergers
qui ressemblent plus au « voleur »,
au « mercenaire » et au « loup » (Jn 10,8.12)
qu’au berger véritable
qui veut le bien de ses brebis.

Tous nous sommes plus ou moins pris dans les liens
de ces faux bergers et il nous faut le reconnaître.
Le bercail de notre humanité du XXIe siècle
est soumis à leurs influences
qui mène au trouble intérieur, à l’agitation,
à la tristesse, à la peur, à la violence.

Mais c’est là, c’est bien là
que vient le Ressuscité entrant à travers les portes closes
de nos peurs pour nous offrir sa paix (cf. Jn 20, 19).
C’est dans le bercail de nos avenues,
de nos « un et demi »,
de nos bars,
de nos écrans plats dernière génération,
que le bon Berger vient nous rejoindre
non dans le virtuel,
mais dans le plus réel, le plus existentiel de notre vie.

Il nous rejoint ;
Il nous appelle ;
Il nous offre de le suivre ;
Il nous offre de quitter les enclos et les barrières
qui étouffent notre liberté intérieure
pour nous mener vers la vérité, vers la vie, vers la joie éternelle.

Aujourd’hui, ce matin, ici-même,
Jésus vient, traversant par amour nos peurs et nos angoisses
pour nous rejoindre et nous appeler.

Que nous dit-il ?
Il nous dit : « Mes brebis, je les connais » (Jn 10,14).
Jésus nous connaît.
Oui, il nous connaît parce qu’il s’est fait agneau.
Il connaît nos faiblesses
puisqu’il y est descendu et désormais nous y attend.
Il connaît aussi ce pour quoi nous sommes faits,
notre vraie destinée : la gloire de Dieu
qui saisira notre humanité comme elle a saisie la sienne.
De notre faiblesse à notre gloire,
il nous connaît.
Chacun.
Personnellement.

Et que nous donne-t-il ?
Il ne nous donne rien de ce que la mode exige,
rien de ce que la publicité fait miroiter,
rien de ce que la mort semble offrir.
Je leur donne la vie éternelle (Jn 10, 28a)
Il nous donne de vivre,
de vivre pleinement,
de vivre de sa vie qui est éternelle.
Son sang « lave » nos vêtements salis par nos péchés
et nous pourrons, tout revêtus de blanc,
des palmes à la main,
chanter sans fin la gloire de Dieu (cf. Ap 7,9).

Et que nous promet-il ?
Mes brebis, jamais elles ne se perdront (Jn 10,28b).
Si nous écoutons la voix de Jésus
et le suivons sur le chemin de l’amour,
jamais nous ne nous perdrons !
Aucun ravin ne sera trop profond
pour qu’il ne puisse nous y chercher.
Et personne, pas même Satan
ne pourra nous arracher de sa main.
Satan pourra nous tenter,
nous vexer et même vouloir s’emparer de nous,
il ne pourra pas nous arracher de la main de Jésus.
La main de Jésus…
image magnifique !
C’est la main qui protège,
la main qui conduit,
la main qui guérit, qui bénit, qui console, qui caresse.

Aujourd’hui, frères et sœurs,
cette main nous est tendue :
prenons-la !
Elle nous tire vers l’amour,
elle nous tire vers le ciel !
L’icône nous le montre : Jésus nous tire à lui,
nous attire à lui !
Ne soyons pas comme ces juifs d’Antioche de Pisidie
qui ne se jugeaient pas dignes de la vie éternelle (cf. Ac 13,46).
Laissons-nous attirer par Jésus.
Et puis regardons bien : quand nous saisit la main de Jésus,
c’est la main du Père elle-même qui nous saisit
et nul ne peut rien arracher de la main du Père (Jn 10,29).

Oui, remettons-nous par Jésus dans la main du Père
qui aime notre vie,
qui désire notre vie,
et qui essuiera toutes larmes de nos yeux (Ap 7,17).

Qu’elle est bouleversante cette main du Père
qui essuiera les larmes du Darfour, de l’Irak,
des jeunes suicidés, des enfants avortés…
et de chacun de nous.

C’est bien vers l’Éternité,
c’est vers les eaux de la source de vie (id.)
que le bon pasteur, Jésus, nous conduit.
À nous aujourd’hui de dire oui,
et de nous remettre en marche en le suivant
sur la voie de l’amour comme le dit l’apôtre Paul (Ep 5,2).

Car le chemin sur lequel Jésus nous mène,
le chemin qui mène aux pâturages du ciel,
c’est le chemin du don de soi.

Un jour le grand théologien Dino Barsotti
eut cette phrase qui lui valût bien des rancœurs :
« gli scapoli e le zitelle non vanno in paradiso ».
Je traduis avec prudence :
les vieux garçons et les vieilles filles
qui vivent pour eux-mêmes,
qui ne s’intéressent qu’à eux-mêmes
ne sont pas sur le chemin qui mène au Paradis.

Et l’on doit en dire autant des consacrés
qui ne se préoccupent que de leur gloire ou de leur tranquillité,
ou encore des pasteurs
qui se paissent eux-mêmes et dévorent le troupeau.

Non, suivre Jésus, c’est donner sa vie !
« Très chers et doux frères, écrivait Catherine de Sienne
à des jeunes dominicains de Pise,
sortons-nous,
sortons-nous d’une si grande négligence
et courrons avec empressement sur les chemins de la vérité.
Courrons avec sollicitude, morts à tout ce qui n’est pas Dieu.
Que l’ingratitude des créatures ne nous arrête pas.
Semez, semez la parole de Dieu,
faites fructifier les talents qui vous sont confiés ! »
(Lettre à frère Barthelemy Dominici)

Oui, frères et sœurs,
courrons tous sur la voie du don de nous-mêmes.
Courrez, en particulier, vous les jeunes adultes,
empressez-vous de perdre votre vie dans l’amour.
Ne remettez pas au lendemain
la folie de l’amour.
Comme le disait Sainte Catherine :
« Ouvrez, ouvrez votre âme
pour y recevoir votre prochain par amour et par désir ». (id.)

« Qui veut sauver sa vie la perdra
mais qui perdra sa vie à cause de Moi
celui-là la sauvera » (Lc 9,24).

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