FMJ Mtl25e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – A
Frère Thomas
Is 55, 6-9 ; Ps 144 ; Ph 1, 20-24.27 ; Mt 20, 1-16
21 septembre 2014
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

La justice miséricordieuse

« Allez, vous aussi, à ma vigne,
et je vous donnerai ce qui est juste. » (Mt 20,4)
Certains, à la fin de la journée,
trouvent que le maître de la vigne n’est pas juste.
Tout simplement parce qu’il ne respecte pas – apparemment –
la règle élémentaire du droit du travail :
« À travail égal salaire égal. »
Pourtant ce que dit le maître de la vigne se tient :
« Je ne te fais aucun tort.
N’as-tu pas été d’accord avec moi
pour une pièce d’argent ?
Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi :
n’ai-je pas le droit
de faire ce que je veux de mon bien ? » (Mt 20, 13-15)

Si Jésus nous donne-là une parabole du Royaume des Cieux,
quelle est donc la justice du Royaume des Cieux ?
Quelle est donc la justice de Dieu ?
Suivons, pour essayer de répondre à cette question, pas à pas,
le maître de la vigne de la parabole.

Il sort au petit matin – c’est-à-dire vers six heure du matin –
pour aller embaucher des ouvriers.
C’étaient des journaliers, embauchés pour la journée,
et payés en fin de journée.
Il convient avec eux de leur salaire.
Puis, il sort de nouveau vers neuf heures,
pour aller embaucher d’autres journaliers.
Il promet de leur donner ce qui est juste. (Mt 20,4)
Qu’est-ce qui est juste ?
Nous pourrions penser trois-quarts de pièce d’argent,
puisqu’ils n’auront travaillé que les trois-quarts de la journée
(la journée de travail se terminant à dix-huit heure).
Il sort encore à midi, à quinze heure
pour aller embaucher d’autres ouvriers.
Nous voyons donc la persévérance de ce maître
à aller embaucher des ouvriers,
même après que l’heure du début du travail soit passée.
Curieux employeur, pour qui après l’heure, c’est encore l’heure !
Et de plus, il ne fixe aucun contrat de travail
avec ces ouvriers arrivés en retard.
Il leur dit simplement :
« Je vous donnerai ce qui est juste. »
Il renouvelle encore une de ces embauches tardives
à dix-sept heure (à la onzième heure pour l’homme biblique).
Il s’étonne pourquoi ces gens-là
sont restés toute la journée sans rien faire.
Il semblerait que ce maître soit davantage préoccupé
de voir ses concitoyens embauchés quelque part
que de la rentabilité de sa vigne.

Tout se complique quand il décide
de payer chacun des ouvriers de la même somme,
quelque soit le nombre d’heures de travail faites pour chacun.
Il semblerait que l’argent ne compte pas pour lui.
Il est généreux, mais ne serait-il pas un peu naïf ?
Le lendemain, personne ne voudra travailler chez lui
dès six heure du matin,
puisque quelle que soit l’heure où on arrive,
on est payé pareil.
Et de plus, Jésus affirme :
« les derniers seront premiers,
et les premiers seront derniers. » (Mt 20,16)
Il y a donc grand avantage d’arriver en dernier !

Jésus encouragerait-Il l’absentéisme, la paresse,
le désengagement dans le travail ?
Jésus ne veut rien de tout cela.
Il est simplement intéressé par la personne de chacun,
et non pas tant par ses résultats.

Que regardent donc les ouvriers de la première heure
lorsqu’ils récriminent contre le maître ?
Ils regardent un aspect purement mathématique :
nous avons travaillé douze heures,
eux n’on travaillé qu’une heure ;
nous devrions être payés douze fois plus qu’eux.
C’est un raisonnement logique, qui apparemment se tient.
Mais ils oublient qu’ils avaient été d’accord avec le maître
pour une pièce d’argent.
Si ce dernier veut payer les derniers arrivés
autant que les premiers, ce n’est pas leur affaire.

