FMJ MtlLA SAINTE TRINITÉ – C
TRIDUUM EN PRÉPARATION AU PARVIS – III
Frère Antoine-Emmanuel
Pr 8, 22-31 ; Ps 8 ; Rm 5, 1-5 ; Jn 16, 12-15
22 mai 2016
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Apporter à l’autre un peu d’eau de la Source

Je voudrais partir ce matin d’un verset de la deuxième Lecture : « L’espérance ne déçoit pas » (Rm 5,5). Cela veut dire que jamais nous ne serons honteux d’avoir espéré. Si nous comptons vraiment sur Dieu, jamais nous ne serons déçus. Et pourquoi cela ? Paul répond : parce que l’amour de Dieu pour nous a déjà été répandu dans nos cœurs (Id.).

Toutes sortes d’épreuves peuvent nous arriver et nous terrasser, mais il y a une réalité qui nous est déjà donnée et que rien ni personne ne peut nous enlever l’Amour du Père pour nous. « Rien ne peut nous arracher de sa main » (cf. Jn 10,29). Nous pouvons, nous, L’oublier, Le refouler, Le rejeter, mais cet amour nous est constamment offert, il a même été déversé dans nos cœurs. Notre cœur n’est pas une poche vide ! L’Amour de Dieu y habite. L’Amour de Dieu S’y déverse. Et comment se déverse-t-il ? « Par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). C’est dans l’Esprit Saint que nous nous découvrons aimés du Père.

Et comment l’Esprit est-Il venu en nous ? D’où nous vient l’Esprit ? Le Pape François nous donne cette belle réponse : « De l’immense don d’amour qu’est la mort de Jésus sur la croix a jailli pour toute l’humanité, comme une immense cascade de grâces, l’effusion de l’Esprit Saint. » (Homélie de Pentecôte, 15.05.2016) C’est du cœur du Christ en croix que jaillit pour nous l’Esprit Saint et l’Esprit Saint répandu en nos cœurs nous plonge dans l’Amour du Père.

Vous voyez, vous pressentez ce mouvement d’Amour, cette danse trinitaire ? L’Évangile nous l’indique aussi : « Tout ce qui appartient au Père est à Moi, dit Jésus. Voilà pourquoi Je vous ai dit : l’Esprit Saint reprend ce qui vient de Moi pour vous le faire connaître » (Jn 16,15).

La vie chrétienne, c’est d’être plongé dans ce tourbillon d’Amour. C’est d’être embarqué dans cette danse où le Père Se donne au Fils dans l’Esprit d’Amour, où le Fils Se livre au Père dans le même Esprit. Aucune personne n’existe pour Elle-même. Chacune est tournée vers l’Autre dans la joie. Un seul Amour, un unique Amour en trois Personnes qui dansent dans une même communion. Et une communion qui déborde. Une communion qui déborde en nous donnant d’exister, en créant notre liberté et en nous attirant dans ce même Amour, allant jusqu’à nous perdre quand nous péchons pour nous offrir de nous recréer dans l’Amour miséricordieux.

La Très Sainte Trinité n’est vraiment pas une idée, une sorte de mathématique pour spécialistes de la théologie. C’est un tourbillon d’Amour qui nous attire dans l’Amour et qui nous envoie pour aimer. Et ce tourbillon S’est fait divinement proche de nous sur la croix. Il S’est rendu visible dans le Cœur de Jésus dont nous avons vu ces derniers jours qu’Il est la source.

Je le redis : c’est notre privilège, notre grand privilège de chrétiens de savoir où est la source. Dans le désert de notre temps, nous savons où est la source de l’Amour miséricordieux ! Et il est sûr que nous ne pouvons pas nous permettre de boire sans partager l’eau de cette source ! Nous l’avons vu dès vendredi : l’Amour nous pousse à rejoindre ceux qui ne savent pas où est la Source, à leur porter un peu de cette eau et à leur indiquer le chemin de la Source.

