FMJ Mtl11e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – B
Frère Antoine-Emmanuel
Éz 17, 22-24 ; Ps 91 ; 2 Co 5, 6-10 ; Mc 4, 26-34
17 juin 2012
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Grand arbre ou semence ?

« Je suis le Seigneur qui fais ramper l’arbre élevé
qui élève l’arbre qui rampe,
qui dessèche l’arbre vert
et fais fleurir l’arbre sec » (Éz 17,24).

Ces paroles d’Ézéchiel sont d’une force extraordinaire
parce que l’arbre, le grand arbre comme le cèdre,
est dans l’antiquité une image courante
pour désigner un empire.
Pensez, par exemple, au prophète Daniel
qui parle de l’empire babylonien
comme d’un arbre qui devint « grand et fort »
sa hauteur parvenait jusqu’au ciel
et sa ramure jusqu’aux extrémités de la terre.
Son feuillage était beau et ses fruits abondants.
Sous lui s’abritaient les bêtes des champs
dans ses ramures demeuraient les oiseaux du ciel
et de lui se nourrissait toute chair (Dn 4,8-9).

L’image du grand arbre dit ainsi
la puissance d’un empire;
une puissance quasi divine
parce que l’arbre rejoint le ciel ;
il dit sa richesse à travers les fruits,
ses bienfaits à travers l’ombre,
et sa capacité à rassembler
par l’image des oiseaux qui s’y nichent.

Que d’empires se sont succédés dans l’histoire de l’Orient antique :
empires égyptien, assyrien, babylonien, perse, grec, romain…
Et la Bible montre à l’envie la fragilité de ces empires
qui tombent sous la main de Dieu
comme un grand arbre qui s’écroule…

L’image du grand arbre-empire est-elle aujourd’hui désuète ?
Je vous laisse nommer quels sont les grands cèdres de notre temps.
Sous quel arbre allons-nous chercher de l’ombre aujourd’hui ?
Sur quelle branche est-ce que tu te poses volontiers ?
Vous nommerez peut-être le puissant arbre de la finance…
Puissant mais tellement chancelant.
L’impressionnant arbre des médias,
l’arbre géant de la technologie, des réseaux sociaux,
de la science, de la médecine…
L’Arbre des identités nationales ou provinciales,
l’arbre des divertissements, du rire, de la fourchette et du plaisir.
Toutes choses qui sont bonnes en soi,
mais qui deviennent dangereuse
quand nous leur donnons du pouvoir sur nous.

*

Mais laissons là cette image
et regardons du côté du Nouveau Testament.
Quand l’amour de Dieu se déploie dans le monde
quand vient le « Royaume de Dieu »
pour reprendre les termes évangéliques,
est-ce un grand arbre qui apparaît soudain ?

Le Royaume de Dieu est-il semblable
à un arbre immense qui d’un coup envahit la Terre,
résout tous nos problèmes,
écrase les « méchants »,
et répand des bienfaits immédiats ?

Non…
Le Règne de Dieu est semblable à une toute petite semence
enfouie dans la terre.
Une semence enfouie,
une semence cachée.
Elle germe et se développe à l’intérieur, dans le silence
et tu ne sais pas comment (Mc 4,27).
Ce n’est pas une fabrication humaine,
c’est une œuvre divine silencieuse et humble.

De fait la vie de Jésus de Nazareth
ses 30 ans de vie cachée
comme ses 3 ans de vie publique
sont en réalité d’une grande discrétion :
plus semence que grand arbre !
Sa mort est un enfouissement.
Et sa résurrection se manifeste, elle aussi,
dans une grande humilité.

Et si nous regardons l’histoire de l’Église ?
Il y a sans aucun doute l’ampleur extraordinaire
du développement du christianisme.
Des milliards de croyants.
Une fécondité morale, culturelle, artistique extraordinaire
qui a marqué très profondément
l’histoire des civilisations, et pas seulement en occident.
Oui, l’Église est déjà l’arbre de la Parabole
et les oiseaux du ciel en nombre incalculable
viennent y faire leur nid.

Mais ne nous y trompons pas.
Le Royaume reste toujours semblable à une petite semence.
L’Église a donc ceci de paradoxale
qu’elle apparaît comme un grand arbre
mais qu’elle garde la fragilité de la petite semence.

Quand nous autres chrétiens voulons faire de l’Église
seulement un grand cèdre puissant selon le monde,
alors ses feuilles tombent, ses fruits pourrissent,
ses branches meurent
…et bien des journalistes s’en nourrissent.

L’Église est vraiment l’Église de Jésus
quand elle reste pauvre, fragile, libre
comme la semence divine.

L’Église ici-bas n’a pas vocation à être puissante :
elle a vocation à être un sacrement.
L’Église est fragile comme une hostie ;
sainte et fragile comme l’hostie consacrée.

L’Église est fragile comme une semence,
mais en elle est la promesse du grand arbre
que nous découvrirons – par miséricorde – au Ciel ;
ce grand arbre qui accueillera
des milliards d’oiseaux du ciel,
c’est-à-dire l’humanité rachetée par le sang de Jésus.

Ici-bas, ce qui est de Dieu
n’est que sous forme de germe.
Mais de ces germes divins la création est remplie !

*

Rassemblons nos idées…
Il y a les grands arbres du monde,
les grands empires, ce qui est puissant,
ce qui est à la mode,
les grands cèdres du XXIe siècle.

Et il y a la fragilité des semences divines.

Isaïe disait :
il y a les grandes eaux des empires et de leurs armées
et il y a la source humble et discrète
de la fidélité de Dieu (cf. Is 8,6).

Que choisissons-nous ?
Où va ta confiance ?
Est-ce que tu aimes la précarité,
la fragilité de ce qui est de Dieu ?
Es-tu prêt à jeter « l’ancre »
au-delà de ce que tu vois ?

« Notre objectif, écrit l’apôtre Paul,
n’est pas ce qui se voit,
mais ce qui ne se voit pas ;
ce qui se voit est provisoire,
mais ce qui ne se voit pas est éternel » (2 Co 4,18).

Dieu, avons-nous entendu tout à l’heure,
nous a formés pour un avenir (2 Co 5,5).

« Si nous avons mis notre espérance en Christ
pour cette vie seulement,
nous sommes le plus à plaindre de tous les hommes » (1 Co 15,19).

Frères et sœurs, cherchons les semences de Dieu !
Le monde en est rempli !
Nos cœurs en sont remplis,
les cœurs de nos frères et sœurs croyants et incroyants
en sont remplis.

Ne nous laissons pas éblouir
– et je le dis à moi-même d’abord –
pas ce qui brille dans les journaux ou sur le net.
Regardons, mais ne nous laissons pas écraser
par les maux qui s’affichent à longueur de temps dans les journaux et sur le net.

Cherchons les semences de Dieu,
vivons de ce Royaume de l’Amour
qui germe en silence dans les cœurs ouverts à l’Esprit.
C’est là qu’il y a déjà du Ciel sur la Terre.

Si nous avons accueilli la semence de la Parole de ce dimanche,
un peu de Ciel s’est déposé dans notre cœur.
Et c’est un peu plus de Ciel encore
qui va s’y déposer par la semence eucharistique maintenant.

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