FMJ Mtl23e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – C
Frère Antoine-Emmanuel
Sg 9, 13-18 ; Ps 89 ; Phm 9b- 10.12-17 ; Lc 14, 25-33
9 septembre 2007
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

On ne peut être disciple de Jésus tout seul

Avez-vous entendu ce que dit Jésus à qui veut Le suivre ?

– Préférer radicalement Jésus à toute autre personne,
y compris à soi-même.
– Accepter l’épreuve que les autres nous feront subir
à cause de notre foi.
– Dire adieu à tous nos biens.

Frères et sœurs, une chose est certaine :
Jésus dans ses années à Nazareth
n’a pas travaillé dans une agence de publicité
ou de marketing électoral.
Ce qu’il affirme aujourd’hui a de quoi dissuader
les foules de se mettre à sa suite.

Alors, quel est donc le sens de cette radicalité
qui nous fait si vite rebrousser chemin ?

*

Je vous propose de partir ce matin de quelques lignes
de l’archevêque de Vienne, Mgr Christophe Schönborn,
dans une récente interview :
« Je pense que le défi que nous devons affronter aujourd’hui
dans une société fortement déchristianisée comme la nôtre,
est celui de vivre le christianisme, la foi chrétienne,
presque comme une alternative, une société de contraste.
Non pas pour se mettre à l’écart,
mais pour proposer l’Évangile, la foi,
comme la véritable alternative pour la société d’aujourd’hui. »

Est-ce que la grâce que Dieu nous offre
au creux de la nuit spirituelle que traverse l’occident
ne serait pas de découvrir la foi chrétienne
non plus comme une nécessité sociologique allant de soi
mais comme une « alternative » ?
La foi chrétienne aujourd’hui apparaît clairement
– et cela est magnifique –
comme autre, comme radicalement différente
de ce que le monde propose.

Se pose alors la question :
qui montrera au monde d’aujourd’hui cette alternative ?
Qui fera voir au monde le style de vie alternatif de l’Évangile ?
Et cela en restant dans le monde…

La question n’est pas « qui en parlera »,
mais « qui le montrera ».

La réponse est simple : c’est nous.
Nous avons été choisis par Dieu pour vivre et témoigner de Lui.
Dieu vous a appelés ;
Dieu nous a appelés
parce que le Québec d’aujourd’hui
a besoin de chrétiens et de chrétiennes
qui Lui fassent voir l’alternative chrétienne
en vivant vraiment de l’Évangile.

Pas des chrétiens qui entreprennent une vie spirituelle,
une vie de disciple
et qui abandonnent à mi-chemin
comme l’homme de l’Évangile,
incapable d’aller jusqu’au bout
de la construction de sa tour
et qui devient la risée de tous.

Pas des chrétiens qui commencent
à mener le bon combat contre le vieil homme,
le monde, le péché, le diable
et qui se retrouvent sur le tapis.

Non, il faut des chrétiens, chrétiennes qui ne vivent pas la foi
comme un hobby spirituel
et qui n’abandonnent pas la partie
quand ça devient trop rude.

Un bel exemple de cette alternative chrétienne vécue pleinement,
nous l’avons aujourd’hui
dans ce que Paul propose à Philémon.
Philémon avait toutes les raisons selon de monde
de faire payer à son esclave Onésime sa fuite
et sans doute des méfaits commis autrefois.

Mais Paul l’appelle à l’alternative
de la charité, de la miséricorde,
lui demandant d’accueillir Onésime
comme un frère bien-aimé (cf. Phm 1,16) !
Philémon a-t-il accepté cet appel ?
Nous ne le savons pas.
Et nous, accepterons-nous
d’entrer franchement dans l’alternative chrétienne ?

Aujourd’hui, il faut nous asseoir, comme dit l’Évangile (Lc 14,28),
pour voir si nous sommes à même de mener jusqu’au bout
la vie de disciples, témoins du Christ dans le monde.

Quelle question devons-nous nous poser ?
Est-ce : Voyons, est-ce que je suis assez doué,
assez brillant, en assez bonne santé,
en bonne forme psychologique ?
Mon histoire est-elle sans blessure et sans péché ?
Suis-je libre de toute mauvaise tendance ?
Non !
La question est toute autre ; elle est triple.

La première question est :
suis-je décidé à donner à Jésus
la première place dans mon cœur ?
Que Lui seul soit le roc de mon cœur (Ps 72(73)26) ?
Ma « station de ravitaillement »
où puiser l’énergie profonde pour vivre
ne sera plus telle personne parente ou amie,
ni même par propre estime pour moi-même :
ce sera Jésus !

De sang, je suis albanaise, disait Mère Teresa ;
de citoyenneté indienne ;
je suis une sœur catholique.
Par ma mission j’appartiens à tout le monde,
mais mon cœur n’appartient
qu’au Cœur de Jésus.

La deuxième question est :
en me mettant à la suite de Jésus,
je vais me retrouver avec une croix sur les épaules,
celle que les hommes me mettront
par leur moquerie, leur rejet ; leur haine peut-être.
Suis-je prêt(e) à la porter ?
Ou bien ne suis-je prêt(e) à suivre Jésus
que si c’est « mou » et sans douleur ?

