FMJ Mtl2e DIMANCHE DE CARÊME – C
Frère Antoine-Emmanuel
Gn 15,5-12.17-18 ; Ps 26 ; Ph 3, 17 – 4,1 ; Lc 9, 28-36
21 février 2016
Sanctuaire du Saint Sacrement, Montréal

Laissons-nous regarder par Jésus

Déjà dix jours de Carême.
Dix jours où la Parole de Dieu
résonne avec une force toute particulière
qui vient nous chercher au fond de l’âme.
Dix jours où le jeûne commence
à nous rendre plus vulnérables
et à mettre à la lumière nos appétits.
Dix jours où le combat spirituel
a sans doute été plus manifeste
avec la tyrannie du bavardage intérieur,
les moments de lourdeur, de torpeur inexpliqués
et les pensées affreuses qui montent soudain.

Le Carême est un moment favorable
pour renouer avec la vérité, avec notre vérité,
surtout dans ces moments où nous portons
le sentiment de notre laideur devant Dieu.
En même temps, notre âme entre dans la joie,
la joie d’être vrais, d’être baignés
et régénérés par la Miséricorde de Dieu.

En d’autres termes,
le Carême est un chemin de dépouillement
où nous nous retrouvons pauvres.
Pauvres comme Abraham qui gémit en disant
« Je m’en vais sans enfant » (Gn 15,2).
« Je t’ai connu, ou plutôt Tu m’as connu,
j’ai cherché à T’obéir,
mais ma vie me semble si stérile… »

Comment le Seigneur répond-Il à Abraham ?
Il l’invite à sortir de chez lui
et à regarder la multitude des étoiles dans la nuit.
Et quand Abraham eut contemplé
ce scintillement infini de lumière,
Dieu lui dit : « Telle sera ta descendance » (Gn 15,5).

C’est bien cela que nous aussi,
nous sommes invités à vivre ce matin :
le Seigneur nous a fait sortir de chez nous
et Il nous invite maintenant à regarder
non plus des étoiles brillant dans la nuit,
mais un visage rayonnant en pleine nuit,
le visage du Christ.

Comme les apôtres se sont laissé conduire
par Jésus sur la montagne,
nous nous laissons guider par Jésus dans notre cœur.
Mais c’est de nuit :
il nous faut laisser les lumières artificielles
et écarter sereinement les appétits de notre sensibilité
pour entrer dans la vérité de la rencontre.
Et là, nous contemplons le visage transfiguré de Jésus.

Pensez à un visage rempli de lumière et d’amour
qu’il vous est arrivé un jour de voir.
Pour ma part, je pense à un moine italien de 86 ans
dont je me souviens encore 20 ans après l’avoir rencontré !
Il avait les yeux lumineux…
Et vous ?…
C’est déjà Dieu quand un visage rayonne…

Maintenant, imaginez une transparence totale
à la beauté divine, à l’amour divin.
Et ce n’est là que notre imagination !
Ce que les apôtres ont vu, c’est un Visage
d’un amour et d’une beauté sans limites.

Et les vêtements de Jésus sont devenus lumière.
Ce n’est plus le pauvre vêtement de feuilles végétales
qui voulait cacher notre vulnérabilité.
Ce n’est plus le vêtement de peau
dont nous a revêtu la Miséricorde divine
pour protéger notre nudité ;
c’est le vêtement de la communion,
de la transparence, vêtement de la Lumière.
En sa Présence, tout est lumière.
En sa Présence, tout devient communion.

Regardez… contemplez…
comme le fit Abraham dans la nuit du désert.
Et qu’est-ce qu’Abraham entendit ?
« Telle sera ta descendance ».
Et qu’est-ce que la vision du visage du Christ nous dit ?
« Tel sera ton devenir ».

Regarde qui est Jésus :
Il est ton Dieu baigné de Lumière.

Contemple qui sera Jésus par-delà la croix :
contemple son corps glorieux.
En Lui tout est lumière,
tout est communion,
tout est transparence
tout est vérité.

Contemple ce que deviendront
tes frères et sœurs en humanité
si tu leur portes l’Évangile ;
ils seront transfigurés par l’Amour du Christ.

Contemple ce que toi tu deviendras si tu crois,
si tu donnes toute ta foi à Jésus et à son Évangile,
si tu accueilles le don gratuit de son Royaume de Lumière.

