FMJ Mtl5e DIMANCHE DE CARÊME – C
Frère Antoine-Emmanuel
Is 43, 16-21 ; Ps 125 ; Ph 3,8-14 ; Jn 8, 1-11
25 mars 2007
Montréal, Sanctuaire du Saint-Sacrement

Il fut condamné parce qu’il ne condamnait pas

La première Lecture de ce dimanche
nous plonge dans l’expérience du peuple en exil.
Privé de tout ce qui lui donnait son identité,
Israël se trouve sur les lointaines rives
des fleuves de Babylone (Ps 136(137).
Où est Dieu ?
Où est le Dieu d’Israël, le Dieu fidèle ?
Nul doute qu’il est dans le passé,
lui qui jadis sauva Israël des griffes de Pharaon.
Mais aujourd’hui, où est-il ?
La grâce, la libération, le salut
semblent n’appartenir qu’au passé.

C’est alors que retentit la voix du prophète,
du disciple d’Isaïe dont l’appel est déconcertant :
Ne vous souvenez plus des événements anciens,
ne pensez plus aux choses passées (Is 43,18).
C’est-à-dire ne pensez plus à la libération de l’Égypte,
ne pensez plus aux grâces du passé !
Mais n’est-ce pas là priver Israël
du seul appui qui lui restait : la mémoire ?
Il nous faut lire la suite de l’oracle :
Voici que je vais faire une chose nouvelle :
déjà elle germe, ne la reconnaissez-vous pas ? (Is 43,19)

Ne pensez plus à la grâce d’autrefois
parce qu’une grâce plus grande, beaucoup plus grande
est en train de germer !
Et cette grâce est l’extraordinaire libération de l’exil
qu’Isaïe connaîtra peu de temps après.

*

Frères et sœurs,
il y a des moments de notre vie
où nous sommes convaincus
que la grâce de Dieu appartient au passé.
Oui, Dieu m’a visité dans le passé,
mais aujourd’hui, je fais ce que je peux et Dieu est loin.
Il est loin parce que je suis tombé et retombé dans mes misères.
La grâce appartient au passé ;
aujourd’hui, c’est comme si Dieu m’avait dit :
« Maintenant débrouille-toi ! »

Or voici qu’en ce jour, l’Église nous donne la prophétie d’Isaïe
pour desserrer cet étau intérieur qui pèse sur nous.
La grâce n’appartient pas à notre passé.
Elle accompagne toute notre vie,
et la grâce la plus grande
est nécessairement devant nous et non derrière nous.
Le Seigneur nous invite à regarder les germes de vie nouvelle
qui sont déjà présents dans ce que nous vivons,
et à ouvrir notre cœur :
voici que je vais faire une chose nouvelle ! (Is 43,19)
Non, Dieu ne nous a jamais dit :
« Maintenant débrouille-toi ! »
Il ne sait même pas le dire,
parce que son amour ne le lui permet pas !

*

Mais quelle est cette chose nouvelle qui s’approche de nous ?
C’est l’Évangile qui va nous la révéler.
Cet Évangile qui va prendre chair dans notre vie
à la mesure de notre écoute.

Nous venons d’entendre le récit bouleversant
de cette femme de Jérusalem, de cette femme mariée
qui vient de plonger dans les ténèbres de l’infidélité conjugale.

Qu’a donc vécu cette femme ?
L’Évangéliste nous dit que nous sommes au petit matin.
Cette femme vient de faire l’expérience de l’adultère.
Nuit de plaisir et de tourment.
Nuit de passion et de péché.
Ivresse de sa sensualité, mais déchirement de son âme.
Infidélité, mensonge, délit au regard de la loi,
rupture avec Dieu et avec son peuple.

Puis ce fut la prise en flagrant délit
et sur elle s’est fermée l’étau de la condamnation.
Scribes, pharisiens et docteurs de la loi
s’agitent autour d’elle, l’accusent, la condamnent.
Sans appel.
Sans miséricorde.
Et les pierres sont de plus en plus proches.

Mais voici qu’elle se voit menée au Temple
pour se retrouver en face du rabbi Jésus de Nazareth.
Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère.
Dans la loi, Moïse nous a commandé de lapider ces femmes-là.
Toi donc, que dis-tu ? (Jn 8,4-5)

Que va donc me dire ce Jésus ?
Cet homme plus intègre et plus vrai que tous
va-t-il renforcer ma condamnation ?

Or Jésus ne dit rien.
Il s’est même penché et demeure silencieux.
De son doigt, il écrit
sur les dalles de pierre couvertes de poussière
de l’esplanade du Temple.
Comme en écho des tables de pierre, des tables de la loi,
écrites de la main de Dieu (cf. Ex 24,12).
Qu’est-il en train d’écrire ?
Peut-être ce qu’il s’apprête à dire
et qui constitue comme une loi nouvelle ?

Car, sous l’insistance des accusateurs
qui sont ses propres accusateurs
plus encore que ceux de la femme
– qui n’est pour eux qu’un objet utilisé pour piéger Jésus -,
sous leur insistance,
Jésus se redresse et clame le nouveau commandement :
Que celui d’entre vous qui est sans péché
lui jette le premier une pierre (Jn 8,7).