Hier nous avons vu comment rejoindre les gens. Nous avons vu comment une rencontre pouvait éclore quand nous allons vers l’autre avec une sorte de chasteté du cœur. J’ajoute ceci aujourd’hui : il faut être conscient des peurs qui nous habitent. La peur de l’autre, la peur de l’inconnu, d’abord. Mais aussi la peur de la rencontre, la peur de l’amitié… avec cette idée suicidaire au plan de l’amour que « si je fais une vraie rencontre, je vais perdre ma liberté ». Non. La vraie liberté naît de la communion avec les autres. Être libre, ce n’est pas être indépendant des autres, c’est être lié aux autres par l’Amour vrai. Puis il y a la peur d’être rejeté. Peur très compréhensible parce qu’aujourd’hui toute une partie de la population vit un rejet de tout ce qui est catholique.

Oui, admettons-le : il y a nos peurs mais il y a aussi l’Amour de Dieu qui agit en nous. Et nous pouvons ici nous souvenir que chaque année, il y a eu des rencontres de grande qualité durant le Parvis, et que ce n’est pas réservé aux moines et moniales ou à des laïcs spécialistes. Je crois même que c’est davantage vous baptisés, laïcs, qui portez ce charisme de rencontre en plein monde, c’est en vous !

Charles de Foucauld écrivit un jour à un ami que les laïcs sont appelés à évangéliser « par un contact bienfaisant, une bonté débordant sur tous, une affection toujours prête à se donner, un bon exemple attirant ceux qui tournent le dos aux prêtres » (Lettre à Joseph Hours, 3 mai 1912).

Ce que nous avons à faire, c’est d’apporter un peu d’eau de la Source, c’est-à-dire offrir à l’autre une expérience de miséricorde. Je sais que cette personne, comme moi, a des fragilités et je me mets en route pour l’aimer avec sa fragilité. Ma peur, mes peurs manifestent que la miséricorde manque encore en moi, alors je demande au Seigneur sa Miséricorde. Et ma peur, je la remets au Seigneur. Alors, je vais être moi-même la blessure de Jésus d’où jaillit pour l’autre, la Source de la Miséricorde.

Je n’apporte pas à l’autre quelque chose qui est extérieur à moi, une sorte de leçon de catéchisme mal digérée… Non ! Je lui apporte Dieu vivant en moi. C’est Dieu en moi qui va à la rencontre de l’autre. C’est Dieu tout humble en moi qui va contempler les richesses de l’autre. Donner un peu à boire à l’autre c’est aussi cela : contempler l’autre, reconnaître Dieu présent en l’autre. C’est une sorte d’agenouillement intérieur devant le jeune tatoué ou le cinquantenaire désabusé. Que mon regard dise : il y a de la beauté en toi ; il y a un trésor en toi.

Charles de Foucauld, dans la même lettre à son ami Joseph écrit : « Un chrétien est toujours le tendre ami de tout humain ; il a pour tout humain les sentiments du Cœur de Jésus. » Il s’agit d’être « frère tendre pour tous, pour amener petit à petit les âmes à Jésus en pratiquant la douceur de Jésus », tout cela en « bannissant loin de nous l’esprit militant » (idem).

Mais tout cela n’est pas facile et c’est là que nous avons besoin de moyens, de « petits sacrements » qui expriment que notre approche n’est pas arrogante, n’est pas conquérante, n’est pas intolérante… qu’elle est aimante ! Nous avons identifié trois « petits sacrements de la rencontre ».

Le plus immédiat et accessible est le verre d’eau. C’est un geste simple, évangélique. C’est aussi un geste pauvre, un geste dont nous pouvons partir pour témoigner que le Sanctuaire est devenu pour nous une source, un oasis dans le désert de la ville, et pour concrétiser cela, un grand panneau sera sur la façade du Sanctuaire où il sera écrit « Oasis de Miséricorde ».

Ce sera l’occasion de poser la question : vous savez ce que signifie « miséricorde » ? Vous pourrez, si l’occasion se présente, proposer votre propre témoignage. « Pour moi, la miséricorde c’est… (de vous offrir un verre d’eau en toute amitié !) et vous raconterez comment vous avez découvert la tendresse de Dieu alors que vous aviez de fausses images de Dieu.