Là aussi, Mère Teresa est un exemple inouï pour nous,
portant en son âme
la croix terrible de l’indifférence,
de l’injustice contemporaine,
broyée entre un désir de Dieu si profond
qu’elle en souffrait
et le sentiment de ne pas être voulue de Dieu,
d’être rejetée par Lui.
La croix peut aller jusqu’à porter avec Jésus, au Père,
le mépris de Dieu et de l’homme
qui règne dans notre monde.

La troisième question est :
suis-je prêt(e) à me défaire de tous mes biens
selon ce que l’Esprit Saint m’indiquera intérieurement
ou par les événements ?

À Mère Teresa, un riche propriétaire italien
proposa un jour une villa magnifique
sur la côte méditerranéenne.
Et elle de refuser en disant :
« Tout ce qui ne me sert pas me pèse… »

*

Frères et sœurs, voilà les vraies questions
qu’il nous faut nous poser.
Voilà ce qui nous permet de devenir disciple de Jésus.
Voilà ce qui nous permet d’accueillir
le don immense – démesuré –
de l’amitié de Jésus qui transforme notre vie.

Benoît XVI le redisait hier en Autriche :
« Si nous regardons le Christ,
nous nous rendons compte que le christianisme
est quelque chose de plus grand
et de différent d’un système moral,
d’une série d’exigences et de lois :
le christianisme est le don d’une amitié
qui dure dans la vie et dans la mort. »

Les trois renoncements dont nous parlons,
sont ceux que Jésus le premier a vécus
et qui nous font entrer en amitié avec lui.
Nous faisons avec lui le grand ‘demi-tour’
qui nous unit à Dieu
dont la nature est de se perdre
dans un don d’amour sans mesure.

En renonçant à notre ‘business’ d’auto-glorification,
nous entrons dans la vie de Jésus
et dans la gloire de Jésus.
Et c’est alors que l’alternative
qu’est la vie chrétienne paraît en nous,
parce que le visage de Jésus commence
à se manifester à travers notre style de vie alternatif.

*

Frères et sœurs, est-ce irréaliste ?
Est-ce impossible ?
Non ! Parce que Jésus nous y invite !
S’Il nous y invite,
c’est parce qu’Il nous en donne la force.

Non, ce n’est pas irréaliste,
mais il y a une condition :
ne pas vouloir – ne jamais vouloir –
y arriver tout seul.

On peut s’enrichir tout seul.
On peut manipuler pour faire carrière tout seul,
même dans l’Église.
Mais on ne peut être disciple de Jésus tout seul.

On peut aller en Floride tout seul
ou sur les plages d’Hawaï tout seul.
Mais on ne peut pas aller au Ciel tout seul.
Il n’y a qu’en Enfer qu’on va tout seul.

Nous ne ferons voir l’alternative chrétienne en notre vie
que si nous vivons une réelle solidarité spirituelle
avec d’autres chrétiens.
Cela prend un visage très concret pour tous, frères et sœurs :
on ne peut être chrétien
sans appartenir de manière effective à une communauté.
La source et le sommet de la vie chrétienne
et du témoignage chrétien
est la messe du dimanche.
Mais à elle seule, elle ne suffit pas.
Pour ne pas être les morts-vivants
dont parle l’Apocalypse (cf Ap 3,1),
il nous faut nous retrouver avec d’autres chrétiens
pour écouter la Parole de Dieu,
pour la méditer ensemble,
pour la vivre et en témoigner.
Un groupe de piété ou de prière charismatique ne suffit pas.
Un bénévolat ne suffit pas.

Seigneur, à quelle communauté de croyant(e)s
m’appelles-Tu cette année ?
Quels sont les frères et sœurs
que Tu me donnes
et à qui Tu me donnes ?

Ce peut être un groupe biblique paroissial,
un groupe ignatien, un mouvement comme celui des Focolari,
un groupe lié à nos Fraternités, ou d’autres encore.

Sans Paul, Philémon aurait-il découvert
le chemin de sainteté qui s’offrait à lui ?
Sans Onésime, Philémon aurait-il découvert
ce qu’est la miséricorde ?

Seigneur, mets sur notre route
des Paul et des Onésime
pour que notre cœur s’ouvre à l’Évangile
et que nous devenions
des témoins de l’alternative chrétienne.

*

Oui, frères et sœurs,
nous sommes appelés à être sel de la terre
– Jésus le rappellera dans les versets
qui suivent l’Évangile d’aujourd’hui (cf Lc 14,34-35) –
et lumière du monde.
C’est pourquoi nous prions :

Seigneur, fais que nous ne soyons pas des feux clignotants
ou des batteries qui se déchargent.
Que nous soyons lumière,
que nous donnions ta Lumière !
Toi qui brûles de tous tes feux dans ton Eucharistie,
embrase-nous aujourd’hui
de la lumière éternelle de ta Résurrection !

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