Jésus n’est-il pas en train de contredire la loi ?
Non, il ne la contredit pas, il l’accomplit.
Car le sens de la lapidation de l’homme
et de la femme coupables d’adultère
est bien donné dans le Premier Testament :
Ainsi, tu feras disparaître d’Israël le mal (Dt 22, 22).
Or c’est bien cela que fait Jésus.
Il fait disparaître du cœur des humains
ce mal terrible qu’est la condamnation du frère.

Car affirmer que seul un homme sans péché
peut jeter la première pierre,
que seul qui est sans péché peut condamner,
signifie qu’aucun humain ne peut plus condamner.
Jésus nous ôte toute faculté de condamner quiconque.

Le péché, oui, est et reste condamné,
mais pas le pécheur.
Jésus ne relativise pas le péché d’adultère :
il parle bien des peines qu’il mérite
et bientôt il dira à la femme :
Désormais, ne pèche plus (Jn 8,11) !

*

Alors, nous dit l’Évangile,
tous s’en vont,
à commencer par les presbiteroi, par les plus anciens.
La femme voit l’étau de la condamnation se desserrer peu à peu,
et la voici seule en face de Jésus qui,
de nouveau, penché vers le sol, écrit sur la pierre.
Qu’écrit-il ?
Sans doute son propre commandement
qu’il va publier au risque de sa vie dans un instant.
Car, se relevant,
Jésus a ces mots extraordinaires de la part de Dieu :
Moi non plus je ne te condamne pas (Jn 8,11).
Lui seul pouvait condamner,
lui seul pouvait jeter la première pierre,
car il est sans péché.
Mais il ne condamne pas.
Et pour cela, il sera condamné
par ceux qui sont partis pour tramer sa mise à mort.
Il sera condamné parce qu’il ne condamne pas.
Il sera condamné prenant sur lui
la condamnation de toute notre humanité adultère.

Va, dit Jésus, à la femme (Jn 8, 11).
Et voici cette femme qui s’en va.
Est-elle simplement acquittée ?
Est-elle laissée à elle-même et à son vice ?
Non !
Car désormais elle a connu la miséricorde.
Elle, qui ne connaissait pas l’amour vrai,
vient d’entrer dans une relation
qui nécessairement transformera sa vie.
Les paroles de Jésus :
désormais ne pèche plus
résonnent comme : désormais ne me quitte plus ! (Jean Vanier)
Elle qui avait sombré dans les ténèbres,
vient de découvrir la lumière de Celui qui,
dans le verset qui suit dans l’Évangile de Jean, dira :
Moi, Je suis la Lumière du monde.
Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres,
mais aura la Lumière de la Vie (Jn 8,12).
L’aurore dont parle notre page d’Évangile
n’était pas seulement celle du soleil,
mais celle du Christ dont la Lumière s’est levée
dans l’âme engourdie et enténébrée
de cette femme en quête d’amour.

Voici que je vais faire une chose nouvelle (Is 43,19)
nous a dit le Seigneur.
Cette chose nouvelle, cette nouveauté toujours neuve,
c’est cet étau de la condamnation qui éclate
parce que entre en nous,
et par nous dans le monde,
la lumière de la miséricorde.
C’est à chacun de nous que Jésus dit :
Moi non plus je ne te condamne pas !

De cette libération,
n’avons-nous pas vu les germes dans notre vie,
peut-être tout particulièrement pendant ce Carême ?
Et pour l’accueillir plus encore,
nous pourrons, ces jours prochains,
en priant devant la croix,
écouter le Crucifié nous dire :
Je ne te condamne pas !

La nouveauté qui germe,
c’est la vie de Jésus
qui germe en nous et autour de nous !
Il est là devant nous
qui écrit silencieusement la loi nouvelle de notre libération.
Il prend sur lui toutes les condamnations du monde,
il prend sur lui toutes nos nuits
pour que son visage de lumière brille à jamais en nous !

Comme on comprend alors l’aveu de l’apôtre Paul
jadis un farouche partisan des condamnations et des lapidations
qui confesse aux chrétiens de Philippe :
À cause de Jésus, j’ai accepté de tout perdre.
Je considère tout comme d’immondices
en vue d’un seul gain : le Christ (Ph 3,8).
Pour Paul, le bien qui dépasse tout
c’est la connaissance du Christ Jésus son Seigneur.
Connaître le Christ,
voilà le bien précieux, infiniment précieux, incomparable,
qui donne sens à notre vie entière.
Connaître le Christ comme l’a connu la femme adultère
et beaucoup plus qu’elle.
Le connaître et connaître la puissance de sa résurrection
et de la communion à ses souffrances ;
devenir conforme à sa mort afin de parvenir, si possible,
à la résurrection des morts (cf. Ph 3,10-11).
Voilà ce que nous allons vivre ensemble
à travers la liturgie pénitentielle et la Semaine Sainte.
Nous allons être plongés dans la connaissance de Jésus,
en étant plongés dans le Mystère pascal.

*

Seigneur Jésus, tu nous dis : va et ne pèche plus.
Oui, nous ne te quitterons plus.
Avec toi, nous ne condamnerons plus quiconque
quitte à en être condamnés.
Avec toi, nous serons au cœur de notre monde
des instruments de ta miséricorde !

Alors comme tu le dis par ton prophète :
Le peuple que je me suis formé
publiera mes louanges (Is 43,21).
Oui, Seigneur, aujourd’hui,
que notre Eucharistie soit louange !

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