FMJ Mtl27e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – A
Frère Jean-Christophe
Is 5, 1-7 ; Ps 79 ; Ph 4, 6-9 ; Mt 21, 33-43
5 octobre 2014
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

La vigne du Seigneur

Quand, dans les Écritures, on entend parler de vigne,
il faut tendre l’oreille et être attentif.
Car quand le Seigneur parle de la vigne,
Il parle de Lui et Il parle de nous.
Il parle de nous avec la tendresse du vigneron pour sa vigne,
avec l’attention du vigneron pour son vignoble.
« Je chanterai pour mon bien-aimé
le chant de mon ami pour sa vigne » (Is 5, 1).

« Mon bien-aimé avait une vigne
sur un coteau fertile », (Id.)
nous dit le prophète Isaïe.
Cette vigne, c’est tout à la fois
l’Église et chacun de nous.
C’est le Royaume de Dieu
qui a été planté sur la terre rugueuse de notre humanité.

C’est aussi la plante nouvelle
qui a été semée en chacun de nous
le jour de notre baptême,
cette grâce qui fait de nous,
non plus des broussailles vouées à la mort,
mais des plants d’élection
promis à l’Éternité divine.

Notre Bien-aimé a bêché et épierré,
continue Isaïe (5,2).
Il a retourné le sol de notre nature humaine,
ce sol pierreux durci par le péché.
Nos cœurs ont tant de mal à aimer.
Ils se referment si facilement sur eux-mêmes
comme des cailloux stériles.
Mais le Seigneur, par sa grâce,
les a renouvelés un à un,
les a ouverts, assouplis, fertilisés.
Toute l’œuvre de Dieu dans l’histoire
consiste à féconder sans cesse
la terre de notre humanité blessée.

Oui, c’est une œuvre de vie
que le Seigneur réalise en nous !
Et dans cette terre travaillée avec patience,
le Seigneur a planté des ceps de choix (Is 5,2),
c’est-à-dire des germes de sa propre Vie divine,
de sa Vie à Lui.

Par le don de la charité,
Il a planté dans nos cœurs son Amour,
Amour infiniment plus fort, plus libre,
plus intense que celui
dont nous sommes capables par nous-mêmes.

Par le don de la foi,
Il a planté son Intelligence,
Intelligence infiniment plus lucide,
plus audacieuse que la nôtre,
toujours menacée d’aveuglement et d’étroitesse.

Par le don de l’espérance,
Il a planté sa Force,
force infiniment plus tenace et sûre
que nos espoirs humains, changeants et incertains.

Voilà de quels ceps nous sommes plantés :
la Vie de Dieu infusée en notre humanité
afin de la conduire à sa perfection.

Pour assurer la croissance de cette vigne,
notre Bien-aimé l’a entourée d’une clôture (Mt 21.33).
Cette clôture, c’est la mission royale
du Bon Pasteur qui veille sur son troupeau.
C’est aussi la mission royale de l’Église
appelée à nous garder tous ensembles
dans une même communion.

Notre Bien-aimé a aussi creusé un pressoir (Is 5,2 ; Mt 21,33).
Ce pressoir, c’est la mission sacerdotale
de l’unique Grand-Prêtre qui a offert sa Vie
pour chacun de nous sur la croix.
C’est aussi la mission sacerdotale de l’Église
qui ne cesse d’étendre jusqu’à nous, par les sacrements,
les effets de cet unique sacrifice rédempteur.

Notre Bien-aimé a bâti une tour de garde (Is 5,2 ; Mt 21,33).
Cette tour de garde,
c’est la mission prophétique du Verbe de Dieu
qui clame à nos oreilles l’Évangile,
le seul discours humain qui ne passera jamais.

C’est aussi la mission prophétique de l’Église
qui ne cesse d’annoncer, à temps et à contretemps,
une vérité qui ne vient pas d’elle,
mais de Celui qui nous a aimé le premier.

Voilà tout ce que le Seigneur a fait pour nous.
Mais entendons-nous aujourd’hui l’amertume
du Maître de la vigne ?
« Pouvais-je faire pour ma vigne
plus que je n’ai fait ? » (Is 5,4)

Pourquoi cette blessure
dans l’amour du Seigneur pour sa vigne ?
Il en attendait du raisin
et elle donna des grappes sauvages (5,2).
La terre de notre humanité
a pourtant reçu une semence de choix,
mais le péché a tout corrompu.
C’est que le vieil homme reste, en nous,
comme un vigneron jaloux et cupide.
Il n’accepte pas de partager.
Il n’accepte pas de dépendre d’un autre.
Il veut tout garder pour lui,
ne dépendre que de lui-même.
Il refuse les signes venus de Dieu
comme autant d’atteintes à sa prétendue autonomie.

Le Seigneur envoie auprès de nous
des serviteurs chargés de percevoir nos fruits.
Qui sont ces serviteurs que nous tuons les uns après les autres ?
Ce sont tous ces frères qui représentent pour nous
le visage du Christ et que nous refusons d’aimer,
d’accueillir, de soutenir.

Et plus que les serviteurs,
c’est le Fils Lui-même que nous tuons :
le Verbe de Dieu que nous refusons d’écouter,
car sa Parole nous paraît trop dure.
Le Fils de Dieu que nous refusons d’imiter,
car son chemin semble s’opposer
à notre épanouissement personnel,
la grâce de Dieu que nous étouffons
chaque fois que nous contournons
l’unique commandement de l’amour.

« Voici l’héritier : allons-y ! Tuons-le,
que nous ayons son héritage » (Mt 21,38).

Tel est le cri qui gît secrètement en nous
dans les profondeurs blessées de notre humanité.
Prétention d’être à nous-mêmes
notre propre maître :
refus d’écouter,
refus de donner,
refus de contempler,
refus d’accueillir Celui
qui ne se résigne pas à nos infidélités.

Et là est notre espérance :
Dieu ne baisse pas les bras !
Son amour pour nous est sans repentance.
Le Sang versé du Fils de Dieu sur la croix
vient irriguer notre vigne, notre vie.

Son Sang féconde nos ceps
plus efficacement que nos trahisons ne les gâtent.
Telle est la violence de l’amour du Seigneur pour sa vigne.
Le mauvais vigneron, en nous, n’est plus le maître,
car un plus fort que lui s’est emparé de nos cœurs humains.

Chaque fois que la grâce du Christ retrouve place en nous,
par l’Eucharistie, par la Réconciliation,
notre vigne reprend vigueur.
La miséricorde de Dieu retire de notre cœur
la garde stérile du vieil homme
et fait périr misérablement ce misérable (Mt 21,41).

Elle nous transforme inlassablement en vignerons nouveaux
appelés à livrer des fruits en temps voulu (21,43).

Aussi, toujours fragile
mais riche de la liberté des enfants de Dieu,
notre vigne s’élève petit à petit,
vers les plus hautes cimes de la sainteté.
Telle est notre vocation à tous.
Laissons-nous émonder par le Maître de la vigne.
Lui seul connaît le secret du vin nouveau de l’amour.
Avec Lui, nous en boirons jusqu’à la lie dans son Royaume,
heureux d’être invités au festin des noces éternelles.

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