Le deuxième « petit sacrement » de la rencontre sera une image du Pape François avec au verso une phrase… Vous pourriez demander à la personne s’il y a des gestes du Pape qui l’ont touchée et pourquoi… Vous pourriez lire la phrase avec la personne… ce qu’elle y comprend… ce que vous y comprenez et peut-être, si cela s’y prête, en insistant par exemple sur la valeur du silence, sur la place du silence dans votre vie. Soyez conscients que vous portez un trésor de par votre expérience de prière. Vous pourrez lui parler du Sanctuaire comme lieu de silence et lui proposer de lui faire visiter en quelques minutes…

Le troisième « petit sacrement » de la rencontre est un foulard, une bande de tissus blanc. Pour vous en donner le sens, il me faut vous rapporter à l’histoire déjà racontée hier et je me permets de la répéter ici pour ceux et celles qui n’y étaient pas.

C’est une belle histoire vécue racontée par le Père Guy Gilbert . Un adulte de vingt ans avait sali ses parents. Une affaire qui détruit un peu la réputation des parents. Et le père dit à Jean qui avait sali sa famille : « Jean, fout le camp ! Et ne remets plus jamais les pieds à la maison ! ». Alors Jean est parti, la mort dans l’âme, mais il est parti.
Et puis quelque temps plus tard, il se dit : « Je suis vraiment une ordure, un salaud ; alors je vais demander pardon à mon père ». Mais il avait tellement peur que son père le jette de la maison, alors il lui écrit et dit : « Papa, vraiment, je vous ai salis, je te demande pardon. Je voudrais tant revenir à la maison. Je t’écris, je ne te mets pas d’adresse. J’ai tellement peur que tu me dises non. Si tu me pardonnes, mets un foulard blanc, je t’en prie. Sur le pommier, devant la maison, tu sais la grande allée des pommiers qui conduit à la maison. Mets un foulard blanc sur le dernier pommier ».
Et puis, quelque temps plus tard, il dit à son frère et ami Marc : « Je t’en supplie Marc, accompagne-moi, voilà ce qu’on va faire. Je te conduis jusqu’à la maison. À cinq cents mètres de la maison, tu prends le volant, je me mets à côté, à la place du passager, je ferme les yeux. Lentement, tu descends l’allée des pommiers. Tu t’arrêtes. S’il y a un foulard blanc, alors, je foncerai à la maison… S’il n’y a pas de foulard, jamais plus je ne reviendrai ».
Ainsi dit, ainsi fait. À cinq cents mètres, Jean donne le volant à Marc. Jean s’assied à la place du passager, ferme les yeux et lentement la voiture descend la grande allée des pommiers, jusqu’au dernier pommier devant la maison. Et Jean, les yeux fermés, dit à Marc : « Je t’en supplie Marc, mon père a-t-il mis le foulard blanc dans le pommier, devant la maison ? » Et Marc lui dit : « Non, non Jean, il n’y a pas de foulard, dans le pommier devant la maison, mais il y en a des centaines, tout au long de l’allée… »

Le foulard est destiné aux personnes rencontrées dont vous sentez qu’elles sont prêtes à faire une démarche de miséricorde… Vous avez parlé avec elle de pardon, pardon à donner ou à recevoir, ou bien d’une attention à une personne fragile de leur entourage.

Alors vous leur proposez de matérialiser leur démarche en accrochant le foulard à l’arbre qui sera sur les marches du Sanctuaire, si possible après être entré au Sanctuaire.

Et là, entre en jeu la deuxième dimension de notre approche qui est d’indiquer la Source, c’est-à-dire de conduire les personnes qui y sont prêtes à l’intérieur du Sanctuaire.

Le présupposé est de savoir que ce n’est pas nous qui conduisons les personnes, c’est le Seigneur qui les attire !

Qu’est-ce qui va nous aider ? Des choses très concrètes, visibles, simples : des rubans bleu au sol qui figurent les flots d’eau vive et donc l’invitation à remonter le cours de cette rivière pour aller à la Source. Le panneau « Oasis de Miséricorde » qui indique que l’on peut boire gratuitement ici-même au cœur du désert de la ville. L’escalier avec son tapis rouge. Et l’on peut dire à la personne : vous pouvez monter en silence pour descendre dans votre cœur.

