FMJ MtlLA SAINTE FAMILLE DE JÉSUS, MARIE ET JOSEPH – C
Frère Antoine-Emmanuel
Is 1, 20-22.24-28 ; Ps 83 ; 1 Jn 3, 1-2.21-24 ; Lc 2, 41-52
27 décembre 2009
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

De la dépendance à la vie filiale

La Sainte Famille.

Comme il nous est bon d’en contempler
la vie quotidienne à Bethléem,
sur les routes, en Égypte ou,
surtout, à Nazareth.
Qui saura en dire la tendresse partagée,
la douceur, la beauté… ?
Et pourtant le seul épisode
que Saint Luc nous raconte
entre l’âge de 40 jours
et l’âge de 30 ans dans la vie de Jésus
est un épisode douloureux,
celui que nous venons d’entendre.

Pourquoi Luc a-t-il choisi
de nous le conter en détail
allant jusqu’à nous dire
la douleur d’âme de Marie et de Joseph ?

*

Pour méditer cette page d’Évangile,
il nous est bon de partir de la Genèse
où se trouve condensé en quelques mots
un principe essentiel de la vie humaine :
c’est en Genèse 2, 24 :
L’homme quitte son père et sa mère –
on pourrait traduire :
il abandonne son père et sa mère (Chouraqui)
et s’attache à sa femme et ils sont une seule chair.

Voilà un passage – sinon le passage –
que doit faire en son temps et à son rythme – tout humain.
Quitter ses parents ne signifie pas simplement
et ne signifie pas nécessairement changer de domicile :
c’est beaucoup plus profond que cela.

Ma mère, mon père,
ce sont ceux par qui j’ai reçu la vie,
à qui j’ai été lié par une dépendance totale.
Pour prendre une image :
mes racines, mes racines vitales,
ont été en eux, et cela est vrai pour tous,
au moins pendant la grossesse.

« Quitter son père et sa mère »,
c’est un changement de mode de fonctionnement intérieur,
où nous acceptons, étape après étape,
de ne plus pomper la vie
ni en nos parents, ni en quiconque.

C’est une nouvelle manière d’être au monde
où l’on peut alors s’attacher à un époux, une épouse,
et devenir avec lui ou elle une seule chair.

Ma vie n’est plus pompée dans un autre humain,
même le plus saint qui soit,
parce que j’acquière une maturité affective
telle que je peux donner ma vie
et que je peux aussi désirer et accueillir
le don de l’autre de manière libre, chaste,
de manière non possessive.

Voilà le passage que tout humain doit faire,
passage que les parents doivent soutenir
et encourager le moment venu,
à l’exemple d’Anne qui sut sevrer son enfant Samuel
et le céder au Seigneur ; (cf. 1 Sm 1,24.28).
Passage qui s’avère aujourd’hui de plus en plus difficile
comme en témoignent
les si nombreuses formes de dépendance ;
passage qui ne se fait pleinement
que dans la découverte du visage de Dieu,
de son Amour, de sa Providence,
comme les groupes dits « anonymes »
l’ont très bien compris ;
passage qui conduit à aimer vraiment nos parents,
à les aimer d’un amour désintéressé,
c’est-à-dire à les « honorer »
comme le Seigneur nous le commande (cf. Ex 20,12).

*

Frères et sœurs, Jésus a-t-il fait ce passage?
Oui, il l’a fait et il l’a fait à l’âge de 12 ans !

Pleinement humain, Jésus a tout reçu de ses parents (Lc 2,43) :
la vie, la nourriture, le logis, le vêtement, l’affection
et même le contenu de la foi d’Israël.
Parce qu’il est vraiment homme,
les racines vitales de son humanité
ont été en Marie et Joseph.

C’est alors qu’est venu la Pâque de ses 12 ans.
Ce fut pour lui l’heure d’accomplir ce passage.
Nous l’avons entendu : Il est à Jérusalem.
Il vit la semaine de Pâque,
il la vit profondément célébrant le Dieu d’Israël
qui a libéré son peuple,
et, au terme des célébrations,
il quitte son père et sa mère (cf. Gn 2,24).

Ses racines vitales il les trouve désormais dans le Père,
plus exactement il les trouve inséparablement
en Lui-même et dans le Père.
en Lui qui demeure dans le Père,
dans le Père qui demeure en Lui (cf. Jn 17,21).

Son humanité est entrée dans l’amour adulte.
Va-t-il alors s’attacher à une épouse
et être avec elle une seule chair ?
Oui !
Cette épouse est celle à qui il va se livrer entièrement :
c’est celle qu’Il accueille pleinement telle qu’elle est ;
cette épouse, c’est l’humanité.
À 12 ans, sa mission est déjà en germe !

Jésus a quitté son père et sa mère…
Est-ce que cela veut dire
qu’il quitte le domicile familial ?
À terme, oui, mais aujourd’hui non.
« .,
nous raconte Saint Luc,
et il leur était soumis » (Lc 2,51).
Les circonstances de la vie quotidienne
sont les mêmes qu’avant cette Pâque,
mais la motivation intérieure est entièrement transformée.

Jésus était soumis à ses parents
selon la nature et selon la loi.
Désormais il est soumis à ses parents
dans un choix libre d’obéissance au Père céleste.
« Je dois être dans ce qui appartient à mon Père »  (Lc 2,49)
dit-il à ses parents.
Jésus est devenu ce qu’Il est :
non pas tant le fils du précepte – par la Bar Mitzvah –
mais le Fils du Père en étant pleinement Fils de l’Homme.

