FMJ Mtl21e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – B
Frère Antoine-Emmanuel
Jos 24, 1-2a.15-18 ; Ps 33 ; Ép 5, 21-32 ; Jn 6, 60-69
26 août 2012
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Voulez-vous partir vous aussi ?

Au début de notre période de repos,
depuis la fenêtre de ma cellule,
au milieu d’un boisé, à l’aube,
j’ai été témoin d’une scène étonnante :
un ours brun qui, juste devant ma fenêtre,
s’est arrêté et s’est mis à creuser le sol
avec une force impressionnante.
Que cherchait-il ?
Je ne le compris qu’après son départ :
il avait senti qu’il y avait là des fourmis
et il y faisait son déjeuner…

Je garde cette image en mémoire
parce qu’elle nous dit la nécessité de creuser
avec détermination, avec patience,
pour trouver dans l’Écriture
la Parole qui nourrit notre vie.

C’est cela que nous allons faire ensemble cette année.
Creuser… chercher… aller en profondeur dans l’Écriture
et dans la tradition liturgique de l’Église
pour nourrir l’amour, la foi, l’espérance, en nous ;
pour nourrir la vraie Vie en nous.

Et nous commençons ce dimanche
avec ce magnifique évangile
qui conclut le discours sur le Pain de Vie.

*

Aujourd’hui, c’est la crise, la grosse crise.
Jésus vient de se présenter comme Pain vivant
qui donne sa chair pour la Vie du monde (cf. Jn 6, 51).
Et il est allé jusqu’à affirmer :
« Si vous ne mangez la chair du Fils de l’Homme
et ne buvez son sang,
vous n’avez pas la Vie en vous » (6,53).
Entendez ici : la Vie véritable,
la Vie en plénitude, la Vie éternelle.

Et c’est la crise…
« Cette parole est dure ! Qui peut l’entendre ! » (6,60)
Et la grande majorité des disciples de Jésus vont Le quitter ;
d’autant plus que Jésus ne se rétracte pas
face au refus de sa Parole ;
Il insiste au contraire,
disant que ses paroles sont Esprit et Vie (cf. 6,63).
Alors, littéralement,
les disciples vont partir de Lui « en arrière » (6,66).
Ils font marche arrière dans la confiance en Jésus.
Ils ne marchent plus avec lui (id.).
Et l’on voit l’entourage de Jésus qui se décompose,
ne laissant autour de Lui qu’un petit nombre.

Les douze apôtres, eux restent.
Est-ce que Jésus les félicite, les flatte ?
Non, Il les questionne,
pour que les disciples grandissent en liberté :
« Voulez-vous partir vous aussi ? » (6,67)

Saint Pierre, qui a reçu un charisme de foi très particulier,
répond : « Seigneur à qui irions-nous,
Tu as des paroles de Vie éternelle ? » (6,68).

*

Les disciples disent que la parole de Jésus est dure ;
Pierre dit que ce sont, au contraire, des paroles de Vie éternelle ;
et Jésus a affirmé que ses Paroles sont Esprit et Vie.

Nous avons là trois prises de parole qui tracent
comme un chemin pour nous :
en face de la Parole de Dieu, en face de l’Évangile,
et, particulièrement, en face de l’Évangile de l’Eucharistie,
il y a trois approches.

À priori, dans une première approche,
l’Évangile est dur,
au sens qu’il est dur à admettre, difficile à croire.
Quand un homme dit qu’il est descendu du Ciel (6,61) ;
quand il dit qu’il est pain vivant ;
qu’il est le chemin, la vérité et la vie (14,6) ;
qu’il est la Résurrection et la Vie (cf. 11,25)
et que nul ne va au Père sans passer par Lui (cf. 14,6).
« Cette parole est dure !! Qui peut l’entendre ? »
Peut-on croire qu’il n’y a pas d’autre nom donné aux hommes
par lequel nous puissions être sauvés ? (cf. Ac 4,12)

« Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter
là où Il était auparavant ? (Jn 6, 62) »
Quand nous sommes en face de la croix,
en face de ce corps défiguré par la souffrance
et de ce cadavre déposé au tombeau…
« Je suis la résurrection et la vie » ? Vraiment ?