Une d’entre vous témoigne : « Pour moi, il s’agit d’inviter dans le silence, à monter lentement l’escalier, à ouvrir doucement la porte. Cela nous aide à descendre dans notre cœur, à voir notre misère et à se laisser imbiber de la Présence amoureuse et transformante de Jésus. Il ne s’agit pas de chercher à faire entrer beaucoup de personnes par la porte de la Miséricorde mais de chercher à établir un contact signifiant qui conduit la personne à bouger un peu à l’intérieur d’elle-même. Dans ce contact, je ne suis pas seule, Dieu est là avec sa grâce et Il agit. » (Claire Cyr)

Puis, il y a la porte pour signifier : oui je veux entrer dans la compassion, dans le pardon, dans l’amour. Je ne veux pas vivre isolé, déconnecté, je ne veux pas la tristesse. Je choisis la Vie…

À l’intérieur de l’église se trouve le confessionnal-musé pour faire voir que la confession n’est pas une torture mais « un salon de beauté » ! Il y aura aussi le confessionnal avec un prêtre qui sera là, que vous pouvez indiquer pour que la personne puisse y aller si le cœur lui en dit, ce jour-là ou plus tard… Et Jésus-Eucharistie auquel vous pourrez conduire par exemple en faisant voir les peintures du plafond de l’église qui illustrent si bien le mystère de l’Eucharistie.

Et là, dans le chœur se trouvera une Parole de Dieu à piger. Vous pourrez laisser la personne en silence, lui suggérant de rester quelques minutes et de sortir par l’autre escalier pour découvrir les œuvres de miséricorde qui sont si bien présentées.

Voilà l’itinéraire idéal… mais il n’y a pas d’itinéraire idéal sinon ce que le Seigneur va susciter dans le cœur de la personne et dans votre cœur parce que l’évangélisation n’est pas une œuvre humaine. Je suis certain d’une chose : ce Parvis sera une épiphanie, c’est-à-dire une manifestation de Dieu, de son Amour, de la créativité de son Amour, de sa folie d’Amour.

Ce qui est nécessaire pour cela ce ne sont pas des spécialistes, mais des gens hésitants, pas sûrs d’eux-mêmes, un peu gênés, voire très gênés, mais qui disent au Seigneur : me voici ! Je ne peux pas continuer à boire à la source en laissant des quantités de gens avec trois gouttes d’eau dans le cœur. Je ne suis pas doué… d’ailleurs Moïse ne l’était pas, Jérémie ne l’était pas, Amos ne l’était pas, Pierre a renié, Paul avait un passé plus que trouble… alors, moi aussi je veux me laisser faire par toi Seigneur.

Pour cette mission, il faut des serviteurs-adorateurs, c’est-à-dire qu’il faut votre disponibilité à donner du temps à la rencontre des gens et du temps à l’adoration, parce que tout cela sera fécond dans la mesure où se sera porté dans la prière. Pendant ces trois jours, nous vivrons l’adoration comme une grande intercession pour la ville, pour les citoyens qui passeront dans l’avenue.

Je vous propose un défi : que chacun de nous donne au moins une heure d’adoration et une heure au service de l’accueil ou sur la rue.

Et nous disposons pour ces trois jours d’une grande garantie de fécondité : le vendredi 3 juin, ce sera la Fête du Sacré-Cœur ; samedi le 4 juin, la Fête du Cœur Immaculé de Marie et dimanche le 5, le dimanche de la résurrection du fils de la veuve de Naïm.

Je termine avec ces quelques mots du Pape François du 3 avril dernier : « La route que le (Christ) ressuscité nous indique est à sens unique; elle va dans une seule direction : sortir de nous-mêmes, sortir pour témoigner de la force guérissante de l’Amour qui nous a conquis. Nous avons sous les yeux une humanité souvent blessée et apeurée qui porte les cicatrices de la douleur et de l’incertitude » (…) La Miséricorde de Jésus veut rejoindre les blessures de chacun pour les soigner. Être apôtres de la Miséricorde, cela signifie toucher et caresser les plaies de Jésus qui sont présentes encore aujourd’hui dans le corps et l’âme de tant et tant de nos frères et sœurs » (Homélie du 3.04.2016).

Quelle belle mission ! Ce sera comme le jaillissement d’Amour du Cœur du Christ parce que nous aurons beaucoup, beaucoup prié avant, pendant et après !

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