FMJ MtlLA SAINTE FAMILLE – C
Frère Antoine-Emmanuel
Is 1,20-22.24-28 ; Ps 83 ; 1 Jn 3, 1-2.21-24 ; Lc 2, 41-52
31 décembre 2006
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Saint Joseph, noble époux de Marie !

En cette Fête de la Sainte Famille nous pouvons prendre le temps de méditer
sur cette si belle réalité, si divine, qui est la famille.

En cette Fête de la Sainte Famille nous pouvons prendre le temps de méditer
sur cette si belle réalité, si divine, qui est la famille.

Partons du plus concret.
Nous sommes venus au monde
à travers la rencontre d’une femme et d’un homme :
rencontre des corps ouvert à la vie,
rencontre des germes de vie que sont la semence de l’homme
et la cellule de vie en attente de la femme.
La rencontre d’un homme et d’une femme donc,
mais, passé le jour de notre conception,
notre relation avec notre mère et celle avec notre père
s’avèrent de natures très différentes.

Tout nous lie à priori à notre mère qui nous porte dans son sein

pendant les neuf mois peut-être les plus marquants de notre existence,
avec qui nous vivons ce moment bouleversant
de notre irruption hors du sein maternel, qui nous nourrit de son sein,
et à qui nous lie un attachement naturel très fort, voir fusionnel.

Doit alors apparaître la maternité saine et juste qui nous donne à la vie,
ne s’approprie pas l’enfant mais le pousse vers la vie.

Et la paternité ? Et le père ?

Il est clair qu’il n’a pas a priori la même familiarité avec l’enfant
qu’il n’a pas porté physiquement.
Son rôle est autre. Le père attire vers la vie.
Il joue un rôle essentiel :
il est comme à distance pour appeler l’enfant vers la vie.
L’enfant se découvre aimé par quelqu’un qui n’est pas sa mère
et qui l’appelle à sortir de soi, à aller vers la vie.

L’équilibre affectif, la bonne santé affective de l’enfant
se trouve dans une maternité aimante qui donne l’enfant à la vie
joint à une paternité aimante qui appelle l’enfant à la vie.

Et nous savons que la clé de voute est l’amour entre les conjoints
qui « offre aux enfants une grande sécurité »et leur permet de découvrir la vie
comme un don à accueillir et à partager dans la joie.

Mais arrêtons-nous ce matin sur le rôle du père,
sur ce service à la vie, sur ce ministère qu’est la paternité
et pour cela regardons, contemplons la paternité de Joseph.

Voilà un père, un vrai père.
Marie elle-même le dit aujourd’hui : « Ton père et moi nous te cherchions » (Lc 2, 48).
Joseph n’est certes pas le père de Jésus selon la chair, mais il a exercé tout le service,
tout le ministère de la paternité qui resplendit en lui avec une gratuité et une beauté étonnantes.

*

Que pouvons-nous dire de la paternité de Joseph ?

Sa paternité repose d’abord sur son mariage ; Joseph est l’époux de Marie.
Il l’était selon la Loi depuis que leur mariage avait été scellé.
Il l’était plus encore depuis le jour où il fut appelé par le Seigneur
à prendre chez lui Marie son épouse (cf. Mt 1, 20).
Leur vie conjugale se trouva alors comme consacrée dans le dessein de Dieu
et mise au service de la vie et au salut du monde par la grâce de l’Esprit Saint.
Dès lors, en obéissant à l’Esprit, Joseph trouve précisément dans l’Esprit Saint
la source d’un amour sponsal plus grand que celui qu’il pouvait vivre
comme « homme juste » (cf. JP II, R C, n°19).
Il était vraiment, profondément, époux de Marie.

La paternité de Joseph apparaît ensuite explicitement
comme un appel de Dieu, comme une vocation personnelle.
« Elle (Marie) enfantera un fils, lui a dit l’ange, et tu lui donneras le nom de Jésus » (Mt 1, 21).
Joseph est appelé par Dieu à exercer non pas une paternité symbolique, virtuelle,
mais une paternité réelle, concrète, immédiate :
lui ont été « confiés les devoirs d’un père terrestre à l’égard du Fils de Marie » (cf. R C n.3 et 21)
au point que son entourage disait de Jésus qu’il était « fils de Joseph »
ou « fils du charpentier » (Lc 4, 22 ; Mt 13, 55 ; Lc 3, 23)
C’est ce qui apparaissait dans la vie quotidienne.
Et Luc nous parle à plusieurs reprises de Joseph et Marie comme de « ses parents » (Lc 2, 27, 41)
La paternité, celle de Joseph, comme toute paternité, est une vocation divine !
C’est un appel et une grâce de Dieu qui permet au père de dire vraiment « oui » à chaque enfant.

*

Ce que les Évangiles nous rapportent de la sainte Famille
nous révèle ensuite la manière dont Joseph exerça cette paternité
dont nous pouvons souligner quelques traits.