Oui, cette parole est dure à accueillir…
Et pourtant Pierre proclame
que Jésus seul a des paroles de Vie éternelle !

Que s’est-il passé dans le cœur de Pierre ?
Il y a eu un don de Dieu et un consentement de Pierre.
Un don de foi déposé en lui par le Père,
et un oui de son cœur qui fait confiance.
La parole dure est pour Pierre Parole de Vie.
« Nul n’a parlé comme cet homme » (cf. Jn 7,46)
diront bientôt les gardes à Jérusalem.

De fait qui a parlé de la Vie éternelle comme Jésus ?
Qui dans l’histoire biblique,
qui dans l’histoire des peuples,
a parlé de la Vie éternelle avec une telle assurance ?

Lorsque l’Esprit Saint nous ouvre à la foi
et que nous Lui faisons confiance,
les paroles de Jésus ne sont plus dures ou obscures :
elles nous parlent d’une Vie dont au fond de nous
nous avons tellement soif.

Je pense à Édith Stein, cette philosophe juive, allemande,
qui, découvrant l’Évangile à travers Thérèse d’Avila,
a trouvé ce dont elle avait soif,
ce qu’elle cherchait depuis si longtemps.
On pourrait en dire autant de Saint Augustin, de Simone Weil
et de tant de convertis
qui ont trouvé dans la Parole
la Vie qu’ils cherchaient âprement.

La Parole qui semblait dure
s’est comme brisée,
elle a laissé paraître la source vive qu’elle contient
et cette source a le goût de l’au-delà.
Voilà ce dont nous faisons l’expérience
si nous donnons du temps à la Parole.

Frères et sœurs, priez la Parole,
et la Parole va devenir une source.

*

Jésus nous conduit même plus loin.
C’est l’Esprit qui vivifie, dit-il.
La chair n’a aucune utilité.
Les paroles que Je vous ai dites
sont esprit et elles sont vie ».

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Ce qui est seulement humain en nous,
ce qui est de notre seule nature humaine blessée
ne peut pas nous donner la vie véritable, la Vie éternelle.
La Vie ne peut germer en nous qu’à partir de notre esprit,
c’est-à-dire des profondeurs divines, spirituelles, en nous.

Or les Paroles de Jésus sont esprit
et parce qu’elles sont Esprit,
par elles nous vient la vraie Vie.

Il y a entre les paroles de Jésus
et les profondeurs de notre être
une rencontre, une fécondation, extraordinaire,
bien au-delà de ce que nous pouvons ressentir.

La Parole, l’Évangile, l’Évangile de Jésus « Pain vivant »,
est comme une semence déposée
dans notre profondeur « spirituelle ».

Quand nous prenons le temps de prier la Parole,
c’est Jésus-Époux qui dépose en nous sa semence de Vie.
Et cela se passe dans le « souffle », dans « l’esprit »,
par l’Esprit Saint.

Quand ensemble nous accueillons la Parole,
nous faisons l’expérience de ce que le Christ, l’Époux
Se livre pour nous,
pour l’Église que nous sommes,
pour l’Épouse.
Pour nous rendre resplendissants, saints,
beaux de sa propre beauté.

*

Voilà ce qui se vit dans une âme à qui Dieu donne la foi
et qui s’ouvre à ce don.
Sinon c’est la crise.
La Parole est dure et l’on fait marche arrière.
N’est-ce pas ce qui s’est passé au Québec
dans les 50 dernières années ?
La grosse crise, les églises se sont vidées…

« Voulez-vous partir vous aussi ? »
nous demande Jésus dans l’Évangile d’aujourd’hui !
« Je suis le Pain vivant descendu du Ciel.
Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra pour l’éternité. »

« Qui mange ma chair et boit mon sang a la Vie éternelle
et Moi, Je le ressusciterai au dernier jour » (6,54).

Voulez-vous partir, vous aussi ?

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