FMJ Mtl1er DIMANCHE DE CARÊME – A
Frère Thomas
Gn 2, 7-9 ; 3, 1-7 ; Ps 50 ; Rm 5, 12-19 ; Mt 4, 1-11
9 mars 2014
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

En route avec le Christ, sur le chemin rude et joyeux du Carême

Nous voici donc en route sur le chemin du Carême.
Depuis mercredi dernier, où nous avons reçu les Cendres,
nous sommes partis.
Quel est le but de ce chemin ?
C’est la célébration de la Pâque du Christ.
Et en quoi la Pâque du Christ nous intéresse
sinon qu’elle annonce notre propre pâque ?
Donc si le Carême nous intéresse, nous stimule,
c’est parce qu’il nous rapproche de notre résurrection.
Il commence par les Cendres, signe de notre mort,
et aboutit à la lumière de Pâques, signe de notre vie éternelle.
Si donc le Carême est stimulant,
il ne saurait être de tout repos,
car nous y rencontrons la tentation et le tentateur.
Mais le Christ a vaincu pour nous
et la tentation et le tentateur.
Il nous a donné pour cela deux armes irrésistibles :
la Parole de Dieu et l’Esprit Saint.

Dans la liturgie latine,
le Carême contrairement à l’Avent,
vient sans s’annoncer.
Rien dans la liturgie n’annonce le Mercredi des Cendres.
Il faut, pour le voir arriver,
prendre la peine de consulter un calendrier,
d’autant plus que la date en change chaque année.
Et il y a comme un inconscient collectif chez les chrétiens
– même pratiquants – qui ne cherche pas vraiment
à s’en informer à l’avance.

Combien de personnes, à qui cette année,
je rappelais la date du Mercredi des Cendres me disaient :
« Ah oui, c’est vrai ! C’est ce jour-là ! »

D’où vient ce manque d’intérêt pour le temps du Carême ?
N’est-ce pas que beaucoup – un grand nombre même –
n’en saisissent pas le sens, la finalité ?
Le Carême reste associé, dans la mémoire collective,
à un jeûne fastidieux et ennuyeux.
C’est la raison pour laquelle ce jeûne durant le Carême
n’est plus vécu par un grand nombre de catholiques :
en effet pourquoi nous priver
quand nous ne savons pas le but des privations,
surtout lorsque nous baignons dans une société
qui sans cesse nous pousse à consommer.
Si notre mère l’Église nous donne à vivre le Carême,
ce n’est pas pour nous charger de fardeaux supplémentaires,
nous qui avons déjà suffisamment de soucis dans nos vies !

Non ! Ce que veut nous dire l’Église
en nous donnant à vivre chaque année le temps du Carême,
c’est l’importance, la grandeur, la beauté,
l’unicité et la crucialité pour notre foi, de la fête de Pâques !

Quelle est la plus grande des fêtes chrétiennes ?
Est-ce Noël, la fête de la naissance du Christ dans notre monde ?
Non ! C’est Pâques,
la fête de la mort et de la résurrection du Christ.
Car sans Pâques, Jésus ne serait qu’un sage
parmi d’autres dans notre monde.
Sans Pâques, il n’y aurait ni Baptême, ni Eucharistie.
Nous ne serions pas rassemblés en cette église en ce dimanche.
Interrogé par un journaliste sur ce qu’il considérait
être l’événement le plus marquant de l’année écoulée,
le théologien orthodoxe Olivier Clément répondait sans hésiter :
« la célébration de la Pâque de cette année ».

Pâques, c’est l’irruption de la vie
au cœur de la mort dans le monde.
Pâques, c’est le signe et la promesse
que la mort inexorable de nos corps,
n’est pas le dernier mot !
Pâques, c’est déjà notre résurrection qui est là !
Si notre résurrection est là pour nous…
nous, sommes-nous là pour notre résurrection ?
Voilà pourquoi l’Église nous offre chaque année le Carême,
afin de nous permettre de nous décider
de marcher quelques pas de plus vers notre résurrection.

Si nous avons compris cela,
alors nous comprenons et nous embarquons volontiers
dans les efforts de Carême qui nous sont proposés.

Nous voilà donc embarqués sur le chemin du Carême.
La première étape, dans la liturgie de l’Église latine,
c’est le Mercredi des Cendres.
Nous avons reçu les Cendres sur notre front.
Nous nous souvenons ainsi que nous sommes mortels,
que nos corps sont poussière et qu’ils retourneront
un jour à la poussière.
Mais c’est une croix avec les Cendres que nous recevons…
c’est donc que notre mort sur cette terre n’est pas le dernier mot.
Seuls ceux et celles qui sont conscients de leur faiblesse
et de leur finitude reçoivent volontiers l’imposition des Cendres.

La deuxième étape marquante du Carême,
c’est aujourd’hui, en ce premier dimanche du Carême :
c’est Jésus qui est tenté au désert.
Pourquoi donc Jésus a-t-il vécu ces tentations ?
Et même, c’est L’Esprit Saint qui a poussé Jésus au désert
pour être tenté par le démon – nous dit l’évangéliste.
Saint Paul nous donne une explication :
Par un seul homme, Adam, le péché est entré dans le monde,
et par le péché est venue la mort ;
– c’est là le récit du premier péché, dans la Genèse,
que nous avons entendu –
de même que tous sont devenus pécheurs
parce qu’un seul homme a désobéi,
de même – continue Saint Paul –
tous deviendront justes, parce qu’un seul a obéi (Rm 5,18).

