FMJ MtlVendredi, 1ère Semaine de Carême – B
Frère Antoine-Emmanuel
Éz 18, 21-28 ; Ps 129 ; Mt 5, 20-26
27 février 2015
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Va d’abord te réconcilier avec ton frère !

Voilà que plein de zèle pour Dieu, tu es monté au temple,
tu es venu offrir avec une belle et pieuse obéissance
une belle offrande, digne de Dieu, digne de ton Créateur.
Une belle brebis,
ou même un taureau,
ou si tu es un pauvre, un couple d’oiseaux.
Quelque chose de beau pour honorer ton Dieu.

Or la Parole de Jésus « arrive », s’interpose et te dit;
Ton frère a quelque chose contre toi !
As-tu blessé ton frère ?
As-tu menti ?
As-tu volé ?
As-tu fait du commérage, des racontars ?
As-tu pris plaisir à dire du mal d’un autre ?

Alors, ton offrande, laisse-la ici.
Dépose-là devant l’autel.
Ne l’offre pas.
Ne va pas penser : je fais mon offrande,
puis j’irai voir ce frère, cette sœur…

Non, va-t-en, va voir ce frère, cette sœur
et réconcilie-toi avec lui, avec elle.

Réconcilie-toi, c’est-à-dire va reconnaître ton tort,
va demander pardon.
Va et fais ton possible pour que soit restaurée
la relation que tu as brisée.

Que fais-tu ?
Vas-tu obéir à Jésus ?
Vas-tu refouler sa demande ?
Car c’est difficile de se réconcilier
quand nous portons la responsabilité d’un mal commis.
Reconnaître nos limites, c’est inconfortable.
Reconnaître notre fragilité, c’est laborieux.
Mais reconnaître que le mal a agi en nous,
c’est très rude, très exigeant.
C’est non seulement un aveu de faiblesse,
mais l’aveu d’un mal que j’ai commis.
C’est l’épreuve intérieure brûlante, terrible, de la honte.
Une honte nécessaire et saine.
Où trouver la force de nous reconnaître si pauvres
devant une autre personne ?

La force, elle doit exister
puisque Jésus nous demande cette démarche.
La force, Jésus nous la donne,
et c’est le mystère de la Croix.

Il y a un « endroit » si l’on peut dire,
où nous devenons capables de nommer le mal qui est en nous.
Un seul endroit…
Au pied de la Croix.

Parce que la Croix de Jésus,
c’est le lieu où le mal est vaincu.
Là, je découvre que le mal qui en réalité me terrifie,
Jésus en est vainqueur.
Là, la honte qui pourrait devenir une spirale de mort intérieure
fond comme neige au soleil.
Mon mal, Jésus le prend, le fait sien.
Voici comment priait le moine arménien
Grégoire de Narek (Xe siècle) :

« Tu me rends ma beauté première,
Ami des hommes, Sauveur béni, loué, exalté !
Refuge solide, abri sûr,
bonté qui exclut toute méchanceté,
Toi qui pardonnes le péché
et qui guéris toute blessure,
Toi qui peux réaliser l’impossible
et qui atteins l’inaccessible,

Ô Route de vie,
Toi qui es le premier guide
dans la voie de l’Amour,
Toi qui me conduis avec douceur
dans ma marche vers la Lumière,
Toi qui me donnes confiance
et ne m’abandonnes pas dans mes chutes,
Clarté sans ombre,
Toi qui m’enveloppes et me couvres
dans ma misère,
Toi qui m’illumines
des rayons de ta grandeur infinie,
Toi qui me rends glorieux
à nouveau dans ta Lumière,
Toi qui me renouvelles
et me rends ma beauté première,
donne-nous d’avoir part à ta Joie infinie,
recréés dans une pureté nouvelle
pour reproduire ton Image inaltérable. »

C’est en puisant dans le Cœur de Jésus
que nous devenons capables d’aller vers les frères
en reconnaissant notre misère.
Et quelle dignité, quelle grandeur, quelle noblesse
que celle de celui qui voit son péché.
Les pères disaient que celui qui voit son péché
est plus grand que celui qui ressuscite les morts.

