FMJ Mtl33e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – A
Frère Thomas
Pr 31, 10-13.19-20.30-31 ; Ps 127 ; 1 Th 5, 1-6 ; Mt 25, 14-30
16 novembre 2014
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Entre dans la joie de ton Maître !

Quels sont donc les talents que nous avons reçus ?
Ils sont nombreux assurément !
Il y a d’abord notre vie, notre santé.
Il y a notre famille, notre ascendance, notre culture,
notre être d’homme ou de femme.
Puis il y a nos connaissances, nos habiletés,
nos savoir-faire, nos compétences.
Ajoutons à cela notre beauté, nos possessions,
nos amis, nos relations, notre profession,
nos engagements, la paix dans laquelle nous vivons
et… notre foi.

Une première constatation saute aux yeux à toute personne
qui considère ainsi tous ces talents dans l’humanité :
quelle disparité dans la distribution de ces talents !
Et il en est bien ainsi dans la parabole.
Le maître donne à l’un de ses serviteurs cinq talents,
à un autre deux et à un troisième un seul,
à chacun selon ses capacités.

Voilà bien une clef fondamentale pour accueillir,
pour comprendre cette disparité dans la distribution.
Les talents ne nous sont pas donnés pour nous seuls,
mais afin que nous les fassions fructifier pour Dieu,
pour les autres, chacun selon notre capacité.

Si nous n’étions que de simples bénéficiaires de dons
que Dieu nous distribuerait,
alors, il y aurait de quoi crier à l’injustice !
Dieu est injuste pensent certains,
et peut-être nous arrive-t-il aussi parfois de le penser !

Aux uns Il donne la richesse, la beauté,
l’intelligence et la santé,
et aux autres Il donne la misère, la laideur,
la pauvreté culturelle, la maladie.
Et souvent bien des infortunés sur cette terre
cumulent tous les malheurs !

Si véritablement Dieu est un si mauvais distributeur,
alors, je préfère être athée,
et essayer autant que je le peux
de mettre un peu plus de justice sur cette terre.

Mais lorsqu’il s’agit de talents à faire fructifier, tout change !
Ce n’est plus un Dieu de favoritisme, ni d’immobilisme,
mais un Dieu de relations, de mouvement.
C’est entre nos mains qu’Il confie la justice entre nous,
et Il nous en demandera des comptes.
Si tel reçoit la richesse,
ce n’est pas pour lui seul qu’il la reçoit.
Si tel est dans la misère,
ce n’est pas pour qu’il y reste indéfiniment.

Et le Seigneur n’attend pas d’abord
que nous distribuions ce qu’Il nous confie,
mais que nous le multiplions.
Ainsi, celui à qui Il a confié cinq talents
en produit cinq autres ;
celui à qui Il en a confié deux
en produit deux autres.
Quelle dignité est ainsi la nôtre !
Dieu ne fait pas de nous de simples réceptacles de ses biens.
Il fait de nous des gestionnaires de ses biens
et même des créateurs de ses biens.
Il nous fait participer à Son œuvre de création.
« Soyez féconds, multipliez-vous,
emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1,28).
dit Dieu au premier couple de l’humanité
après les avoir créés, dans le premier récit de la Création.

Mais alors pourquoi dans la parabole
le maître confie-t-il son bien à lui à ses serviteurs ?
On dirait qu’ils n’ont rien à eux,
que leur maître les exploite pour s’enrichir.
Et dans cette perspective,
on prendrait volontiers la défense du troisième serviteur
qui enfouit le talent de son maître dans la terre,
refusant de travailler pour enrichir son maître.

Là encore, on peut regarder Dieu comme un tyran,
qui nous ferait travailler pour son profit à Lui,
sans se soucier de nous.
Si Dieu est ainsi, alors là aussi je préfère être athée.
Mais alors un jour ne vais-je pas me retrouver
dans les ténèbres, dans le néant,
avec des pleurs et beaucoup de colère,
comme le troisième serviteur de la parabole ?

Mais regardons de plus près le maître de la parabole.
Lorsqu’il confie ses biens à ses serviteurs,
avant de partir en voyage,
il les confie à chacun selon ses capacités.
Il tient compte de chacun.
Et lorsqu’il les retrouve, à son retour,
avec leurs gains, il leur dit :
« Entre dans la joie de ton maître » (Mt 25,21).

Comment est-ce que je regarde Dieu ?
Comme un maître injuste,
qui distribue ses biens de façon injuste,
qui fait travailler les humains pour Lui,
sans se soucier de leur bien ?
Comme un ennemi de mon épanouissement,
qui m’aliène dans la réalisation de moi-même ?
Ou bien comme un ami, un frère, un père,
qui veut me faire entrer dans Sa joie ?

Se pourrait-il tout de même que les serviteurs
qui travaillent pour leur maître, dans la parabole,
éprouvent de la joie à travailler ainsi ?
Se pourrait-il tout de même qu’ils gagnent leur vie
à travailler pour leur maître,
car la joie appelle la joie,
la vie appelle la vie ?

Est-ce que je ne veux vivre que pour moi,
éventuellement en partageant un peu de ma vie
avec quelques proches que j’aurai choisi ?
Est-ce que je veux être en colère contre Dieu,
décrétant sans appel qu’Il est dur,
qu’Il est injuste, et ne travaillant que pour moi
– ou pour des personnes que j’aurai choisies –
me faisant l’artisan de ma conception de la justice ?

Ou alors est-ce que je veux m’ouvrir
à plus grand que moi, à plus loin que moi ?
Mes talents – aussi petits soient-ils –
je m’en émerveillerai.
Je les utiliserai pour travailler pour Dieu, avec Dieu,
pour travailler pour les autres,
pour travailler véritablement pour moi,
à mon véritable épanouissement
comme être de relation et d’amour.
Les talents des autres, je n’en serai pas jaloux,
car ils me profiteront.

Si nous travaillons tous sous le regard de Dieu,
nous travaillons tous à faire ensemble grandir la joie,
à faire ensemble grandir la vie.

Si je suis riche et en santé,
je ferai fructifier mes richesses pour qu’elles profitent à d’autres.
Si je suis pauvre et malade, je susciterai de l’amour
et de la compassion chez les autres
pour faire grandir la joie et la vie,
chez moi … et chez eux.

Qu’il est bon… en considérant nos talents
et en les faisant fructifier
d’entrer dans la joie de notre Dieu.

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