26ème dimanche du temps ordinaire – C
Frère Pierre-Benoît
Am 6, 1a.4-7 ; Ps 145 (146) ; 1 Tm 6, 11-16 ; Lc 16, 19-31
28 septembre 2025
Sanctuaire du Saint Sacrement, Montréal
Cette retranscription n’a pas été relue par l’orateur
Il est juste de partager
Chers frères et sœurs, commençons par une histoire malheureusement vraie en écho avec ce récit où apparaît Lazar (allusion à Lc 16,19-31). Cette histoire, c’est celle d’un célèbre violoniste, Joshua Bell, qui a participé il y a quelques années à une expérience sociale, c’était à Washington. Le violoniste est descendu dans le métro avec son violon Stradivarius d’un grand prix, d’une grande valeur. Il est descendu à l’heure de pointe, au milieu de la foule du métro. Il avait pour cela pris des habits très communs.
Le but de l’expérience, qu’est-ce que c’était ? C’était de voir si les gens s’arrêteraient pour écouter un musicien, soit dit en passant de renommée internationale, tandis qu’il jouait incognito au milieu de la ville avec des habits très communs. Alors, quelques chiffres : il est resté pendant 45 minutes et, durant cette période, seulement sept personnes se sont arrêtées pour l’écouter. Pourtant, 1100 personnes sont passées à côté de lui.
Quel contraste saisissant avec les places chères de son concert à Boston deux jours avant, où là, non seulement les gens s’arrêtaient, mais décidaient de rentrer, de payer pour participer à cette œuvre d’art. Et là, on a compté ceux qui ont donné de l’argent à ce grand musicien, Joshua Bell. Combien, d’après vous ? 27 personnes. Et le fruit de la quête était de 52 dollars et 17 cents.
Que nous apprend cette histoire ? Eh bien, que dans notre humanité, une partie de nous-mêmes, la partie blessée sans doute par le péché, va plus facilement être prête à partager avec celui qui donne bonne apparence. Le prix des billets du concert de Boston était largement plus que la quête totale de 52 dollars et 17 cents. Et pourtant, nous sommes frères et sœurs, ensemble à l’image et à la ressemblance de Dieu. Image d’un Dieu relationnel : Père, Fils et Saint-Esprit.
Et notre itinéraire sur la terre en vue du ciel, c’est de travailler à acquérir de nouveau, avec grâce et avec décision, la ressemblance qui fait de nous des êtres de relation. Souvenons-nous ce que Pierre disait à Corneille : « Dieu ne fait pas acception des personnes, mais en toute nation, celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable. » (Allusion à Ac 10,34-35).
Alors, pour pratiquer la justice, nous avons un trésor, frères et sœurs, dans l’Église catholique qui s’appelle la PSE. Connaissez-vous ça ? La Pensée Sociale de l’Église (PSE). Il y a même un Compendium. Il y avait même un projet ici au sanctuaire qu’un groupe se penche pour travailler ce document qui est d’une très grande richesse et résume la Doctrine Sociale de l’Église, la Pensée Sociale de l’Église, et notamment un des cinq piliers, c’est la destination universelle des biens. C’est de cela que l’Évangile – Lazar, Abraham et ce riche qui n’a pas de nom – nous parle : la destination universelle des biens.
Qu’est-ce que cela ? Si on le résume simplement, ça repart de Dieu. Dieu, Lui, à la création, a destiné toute chose à l’usage de tous les hommes et femmes, sans exclure ni privilégier personne. Ainsi donc, les biens de la création doivent arriver équitablement entre les mains de tous, selon la justice et la charité. Ceci pour permettre à chacun – mais nous en sommes loin – de satisfaire ses besoins fondamentaux. Ceci à l’échelle d’une communauté, d’une ville, d’un continent ou de notre humanité.
Dans ce contexte de la destination universelle des biens, qu’en est-il de la propriété privée ? Eh bien, la propriété privée est légitime, mais elle est cadrée par le respect du bien commun et cette destination universelle des biens. Ce qui est ma propriété est quelque chose qui m’a été confié. Dieu est créateur de toute chose. Il nous fait confiance. Nous avons ainsi, dans la dimension de la propriété, une responsabilité sociale à exercer.
C’est ainsi qu’apparaît ensuite le lien entre cette destination universelle des biens (ou pour dire plus simplement ce bon usage de la propriété) et un autre principe : l’option préférentielle pour les pauvres, qui implique la solidarité, le partage. Car nous sommes responsables les uns des autres. « Qu’as-tu fait de ton Frère ? » (Allusion à Gn 4,9).
