FMJ Mtl25e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – C
Frère Antoine-Emmanuel
Am 8, 4-7 ; Ps 112 ; 1 Tm 2, 1-8 ; Lc 16, 1-13
23 septembre 2007
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Des gestionnaires et non pas des propriétaires

« Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée
pour que nous puissions vendre notre blé ?
Quand le sabbat sera-t-il fini
pour que nous puissions écouler notre froment ? » (Am 8,5)

Ils célèbrent la néoménie ;
ils obéissent aux préceptes du sabbat ;
mais leur cœur n’est pas dans la célébration,
leur cœur n’est pas en Dieu.
Leur cœur est ailleurs :
il est dans la vente du blé,
dans le commerce du froment.

C’est dire que le profit, les affaires, l’argent
ont pris la place de Dieu dans leur cœur.

Et telle est l’origine des pires injustices sociales :
« Nous allons diminuer les mesures,
augmenter les prix,
et fausser les balances.
Nous pourrons acheter le malheureux
pour un peu d’argent,
le pauvre pour une paire de sandales » (v. 6).

Le pauvre n’est plus un homme,
il n’est plus un semblable,
il est une marchandise.
Il vaut le prix d’une paire de sandales…

*

Frères et sœurs,
nous savons bien que ce tableau
qui date du VIIIe siècle avant le Christ
n’est pas périmé.
Les mêmes mécanismes se reproduisent aujourd’hui
et se reproduiront aussi longtemps
que le cœur de l’homme
ne sera pas orienté vers Dieu.
Si le cœur de l’homme n’est pas bon,
alors rien d’autre ne pourra le devenir.
écrit Benoît XVI dans son récent ouvrage.
Et il ajoute : Et la bonté du cœur
ne peut venir que de Celui
qui est Lui-même la Bonté, le Bien.

Que faire face à ces injustices sociales flagrantes
qui font que notre planète
ressemble à une famille de sept enfants
où les parents disposent sur la table
de quoi manger pour tous
et que deux enfants raflent tout
sous le regard affamé des cinq autres ?

Que faire ?

Quels gestes accomplir ?

Que faire de nos mains ?

Laissons le Seigneur, le seul Juste,
le seul qui connaît le cœur de l’homme,
nous répondre à travers les deux lectures
du Nouveau Testament de ce dimanche.

« Je recommande donc, avant tout,
qu’on fasse des demandes, des prières,
des supplications, des actions de grâce
pour tous les hommes, pour les rois
et tous les dépositaires de l’autorité,
afin que nous puissions mener une vie calme et paisible
en toute piété et dignité » (1 Tm 2,1-2).

Le premier levier dont nous disposons
pour briser les injustices,
pour transformer le monde
est la prière.
Le levier est là.
Est-ce que nous l’utilisons ?

Nous avons chacun une part de responsabilité
vis-à-vis du devenir du monde contemporain.
Et cette responsabilité s’exerce d’abord dans la prière.
« Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom
dit Jésus aux apôtres.
Demandez et vous recevrez » (Jn 16,24).

Avons-nous demandé au Père,
au nom de Jésus,
la justice, la miséricorde et la paix pour notre monde ?

Notre prière au nom de Jésus
n’a pas la fécondité de notre prière de pécheurs,
elle a la fécondité de la prière même du Fils de Dieu !

Oui, frères et sœurs, prions pour le monde
comme le faisait Padre Pio fêté ce 23 septembre,
dont la prière devenait offrande de soi,
communion à la Passion
et donc à la gloire de Jésus.
Et l’on sait l’extraordinaire fécondité de sa prière.

Prier pour le monde,
c’est ouvrir à Dieu une fenêtre pour que le vent,
son Vent, son Souffle puisse entrer dans le monde.
Et le Souffle de Dieu
ne fait pas que remuer les feuilles d’automne,
il transforme la création de l’intérieur !

Souvenons-nous des paroles de Benoît XVI
aux JMJ de Cologne
comparant le Mystère pascal de Jésus
à une fission nucléaire
dans l’être même de toute la Création.
Prier, c’est ouvrir des chemins d’accès
à cette énergie nucléaire de l’amour de Jésus
qui, de l’intérieur, évince toute injustice.

L’histoire est remplie
de cette fécondité inouïe de la prière :
que l’on pense à la bataille de Lépante en 1571,
à l’intercession de Marthe Robin
au temps de la bataille de Stalingrad,
ou encore à la prière des grands-mères
de l’ex Union Soviétique.

Quel geste accomplir face à l’injustice de notre temps ?
« Ainsi donc, je veux que les hommes prient en tout lieu
élevant vers le ciel des mains pieuses
sans colère ni dispute » (1 Tm 2,8).

*

À cette première réponse,
s’ajoute maintenant la réponse
que Jésus nous donne dans l’Évangile d’aujourd’hui.
Un évangile qui semble un peu complexe,
mais dont l’intention est claire :
son objectif est de nous enseigner
un rapport juste aux biens de cette terre.

Jésus nous parle aujourd’hui de Mammon,
« Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon ! » (Lc 16,13)
Sœur Jeanne-d’Arc, exégète réputée,
explique que Mammon est un mot araméen
qui personnifie la puissance de l’Argent.
Silvano Fausti, exégète italien,
précise que le terme hébreu correspondant, ‘ma’amun’,
a la même racine que ‘emunà’ qui signifie la foi.
Mammon est non seulement l’argent,
mais tout bien de ce monde
auquel nous nous confions,
en lequel nous mettons notre confiance,
et qui par conséquent,
exerce un pouvoir sur nous !
Mammon, c’est tout ce que nous mettons de côté,
tout ce que nous accumulons pour nous sécuriser.