Regarde, contemple et écoute :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé
en qui Je Me complais : écoutez-Le » (Mc 9,35).
C’est le Père Lui-même qui prend soin de nous
et qui nous donne Son unique commandement :
Écouter Jésus.
Écouter Jésus son Fils bien-aimé en qui Il trouve sa joie.
Écoutez-Le quand Il vous appelle au dépouillement.
Écoutez-Le quand Il vous appelle
à n’avoir d’autre Sauveur que Lui.

Écoute-Le et vois ce que tu deviendras : lumière…
Écoute-Le pour préparer ton âme aux noces éternelles.

*

Ce ne sont plus des étoiles en pleine nuit :
c’est un Visage au-delà de nos nuits.
Et c’est le même Dieu
qui nous invite à sortir de nos horizons clos
et à lever le regard dans l’espérance.

Voici comment frère Pierre-Marie le disait :

Regardons au plus loin et au plus haut où nous puissions aller,
c’est-à-dire au seuil de notre propre exode.
Pour prier, nous nous tournons souvent
vers nos propres fenêtres embuées de soucis,
nos lucarnes étroites et nos petits hublots.
Mais non ! Faisons comme Moïse et Élie sur la montagne.
Regardons vers le jour ultime de notre Pâques dernière.
Par la prière et la contemplation, nous pouvons entrouvrir
la porte de notre propre vie qui débouche sur le Ciel.
Et le Seigneur Se plaît alors à y faire passer
comme un souffle d’air pur, un rayon de vraie lumière.
À la lumière de ce dernier jour,
nous pouvons éclairer le cheminement de chaque jour,
et le quotidien de notre existence en est transfiguré. (1)

*

Frères et sœurs, comment réagit Abraham
quand Dieu lui fit goûter l’espérance en pleine nuit ?
« Abraham eut foi dans le Seigneur
et le Seigneur estima qu’il était juste » (Gn 15,6).

Alors, comme Abraham, ce matin,
nous disons oui à cette promesse de lumière.
Ensemble nous donnons notre foi à cet avenir de communion
que nous dévoile le véritable Époux de nos âmes.

Nous disons oui comme Paul :
« Nous, nous sommes citoyens des cieux.
C’est à ce titre que nous attendons comme Sauveur
le Seigneur Jésus-Christ,
Lui qui transformera nos pauvres corps
à l’image de son corps glorieux
avec la puissance qui le rend capable aussi
de tout dominer » (Ph 3, 20-21).

Il transformera nos pauvres corps
à l’image de son Corps glorieux.

Voilà notre espérance…
Voilà le secret de nos renoncements, de notre conversion.
Et Paul est aujourd’hui bien concret.
Il s’agit de ne plus tendre vers les choses de la terre.
Il s’agit de ne plus être ennemi de la croix du Christ,
de ne plus avoir comme dieu nos propres appétits,
et de ne plus mettre notre gloire, notre plénitude,
dans ce qui fait notre honte devant Dieu.

Notre cité se trouve dans les Cieux.
Nous sommes résidents temporaires ici-bas,
parce que nous sommes, par la Miséricorde de Dieu,
des citoyens du Ciel.
Ainsi ce matin, nous levons les yeux vers le Seigneur.
Nous nous laissons saisir par la beauté du visage du Christ.

Pour un moment au moins,
nous laissons nos peurs,
nous refusons nos bavardages intérieurs,
nous mettons entre les mains du Seigneur nos inquiétudes,
nos compromissions, notre honte.
Et nous nous laissons regarder par Jésus.

Jamais un regard ne fut aussi rempli d’amour.
Jamais nous n’avons été regardés avec un tel désir,
avec un tel désir de notre sainteté,
avec un tel désir de nous transfigurer dans la Lumière,
de transformer la noirceur de nos péchés en l’or pur de l’amour.

Il nous faut consentir à être aimé,
nous désarmer, nous laisser dépouiller.
Oui, c’est en vue de l’amour, de l’amour vrai et éternel
que Jésus nous invite au grand dépouillement.
Heureux les invités aux noces de l’Agneau.
Il Se donne, Il Se livre maintenant.

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  1.  Pierre-Marie Delfieux. Évangéliques – Le Carême. P. 109. Éditions Paroles et Silence. 2013.