Alors, ce tableau guide une vision morale de l’économie et de la société pour réaliser ce monde juste, solidaire, prémisse du monde d’éternité, du royaume des cieux. Un monde juste et solidaire où la richesse est au service du bien-être de tous, du bien commun. L’être humain est en soi un être social en écho à la société trinitaire du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Alors cela, c’est possible de le réaliser. Je vais prendre, avec humilité, des exemples locaux.
Par exemple, ici, chers frères et sœurs, cet hiver, vous n’aurez pas froid, car il y a plusieurs années, nous avons refait les huit grandes baies vitrées ici, et puis l’ensemble des 249 fenêtres, si je me souviens bien, du sanctuaire, des studios, des résidences pour les sœurs et les frères. Une partie significative de ces biens ont été financés par un généreux mécène, lui-même très fortuné, mais qui a compris, lorsque nous l’avons sollicité, qu’il était de sa responsabilité, lui étant doté de finances abondantes, de partager avec ceux qui, en l’occurrence, en avaient moins. Voilà la propriété privée qui est bien utilisée.
L’histoire dans l’Évangile de ce riche, ce n’est pas un problème de richesse, c’est un problème de tempo. Ce riche a compris trop tard qu’il était juste de partager. En effet, il est assez émouvant de le voir à la fin qui dialogue, qui discute avec Abraham (Lc 16,23-31). Le voici qui s’ouvre, peut-être pas à l’universalité de la société, mais en tout cas au moins à sa famille, à ses cinq frères qui ne sont plus avec lui, mais il intercède pour eux. « J’ai cinq frères », dit-il à Abraham, pour que quelqu’un leur porte un témoignage pour qu’ils aient une vie bonne ici et après.
Problème de tempo, c’était un peu tard. Il aurait dû tendre l’oreille, écouter la PSE, par exemple, la pensée sociale de l’église, tandis qu’il était ici.
Un second exemple local aussi où plusieurs d’entre vous, et je vous en remercie, contribuent, laïcs et frères et sœurs : le bazar. Le bazar qui est ici sur Saint-Hubert. Des dons abondants sont faits chaque semaine. Des produits de seconde main sont donnés gratuitement et qui deviennent un temps la propriété du bazar. Après être triés, rangés, lavés, organisés par toute une équipe généreuse de bénévoles, ils sont remis en vente.
Et l’autre partie, dans une logique d’économie circulaire, est redistribuée mensuellement à des milieux qui ont des besoins, que ce soit localement pour des besoins ici dans le quartier ou dans notre ville, ou à l’international pour soutenir des œuvres de bien discernées.
Alors, chacun d’entre nous, nous avons part à cette responsabilité. Aujourd’hui, en Amérique du Nord, au Canada, au Québec, à Montréal, quand nous ouvrons notre oreille aux cris du monde, ce n’est plus l’écrit de cet évangile seulement que nous entendons, mais aussi les cris d’une société traversée par des enjeux migratoires… Il y a aussi, plus proche de nous dans notre ville, la préparation des programmes pour les élections de futur maire ou future mairesse, où là aussi doit s’articuler la conjonction entre propriété privée et bien de la société avec cette crise du logement que nous traversons. Comment encourager des promoteurs privés pour qu’ils puissent, pour le bien de la société, mettre en route et financer des logements, tout en trouvant – et cela est juste aussi – un fruit dans leur engagement ?
Alors, méditons avec ce Lazar, avec ce Joshua Bell, avec ces enjeux de notre monde, nous qui recevons cette interpellation de la deuxième lecture (Allusion à 1 Tm 6,11-12), qui était adressée à Timothée, mais qui est adressée à toi, homme de Dieu, à toi, femme du Seigneur, avec cet appel : « Recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance et la douceur. Mène le bon combat, celui de la foi » (Allusion à 1 Tm 6,11-12). Et ceci en ce monde, en vue de la vie éternelle à laquelle nous sommes appelés.
Pour terminer, nous nous apprêtons à célébrer ce mystère du don plein, du don qui va, pour le coup, même au-delà de toute justice. Alors, avec Saint-Grégoire de Nazianze, redisons cette prière pour qu’elle puisse librement éclairer notre conscience et nos actions.
Donnons tout, offrons tout ce que nous sommes à celui, Jésus Sauveur, qui s’est donné tout entier pour nous, pour que nous vivions.
Amen.
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