Or Jésus nous invite à faire la lumière sur ces biens
que nous croyons posséder et qui finalement
nous possèdent et nous asservissent.

De ces biens, Jésus dit trois choses fondamentales.
La première est qu’ils vont tous passer,
littéralement, ils vont s’éclipser (Lc 16,9).

La deuxième est que ces biens nous sont extérieurs :
ils ne sont pas nôtres.
Ils ne sont pas notre vrai trésor
parce qu’ils resteront toujours extérieurs
à ce que nous sommes et ne peuvent nous combler
dans notre profondeur et notre dignité.

La troisième est que ces biens
ne sont pas le Bien véritable,
celui que Dieu Lui-même veut nous donner :
ils ne sont pas le Bien qui est nôtre,
que nous pouvons recevoir intérieurement
et à qui nous pouvons livrer tout notre être.
Et ce Bien, nous le savons,
c’est Jésus en sa divine pauvreté
qui est sa divine gloire.
Car Jésus de riche qu’il était s’est fait pauvre
afin que sa pauvreté soit notre richesse (cf. 2. Co 8,9).

Que faire alors des biens de la terre ?
Jésus les condamne-t-il ? Non !
Les méprise-t-il ? Non !
Il nous appelle à les utiliser avec habilité, (cf. Lc 16,8)
avec astuce, avec ingéniosité !
Tu as des biens ? Fort bien !
Alors utilise-les avec ingéniosité !

Pour nous faire comprendre cela
et orienter notre ingéniosité,
Jésus donne à ses disciples une petite parabole.
Celle d’un gérant qui,
lorsqu’il perd son emploi,
utilise les biens en gestion pour se faire des amis.
Ce qu’il fait
– réduire la dette des débiteurs du maître –
n’était pas malhonnête
puisque le maître lui-même l’approuve.
C’était fort ingénieux !

Et là encore, ce n’est pas là
quelque chose de dépassé.
Combien d’ingéniosité se déploie chaque jour
dans le monde des affaires
pour se faire de l’argent et des amis !
Mais l’ingéniosité du gérant
n’est pas pour se faire du profit :
elle est seulement pour rendre des hommes heureux
et gagner ainsi leur sympathie.

L’enseignement de la parabole est clair :
tu as des biens ? Fort bien !
Utilise-les avec ingéniosité
pour rendre les autres heureux !
Utilise-les pour le bien des autres.
Et le bien des autres est aussi notre bien
parce qu’en servant les autres,
en nous perdant pour eux,
nous entrons dans la vraie joie
et nous entrons dans la vie de Dieu,
nous nous acheminons vers les tentes éternelles (Lc 16,9).
Jésus, nous le comprenons,
nous invite à prendre conscience
que nos biens sont faits
pour rendre les autres heureux !
Pensons un instant à ce que nous possédons
et réalisons que tout cela nous est confié
pour rendre autrui heureux.

C’est ce que font des parents,
qui se privent de leurs biens
– et plus que de leurs biens –
pour rendre leurs enfants heureux.
C’est ce que tous nous sommes appelés à faire
d’abord en famille,
mais aussi en dépassant le cadre familial ou national
pour que beaucoup soient réjouis de notre partage.
Il s’agit de passer d’une économie d’injustice
à une économie de communion,
où les biens retrouvent leur vraie place
au service de la communion entre tous.

Saint Pierre Damien écrivait :
Ceux qui sont riches doivent considérer
qu’ils sont des gestionnaires plutôt que des propriétaires ;
des gestionnaires de biens au service du prochain.
Quand nous aidons les pauvres, ajoute-t-il,
nous restituons aux autres leurs biens,
nous ne donnons pas nos biens.
Ceux qui ne veulent pas aider les pauvres
ne doivent pas être accusés d’avarice,
mais de rapine ;
en effet il faut les voir
non comme des avares de leurs propres biens,
mais comme des voleurs des biens d’autrui.

À quel geste sommes-nous donc appelés ?
Non seulement à lever les mains dans la prière,
mais aussi à les tendre pour donner :
pour donner et pour recevoir.

Voilà ce qui transforme le monde.
Voilà ce que Jésus nous appelle à vivre aujourd’hui.
Que nos mains laborieuses,
si actives, si agitées,
s’arrêtent et se lèvent pour prier
et qu’elles s’ouvrent pour donner et recevoir.

Qu’elles se lèvent maintenant
dans la célébration de l’Eucharistie
avec les mains de Jésus,
pour la gloire de Dieu et le salut du monde.

L’Eucharistie convoque les chrétiens
à participer à la restauration continue
de la condition humaine
et de la situation du monde (…)
Elle les invite à une globalisation de la solidarité
au nom de la dignité inaliénable de la personne humaine.
Elle nous unit au cœur eucharistique de Jésus
(qui) a assumé d’avance
toutes les misères du monde à la croix.
Lui dont l’Esprit nous presse de prendre parti comme Lui
pacifiquement et efficacement
pour les pauvres et pour les victimes innocentes.

© FMJ – Tous droits réservés.