Alors, ton offrande, celle que tu as laissé devant l’autel,
tu peux alors la reprendre et l’offrir.
Et désormais, c’est ton cœur tout entier qui fait cette offrande.
Ton être tout entier devient offrande ;
une offrande traversée d’émerveillement et d’amour
devant ce Dieu si bon qui t’a libéré de la honte
et t’a rendu capable d’aimer.

La croix purifie nos cœurs.
La croix libère nos cœurs.
Et le visage de Dieu Lui-même devient tout autre pour nous
comme par une transfiguration intérieure.
Dieu n’est plus un être abstrait dont il faut se concilier
les bonnes grâces.
Il devient l’Aimé, le Bien-aimé,
l’Objet de notre désir, de notre passion, de notre « eros ».
Ainsi le priait encore Grégoire de Narek :

« Il n’est pas vrai que moi je l’invoque seulement,
mais avant tout je crois à sa grandeur.
Ce n’est pas pour ses présents
que je persévère dans mes supplications,
mais parce qu’il est la vie véritable
et la cause vraie de la respiration,
sans laquelle il n’y a ni mouvement ni progrès.

Ce n’est pas tant, en effet,
par l’attache de l’espoir d’un bien
que par les liens de l’amour que je suis attiré.

Ce n’est pas des dons,
mais du Donateur dont j’ai toujours la nostalgie.
Ce n’est pas la gloire à quoi j’aspire,
mais c’est le Glorifié que je veux embrasser.
Ce n’est pas par le désir de la vie,
mais par le souvenir de Celui qui donne la Vie
que toujours je me consume!

Ce n’est pas après la passion des jouissances que je soupire,
mais c’est par désir de celui qui les prépare
que du plus profond de mon cœur j’éclate en sanglots.
Ce n’est pas le repos que je cherche,
mais c’est le visage de Celui qui donne le repos
que je demande en suppliant.

Ce n’est pas pour le banquet nuptial,
mais c’est du désir de l’Époux que je languis.
Dans l’attente certaine de sa puissance,
malgré le fardeau de mes transgressions,
je crois avec une indubitable espérance,
en me confiant dans la main du Tout-puissant,
que non seulement j’obtiendrai le pardon
mais que je Le verrai, Lui en personne,
grâce à sa miséricorde et à sa pitié,
et que, méritant pourtant d’en être proscrit,
je serai fait héritier du Ciel.

Toi qui à été fortifiée et protégée par le Père très haut,
préparée et consacrée par l’Esprit Saint
qui S’est reposé sur toi,
embellie par le Fils qui habita en toi.
Accueille cette prière et présente-la à Dieu.
Ainsi par toi toujours secouru et comblé de tes bienfaits,
aillant trouvé refuge et lumière près de toi,
je vivrai pour le Christ, ton Fils et Seigneur.
Sois mon avocate, demande et supplie ;
comme je crois à ton indicible pureté,
je crois au bon accueil qui est fait à ta parole.
Il en sera ainsi, ô Mère du Seigneur,
si dans ma recherche incertaine tu m’accueilles,
ô toi toute disponible,
si dans mon agitation tu me tranquillises,
ô toi qui es repos,
si le trouble de mes passions tu le changes en paix,
ô Pacificatrice,
si mes amertumes tu les adoucis,
ô toi qui es douceur,
si mes impuretés, tu les enlèves,
ô toi qui as surmonté toute corruption,
si mes sanglots, tu les arrêtes,
ô Allégresse. »

Je te le demande, Mère du Très-Haut Seigneur Jésus,
Lui que tu as enfanté, Homme et Dieu à la fois.
Lui qui, aujourd’hui, glorifié par le Père et le Saint Esprit,
Lui qui est tout et en toutes choses.
À Lui soit la Gloire, dans les siècles des siècles. Amen.

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