Les pensées du Seigneur ne sont pas nos pensées,
ses chemins ne sont pas nos chemins. (Is 55,8)
Le Seigneur compte à Abraham sa foi comme justice
et non pas des œuvres extraordinaires qu’il aurait faites.
Dieu a fait Jésus Christ péché,
afin qu’en Lui nous devenions justice de Dieu (2 Co 5,21)
– écrit Saint Paul.

Pour nous la justice, c’est souvent une question de mérite.
Un tel a fait une bonne action, il mérite une récompense.
Tel autre a fait une mauvaise action, il mérite une punition.

C’est ainsi que fonctionnent nos lois humaines,
et il est bon qu’il y ait des lois
pour nous donner des points de repère
dans la manière dont nous agissons.

Si le maître n’avait pas payé ses ouvriers
à qui il avait promis une pièce d’argent,
il aurait manqué à sa parole
et il aurait commis une grave injustice.

Il importe alors que des mesures significatives soient prises,
à la fois pour protéger ou dédommager les victimes
de ceux qui commettent de telles injustices,
et pour faire prendre conscience à ceux qui les commettent
de la fragilité de leurs actions
et les aider à changer leur façon d’agir.

Mais lorsque les ouvriers de la première heure
réclament d’être payés davantage que ceux de la dernière heure,
c’est eux qui veulent ajouter une nouvelle loi
qui dirait au maître : « Tu n’as pas le droit d’être bon ! »

Terrible loi qui provient de l’œil mauvais de ces ouvriers.
Ils sont jaloux à la fois des ouvriers de la dernière heure
et du maître.
Ils s’imaginent : « Il aime ces derniers plus que nous…
Il ne nous aime pas. »

Souvent, lorsque je regarde la miséricorde,
la bonté que Dieu manifeste à bien des personnes,
les talents qu’Il leur donne…
je suis pris par la jalousie.
J’en oublie toute la miséricorde et la bonté
que Dieu me manifeste à moi
et je nourris de mauvaises pensées
contre ces personnes et contre Dieu.

Nous pouvons remarquer dans la parabole
comment le maître parle différemment
avec ceux qu’il embauche aux différentes heures de la journée.
Avec ceux de la première heure,
il convient de leur salaire en fin de journée.

À ceux de neuf heures, de midi et de trois heures,
il dit seulement : « Je vous donnerai ce qui est juste. »
À ceux de cinq heures, il dit :
« Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ? »
Lorsqu’ils lui répondent :
« Parce que personne ne nous a embauchés »,
il leur dit : « Allez, vous aussi, à ma vigne. »

Avec les premiers, il peut faire un contrat de travail
en bonne et due forme – contrat qu’il honore.
Avec les suivants, il les embauche par bonté,
parce qu’il les voit désœuvrés.
Il ne leur promet rien de précis…
mais à la fin il les paie comme les premiers,
par bonté, par miséricorde.

Si la justice ne laisse plus la place
à la bonté, à la miséricorde, à la gratuité,
quantité de personnes se retrouvent exclues, rejetées,
parce que pour de multiples raisons,
elles ne sont pas arrivées à temps, au bon endroit,
parce que leur vie n’a pas su obéir à certaines règles.

Si notre Dieu était un Dieu de justice sans miséricorde,
alors aucun d’entre nous ne pourrait se tenir ici devant Lui,
à célébrer sa Parole et son Eucharistie.
« Celui qui pardonne et celui qui est pardonné
– écrivait le pape Saint Jean-Paul II
dans son encyclique sur la miséricorde –
se rencontrent sur un point essentiel,
qui est la dignité ou la valeur essentielle de l’homme ».

Ainsi la bonté et la miséricorde n’amoindrissent pas la justice.
Au contraire, elles la font grandir.
« Il n’y a pas de justice sans pardon »
– disait aussi Saint Jean-Paul II.

Jésus nous fait entrer dans la justice non pas des actes,
mais des personnes.
Quel trésor pour notre humanité qui nous est confié,
pour que nous en vivions et que nous le partagions.

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