Il l’est devenu par une décision,
par un acte posé,
un acte qui fut un supplice pour ses parents,
un acte nécessaire pour le Salut du monde.

Et ce qui est extraordinaire,
c’est comment Marie et Joseph
ont consenti à ce dépouillement précoce.
C’est cela la Sainte Famille !
Désormais la famille de Nazareth est une famille
dont l’humanité est enracinée dans l’Amour du Père.
Une famille qui vit dans la liberté et la chasteté
de l’amour adulte où tout se vit
dans l’accueil filial de la tendresse du Père.

Oui, merveilleux consentement de Marie
qui accepte aujourd’hui le commencement du glaive
annoncé par Siméon (cf. Lc 2,35).
Glaive qui se présente à toute mère
– glaive que refusent beaucoup de mères –
glaive qui pour Marie ira beaucoup plus profond
que pour toutes les femmes du monde
et que Marie accepte pleinement
même si elle n’en « comprend » pas
la violence et la précocité (cf. Lc 2,50).

*

Frères et sœurs, pour tous ceux et celles
qui connaissent une forme de dépendance,
cet épisode de cette première Pâque de Jésus
est une lumière extraordinaire :
Jésus nous montre le chemin de la liberté :
« l’oiseau s’est trouvé une maison
et l’hirondelle, un nid (Ps 83(84) 4) »
et moi j’ai trouvé le cœur du Père,
du Père qui demeure en moi !
Père, heureux les hommes et les femmes
dont tu es la force ! (v. 6) »

*

Mais cet épisode de la Pâque des 12 ans de Jésus
va plus loin encore :
Jésus n’est pas seulement
celui qui nous révèle la vraie liberté ;
il est celui qui nous la donne.

De fait, si Luc raconte cet épisode,
c’est parce que cet épisode annonce
la Pâque dernière de Jésus.

Jésus n’a que 12 ans,
mais tout est déjà là de sa Pâque véritable :
la montée à Jérusalem, pour la Pâque,
la douleur terrible de la perte du fils,
la question douloureuse :
« Pourquoi cherchez-vous ? » (cf. Lc 24,5)
et le mystère du « troisième jour »
où Jésus est retrouvé vivant ;
vivant pour le Père et offert à l’humanité.
Après sa première Pâque, il choisit l’ordinaire de Nazareth ;
après son ultime Pâque, dans son ultime Pâque,
il choisit d’être avec nous, en nous
jusqu’à la fin du monde (Mt 28,20).

De fait, ce que Jésus a vécu à l’âge de 12 ans,
dans le temps, en son humanité,
il le vit sur la croix dans une offrande de soi
qui va rejaillir sur tous les temps
et qui va devenir le grand don offert à toute l’humanité.

L’entrée de l’humanité dans la pleine filiation divine
est désormais non seulement ouverte, mais offerte !
Ce Passage nécessaire à la pleine maturité humaine
nous pouvons désormais le vivre nous aussi !
Comment ? En nous greffant sur la Pâques de Jésus !

C’est Jésus qui nous libère
de toute forme de dépendance infantile
où nous cherchons la vie
là où elle ne pourra jamais jaillir
à la mesure de la soif de notre être profond.
Unis à Jésus nous trouvons la vraie source,
unis à Jésus nous découvrons le cœur du Père
et nous mettons en Lui nos racines vitales.

C’est la merveille de la Pâques de Jésus :
Jésus est désormais avec nous très intimement
pour qu’avec lui nous fassions les ruptures
qui sont nécessaires pour accéder à la maturité de l’amour.
Avec Jésus, je n’ai plus besoin de pomper la vie dans un humain,
parce que la vie, je la découvre en moi,
en moi en Dieu, en Dieu en moi.
Car il habite en moi et moi en Lui.
Et c’est cela qui permet de me donner,
de se donner et de recevoir chastement
l’amitié d’un autre et cela jusque dans l’amour conjugal.

Notre relation vivante à Jésus
n’est pas un obstacle à notre épanouissement, à notre maturation :
il en est la garantie pour toute notre vie.

Quelle consolation !
Quelle espérance inouïe pour chacun de nous.
Quelle espérance aussi pour toute famille.

Toutes vos familles sont appelées
à devenir des saintes familles !
Des Saintes familles ce sont des familles
où chacun peut mûrir
vers l’amour adulte, libre, chaste et joyeux.

Et cela est possible parce que Jésus habite vos familles.
En redescendant à Nazareth librement et par amour,
– en ne restant pas au Temple –
Jésus a montré combien il aime habiter la famille humaine !

Nous vivons dans une culture qui exclut Dieu,
qui dès lors cultive les dépendances,
mais Jésus habite vos familles et les sanctifie.
Plus il est accueilli par une famille,
plus l’horizon affectif de la famille
s’ouvre vers le Père du Ciel
dans une commune foi de recevoir de Lui la Vie.

La présence de Jésus libère l’amour dans la famille
parce que l’Esprit Saint l’envahit
et se répand en chacun et entre les membres de la famille.
La famille devient alors ce qu’elle est :
un sacrement de la famille divine,
de la famille trinitaire.

La circulation incessante de l’Amour
entre les personnes divines
se faufile dans la famille
qui devient vraiment une Sainte Famille !

Voilà ce qu’aujourd’hui
nous pouvons demander pour nos familles
et pour toutes les familles de la Terre.

*

Jésus, ma force est en moi
qui demeure en Toi,
en Toi qui demeure en moi.
Alléluia !

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