Les premiers traits qui apparaissent sont la fidélité et la tendresse de Joseph.
La fidélité, …et quelle fidélité : rien n’a pu ébranler le premier « oui » de Joseph,
celui de l’obéissance de la foi qu’il donna au Seigneur au terme du premier de ses quatre songes.
Que ce soit dans les vicissitudes du recensement,
l’humiliation de la mangeoire, le départ forcé dans la nuit,
ou l’exil en terre étrangère, Joseph reste fidèle.
Fidèle aussi dans le quotidien, dans l’ordinaire, dans le banal de la vie de Nazareth.
Fidèle aussi quand l’assaille le combat spirituel contre l’adversaire,
comme l’icône de la Nativité le fait pressentir.
Fidèle enfin quand bien même l’Enfant commença
à parler du Père céleste qui est « son » Père.

La paternité est d’abord là, dans une présence fidèle.
Elle n’est pas d’abord dans le faire,
mais dans l’être-là, dans la fidélité et dans la tendresse.
Car inséparable de cette fidélité est la tendresse, la tendresse paternelle de Joseph.
« Joseph, écrit Jean-Paul II, eut à l’égard de Jésus, par un don spécial du Ciel,
tout l’amour naturel, toute l’affectueuse sollicitude que put connaître un cœur de père. »
Et le pape de poursuivre : « En même temps que la puissance paternelle sur Jésus,
Dieu a aussi accordé à Joseph l’amour correspondant, cet amour qui a sa source dans le Père » (cf. R C n°8)
« de qui toute paternité, au Ciel et sur la terre, tire son nom » (Ep 3, 15).

Ce deuxième trait se perçoit bien à travers la souffrance de Joseph quand Jésus semblait perdu.
Sa souffrance nous dit l’amour profond que Joseph portait à son enfant,
à cet enfant pour qui il donnait sa vie.

La vraie paternité, comme celle de Joseph est de l’ordre du bel amour,
de « l’amour humain régénéré par l’Esprit Saint » (cf. R C n°19).
Elle n’est ni indifférente ou absente ni oppressive ou autoritaire ;
c’est pourquoi elle appelle l’enfant à la vie.
Sa force suscite la confiance.
Son humilité suscite l’épanouissement de l’enfant.
C’est pour cela qu’à douze ans l’enfant Jésus est capable d’un acte de grande et belle liberté
incompris d’ailleurs par ses parents, mais signe de ce qu’il a été bien « élevé »,
élevé vers la liberté intérieure.
Et l’on peut se souvenir ici des récentes paroles de Benoît XVI
affirmant que l’éducation chrétienne est une « éducation
de la liberté et pour la liberté » (Homélie à Valence).

Le troisième trait de la paternité de Joseph est le sens de la responsabilité.
Joseph ne fuit pas la responsabilité, l’exigeante responsabilité de la vie d’un autre qui est l’enfant.
C’est ce que Dieu Lui-même lui demande comme le montre en particulier
l’épisode de la fuite en Égypte.
« Prends avec toi l’Enfant et sa Mère et fuis en Égypte ! » (Mt 2, 13)
Parce qu’il est croyant, ajusté à la volonté de Dieu,
confiant en Dieu, il ne se laisse pas prendre par la peur et assume pleinement sa tâche.
Jean-Paul II dit que Joseph s’est « consacré avec joie à l’éducation de Jésus-Christ » (cf. R C n° 1).

La paternité c’est cela aussi :
assumer la responsabilité de la croissance d’un enfant,
lui donnant la présence, les soins, les enseignements, la correction,
dont il a besoin à chaque étape de sa maturation, appelant l’enfant peu à peu à la vie,
à une vie de plus en plus adulte.
Et cela ne peut se faire sans efforts, sans souffrance, voir sans ascèse,
comme Joseph partant dans la nuit vers une terre inconnue.
Il s’agit de mourir à soi-même pour servir la vie.

Le quatrième trait est celui de l’autorité.
Joseph exerce l’autorité paternelle.
L’Évangile nous dit peu de choses de l’enfance de Jésus, mais il nous dit explicitement que Jésus,
y compris après les 12 ou 13 ans de sa majorité légale, était soumis à ses parents :
« Il descendit avec eux et vint à Nazareth, et Il leur était soumis » (Lc 2, 51).

Joseph savait commander parce qu’il savait obéir.
Il suffit de penser à son obéissance à la Loi
qui le conduit, par exemple, à monter en pèlerinage à Jérusalem,
ou à son obéissance aux dispositions impériales qui le conduit à aller se faire recenser à Bethléem.

Mais Joseph a été sans aucun doute aidé et comme façonné aussi par l’obéissance de Jésus,
apprenant de Lui à exercer la vraie autorité qui fait grandir parce qu’elle n’est
ni démagogue, ni paternaliste d’une part, ni volonté de puissance, ni violence d’autre part,
mais est réelle, exigeante et appelle ainsi l’enfant vers une vie de service, d’altruisme, d’amour.

Le cinquième trait est celui du travail.
La paternité de Joseph s’exerce dans son travail, dans son métier de charpentier.
Travail qui est source de revenu, bien sûr,
pour subvenir aux besoins de la famille et des pauvres.
Mais qui est aussi un exemple donné à Jésus
qui embrassera à son tour un métier, en l’occurrence le métier de son père.