Ainsi le premier Adam, a succombé à la tentation ;
et le nouvel Adam, le Christ, Lui, a vaincu la tentation.

C’est donc pour nous que Jésus a vécu ces tentations,
afin de nous permettre de les vaincre
si nous mettons notre foi en Lui.
Mais pourquoi donc Jésus a-t-Il jeûné,
S’est-Il privé de nourriture durant quarante jours ?

Hier John Hadjinicolaou, théologien orthodoxe, nous rappelait
le sens profond du jeûne durant le Carême,
lié au mystère de notre salut.

C’est par la nourriture que le premier Adam a péché,
c’est par la privation de nourriture
que le nouvel Adam – le Christ – est resté fidèle.
« Car ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre,
mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4,4).
Cela, le premier Adam l’avait oublié,
et le nouvel Adam S’en est souvenu.
Le Carême nous rappelle cette réalité.
Si nous, qui sommes en bonne santé
et avons de quoi subvenir à nos besoins,
ne changeons rien dans notre façon
de nous alimenter durant ce Carême
– personnellement, et si cela est possible, communautairement, –
nous passons à côté d’un aspect essentiel de ce temps.

D’autant plus que le jeûne – s’il n’est pas exagéré
et s’il est ajusté à la vie que nous menons –
nous rend davantage disponibles pour la prière et pour le partage.
Si nous, qui faisons partie de la minorité aisée
des personnes de notre planète,
ne ressentons jamais la faim, la privation,
comment pourrons-nous vivre en vérité
de la compassion pour la majorité
dans le besoin des personnes de notre planète !
Et ces personnes ne sont pas seulement
à des milliers de kilomètres :
il y en a tout près de nous.
Eux vivent les privations du Carême toute l’année.

Le pape François à cet égard, dans sa lettre pour le Carême,
nous met en garde contre une aumône qui ne nous coûterait pas,
qui ne nous ferait pas mal.

Et s’il y a le jeûne de nourriture,
il y a aussi le jeûne d’images, le jeûne de musique,
le jeûne de paroles inutiles, le jeûne de comportements,
d’actions de rencontres
qui ne nous aident pas à vivre unis à Jésus-Christ.

Oui, le Carême a une côté laborieux, fastidieux parfois.
N’est-ce pas normal,
puisqu’il nous fait d’abord entrer dans la mort de Jésus Christ ?
Mais si nous le vivons avec le Christ, unis à Lui,
tendus avec Lui vers sa mort et sa résurrection,
alors nous pourrons nous y engager de tout notre cœur,
de toute notre intelligence et de tout notre corps.
Avec les chrétiens d’Orient, nous pourrons entrer
dans la « radieuse tristesse » du Carême.

Ce qui est intéressant pour nous,
c’est de voir comment Jésus
vient à bout de la tentation et du tentateur.
D’abord Jésus est conduit au désert par l’Esprit Saint,
juste après son baptême.
Ainsi Jésus n’est pas désarmé face au tentateur, face au démon.
De même, nous qui avons reçu le Baptême et la confirmation
– ou qui nous préparons à recevoir ces sacrements –
nous avons la force de l’Esprit Saint en nous
pour démasquer et déjouer les pièges du tentateur.
Mais n’oublions pas que l’Esprit Saint se reçoit en Église,
qu’il importe que nous nous entraidions à vivre de l’Esprit Saint.
À cet égard, un chrétien seul
– surtout dans un monde qui n’est pas chrétien –
est un chrétien en danger.

Et nous voyons que c’est par la Parole de Dieu
que Jésus déjoue les pièges du démon.

Combien la Parole de Dieu est donc primordiale
pour nos vies de chrétiens.
Dans la liturgie de l’Église,
nous la recevons, nous prions à partir de la Parole de Dieu.
Et l’Église a une pédagogie par les textes bibliques
qu’elle nous offre durant le Carême.
Recevons-les.
Prenons le temps de les méditer,
de les connaître, de les intérioriser.

Dans les premiers siècles, l’Église avait institué le Carême
pour permettre aux catéchumènes adultes
de bien se préparer à leur Baptême à Pâques.

Si nous sommes baptisés depuis longtemps,
nous pouvons vivre le Carême avec les catéchumènes,
en vue de nous replonger à Pâques dans la grâce de notre Baptême.
Nous n’aurons pas assez de notre vie sur la Terre
pour découvrir l’abondance de la gloire de la vie nouvelle
que nous avons reçue à notre Baptême
dans la mort et la résurrection du Christ.
L’Esprit Saint pour cela nous est donné ;
invoquons-Le, prions-Le, avec persévérance et insistance ;
La Parole de Dieu nous est offerte, par l’Église,
spécialement dans la liturgie ;
recevons-la, prions-la, et conservons-la.

Que Dieu soit béni de nous donner ce temps de Carême,
pour nous renouveler un peu plus,
dans la célébration de la Pâques de sa mort et de sa résurrection.
Que Dieu soit béni pour le Christ qui pour nous
a vaincu les tentations,
et qui nous appelle à embarquer dans le jeûne avec Lui.

Que Dieu soit béni de nous donner l’Esprit Saint et sa Parole
pour marcher joyeusement sur ce rude chemin du Carême.

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