FMJ Mtl5e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – A
Frère Antoine-Emmanuel
Is 58, 7-10 ; Ps 111 ; 1 Co 2, 1-5 ; Mt 5, 13-16
5 février 2017
Maison de prière, Mont-Saint-Hilaire

Nous laisser tisser dans une charité débordante

Jésus prend aujourd’hui une image
aussi simple qu’évocatrice : le sel.
Le sel a deux propriétés :
il conserve ce qu’on y plonge
et il donne saveur à ce qu’il pénètre.
En parlant du « sel de la terre »,
Jésus évoque donc ce qui conserve la terre ;
ce qui évite à la création et d’abord à l’humanité,
de se perdre, de pourrir, de se gâter.
Mais aussi, ce qui donne de la saveur à la terre,
à notre passage sur la terre.

La question est donc :
qu’est-ce qui préserve l’humanité de la « décréation » ?

Qu’est-ce qui donne du goût,
du sens à notre existence sur la terre ?

On répondrait volontiers : la foi !
Mais aujourd’hui Jésus ne répond pas ainsi.
Qui préserve l’humanité de la « décréation »
et donne sens à la vie ici-bas ?
Vous !
Oui… vous ! Nous !

Nous… qui ?
Ceux dont Jésus vient de parler.
Les disciples qui vivent les Béatitudes :
les disciples qui embrassent la pauvreté du cœur et la douceur ;
les disciples qui dans leurs larmes gardent confiance en Dieu ;
ceux qui ont soif d’être ajustés à Dieu et qui sont miséricordieux ;
ceux qui ont le cœur pur et sont persécutés à cause de Jésus.

En un mot : ceux et celles qui vivent de Jésus !

C’est donc clair : si vous et moi nous vivons du Christ,
si nous vivons l’Évangile,
nous éviterons à beaucoup d’humains de se perdre.
Nous leur épargnerons la « décréation »,
la corruption et la mort éternelle.
Mais déjà sur cette terre,
nous leur offrirons humblement mais vraiment,
ce qui donne saveur et goût à cette vie,
à tout ce qui fait cette vie, y compris la souffrance.

Voilà notre responsabilité de chrétiens.
Avec une mise en garde sérieuse de la part de Jésus :
si le sel perd – littéralement – sa force,
dans quoi le salera-t-on ?

Jésus nous invite à être attentifs :
ne perds pas le sel de l’Évangile.
N’embarque pas dans un Évangile affadi, incolore, sans saveur,
qui évite de déplaire aux autres,
mais qui finalement n’a plus aucune saveur,
plus aucun intérêt.

Lorsque nous entendons que toutes les religions se valent,
c’est de l’Évangile sans sel,
et c’est un mépris de l’unicité de chaque sagesse religieuse.

Lorsque nous entendons que la question du salut est dépassée,
que tout le monde ira au Ciel parce que Dieu est bon,
c’est de l’Évangile sans sel,
ce n’est même plus l’Évangile.

N’enlève pas de l’Évangile ce qui est trop salé
pour la sensibilité contemporaine.
C’est déjà ce dont Paul était conscient :
il savait pertinemment qu’il pouvait faire de beaux discours
qui plaisent au monde, qui séduisent,
mais il s’y refuse :
« Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre
que Jésus-Christ, ce messie crucifié ! » (1 Co 2,2)
Le sel de l’Évangile, c’est la Croix et c’est l’amour du pauvre ;
c’est la Résurrection et la Communion des saints.

Ce qui est admirable, c’est que Paul ne cache pas l’Évangile.
Il le proclame, il l’annonce, et d’abord par sa vie.

Paul aurait pu dire :
« Moi, j’ai un passé tellement sale
avec une telle densité de mal,
qu’il vaut mieux que je me cache.
Je crois… mais je me cache. »

Non… Paul ne cache rien.
Il proclame que le Seigneur lui a fait miséricorde.
Il proclame que Jésus a bouleversé sa vie ;
qu’en Jésus mort et ressuscité,
le mal est vaincu jusque dans son propre cœur.
Paul ne met pas la flamme sous un meuble.
Il partage la lumière de la miséricorde
qui a chassé les ténèbres de son cœur.

Il la partage par une vie de charité.
Il suffit de voir les expressions d’affection,
de tendresse, de bienveillance
qui traversent toutes ses lettres ;
mais surtout le don total de lui-même qu’il fait
pour que les autres rencontrent Jésus,
pour que les humains découvrent la beauté de l’Évangile.

La lumière qui jaillit de sa vie, c’est sa charité débordante.
C’est ce qu’Isaïe avait déjà
merveilleusement compris et proclamé :
« Si tu partages ton pain avec l’affamé,
si tu prends soin des plus pauvres ;
si tu arrêtes de te dérober à ton semblable,
alors ta lumière jaillira comme l’aurore » (Is 58,10).

Et Isaïe insiste de nouveau :
Si tu t’actives pour que disparaissent les jougs,
les esclavages et tout ce qui entrave la liberté des autres,
alors ta lumière se lèvera dans les ténèbres (cf. Is 58, 9-10).

*

Chers frères et sœurs,
si nous choisissons d’aimer à la manière de Jésus,
alors « notre lumière » va se lever.

Est-ce que « ta lumière » s’est levée ?
Est-ce que « ta lumière » a jailli comme l’aurore ?

Est-ce que notre lumière a jailli comme l’aurore ?
Ou bien est-ce que nous laissons les autres dans l’ombre,
les privant de la lumière que nous leur donnerions en les aimant ?

L’enjeu de notre foi chrétienne est bien là :
que nous devenions lumière par la qualité de l’amour entre nous
et vis-à-vis de tous…
Jésus ne dit pas « tu es » le sel de la terre,
mais « vous êtes » le sel de la terre.
De même que les Béatitudes sont toutes au pluriel…

Laissons Jésus Eucharistie nous visiter
et nous tisser dans une charité débordante.
Laissons l’Esprit Saint nous envahir
et nous rendre aimant comme Jésus,
alors nous serons les instruments du Seigneur
pour préserver l’humanité de la « décréation »
et pour rendre la vie de beaucoup savoureuse,
de la belle saveur de l’Évangile.

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