La paternité est aussi là, non seulement dans l’aspect économique
mais dans la contribution donnée à la vie sociale et à l’achèvement de la création,
qui entraîne l’enfant dans cette dimension de la vie qu’est le labeur humain où s’incarne l’amour,
un amour large, universel qui sert la vie dans la famille et bien au-delà.

Il reste encore un trait essentiel de la paternité de Joseph et c’est là le sixième.
Que serait sa paternité si elle ne se mettait pas aussi au service
de la dimension plus profonde de l’enfant qui est la dimension religieuse ?

Même si l’éducation religieuse était davantage la prérogative de la mère,
Joseph a joué aussi son rôle par l’exemple rayonnant de sa foi obéissante,
par sa vie de prière, par sa fidélité à la Thorah.

Mais il y a plus : sa vie, ses choix, à commencer par le fait de vouloir
répudier Marie en secret,
témoignent d’une vie intérieure profonde, d’un sens du mystère.
Son silence dit son intériorité.
Son obéissance dit sa foi.
Son dévouement dit sa charité.

Bien sûr sa vie spirituelle n’est pas innée et Joseph est en chemin.
L’Évangile d’aujourd’hui en témoigne
qui nous montre que Joseph, comme Marie,
n’ont pas encore compris que Jésus n’est pas dans la « caravane »
de ceux qui accomplissent les rites et s’en vont.
Car Jésus a déjà perçu l’appel du Père
qui le conduira plus tard à monter à Jérusalem.
Joseph est en chemin : il doit se laisser enseigner et spécialement par son Fils
dont Luc nous dit la Sagesse inégalée.
Là aussi se révèle sa paternité, dans son cœur ouvert qui se laisse enseigner par son propre Fils
qui vient de lui dire et de dire à Marie :
« Ne savez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père ? » (Lc 2, 49)

Mais que Jésus reconnaisse la priorité absolue de la Paternité de Dieu, son Père,
ne discrédite pas Joseph, tout au contraire !
Et c’est là le plus beau, le septième et le dernier trait de la paternité de Joseph :
sa paternité ne fait pas écran à celle de Dieu, au contraire, elle y conduit.
Elle était au service de la connaissance surnaturelle, divine,
que Jésus, Dieu né de Dieu, avait de son Père.
Joseph le juste, devenu par son « oui » Joseph le saint,
était – et est pour nous – un reflet de la paternité aussi forte qu’humble du Père.

Une paternité accomplie est une paternité qui conduit à la paternité divine,
qui en est signe, qui en est même sacrement.

C’est « en manifestant et en revivant sur terre la Paternité même de Dieu »
que l’homme peut « garantir le développement unitaire de tous les membres de la famille »
écrivait encore Jean-Paul II (JP II, F C, n° 25)
Un vrai père est quelqu’un dont la parole, mais surtout la vie parle du Père du Ciel
et de ce point de vue nul n’a été plus père spirituel sur la terre
que Jésus en son humanité, et après Lui, que saint Joseph.

*

Frères et sœurs, comme ils ont tort ceux qui cherchent
à relativiser la paternité de mille manières.
Car la paternité humaine – la vraie qui procède du Père –
est vitale pour accéder à ce dont chacun a le plus besoin,
à savoir la découverte du visage du Père éternel.

Nous avons aujourd’hui besoin du ministère d’Élie et de Jean
qui « ramènent le cœur des pères vers leurs fils »
et l’Église doit assumer ce ministère prophétique
en rappelant la beauté et la nécessité de la paternité.

Mais surtout nous avons besoin de pères, de pères chastes,
c’est-à-dire de pères virils et humbles,
forts et à la fois empreints de la douceur évangélique
vivant en communion d’amour et de foi avec leur épouse.

Nous avons besoin de pères comme Saint Joseph
qui soient fidèles et tendres, responsables et travailleurs
qui assument une vraie autorité qui fait grandir leurs enfants,
qui appellent leurs enfants à la vie,
y compris à la vie spirituelle d’enfants de Dieu,
et soient, avec leur épouse, tous deux
« participants de la paternité divine » (Comp. C.E.C. n°460).

En cette Fête de la Sainte Famille, rendons grâce pour tous les pères qui vivent cela
et prions pour les hommes pour qu’ils accueillent du Seigneur
et exercent le don de la paternité
comme père de famille, grand-père aussi, arrière-grand-père ou parrain,
père dans des activités éducatives, sociales, caritatives, voir politiques,
et bien sûr, père spirituel, prêtre, évêque et jusqu’au « Saint-Père ».

Que Saint Joseph soit notre maître pour une joyeuse et féconde paternité
– et, pour ceux qui y sont appelés, pour une joyeuse et belle sponsalité –
qui soit une source de vie, de joie, de liberté pour leurs enfants et pour tous,
à commencer par les femmes servies, respectées et aimées
dans la beauté de leur féminité qui est, disons-le, l’avenir ultime de notre humanité
de notre humanité épouse unie au Christ-Époux dans le Cœur du Père.

Amen.

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