sanct - smSamedi, 31e Semaine du Temps Ordinaire – C
François Baril, ptre
Ph 4, 10-19 ; Ps 111 ; Lc 16, 9-15
6 novembre 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Une histoire de mon grand-père

C’est dans le magasin sur le coin de Mont-Royal et Resther, juste en face du sanctuaire du Saint-Sacrement, que mon grand’père maternel a tenu un commerce pendant plus de 40 ans. Il était marchand de tapis et de prélarts, comme on disait à l’époque. C’est au tournant des années 70 que le magasin d’en face a changé radicalement de vocation, comme les vieux résidents du Plateau ont pu le constater … vous-mêmes peut-être!

Mon grand-père Fontaine semblait « brasser de bonnes affaires » à Montréal. Enfant, j’ai eu très tôt une opinion positive à son endroit. Sans jamais connaître son portefeuille, ce que j’entendais dire de lui me donnait l’impression qu’il était un honnête homme. Quand un membre de la famille arrivait « en ville », il tentait de lui trouver du travail dans l’un ou l’autre de ses cinq magasins. Il prêtait parfois de l’argent sans intérêt … et le capital prêté ne lui était pas toujours rendu entièrement, semble-t-il. À partir des conversations feutrées tenues par les adultes autour de moi, j’ai compris qu’il mettait en pratique certaines valeurs qui rendent plus humaine notre société.

Un certain dimanche, alors que j’étais jeune adulte, les textes bibliques entendus à la messe étaient semblables à ceux d’aujourd’hui. Ils traitaient de l’argent. J’avais l’impression que ces textes jetaient un éclairage sur le vécu de mon grand-père. Je demande alors à mes parents : « À qui vous font penser les textes de la messe d’aujourd’hui, surtout le psaume ? » Nous avions la même réponse. Mon grand-père, qui est aussi mon parrain, nous semblait, sans trop l’idéaliser, être du genre de ce que nous avons lu il y a un instant au psaume 111 : « L’homme de bien a pitié, il partage. Il mène ses affaires avec droiture. »

Quel défi que d’être un homme, une femme qui pratique le partage et la justice, dans le monde d’aujourd’hui comme dans celui d’hier. Quel défi que de ne pas faire de l’argent une idole! Qui que nous soyons, engagé dans le monde des affaires, ouvrier spécialisé ou non, travailleur ou travailleuse professionnel ou dans les services, quel que soit notre portefeuille, bien garni ou presque sans le sou, nous sommes constamment confrontés à faire le choix de vivre en homme libre ou à nous laisser enchaîner dans des valeurs fausses. Paul, dans sa lettre aux Philippiens, manifeste une grande liberté face à l’argent. Il exprime sa reconnaissance à l’endroit de ceux qui lui en ont envoyé mais il s’empresse d’ajouter que, pour lui, la plus grande richesse c’est le Christ! Il réagit en véritable disciple du Christ. Son choix m’interpelle. Il trace un chemin de bonheur qu’il nous tarde trop souvent d’emprunter, moi le premier.

L’évangile de ce jour nous permet d’entendre Jésus traiter une nouvelle fois de l’argent. Alors que nous sommes habitués à des paroles très critiques de sa part face à l’argent, telles par exemple « Malheur à vous les riches… vous avez votre consolation ,,, » – « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux » – … il donne cette fois des indications très positives sur l’utilisation de l’argent, à savoir qu’il doit être considéré non pas comme « la » grande affaire de ma vie mais plutôt comme un « bien étranger » dont j’ai à apprendre à faire une gestion équitable, une occasion pour tous de travailler à l’instauration d’une plus grande justice sociale.

On comprend bien à travers les textes de la Parole de Dieu de ce jour quelle est la mission des disciples du Christ : devenir, dans le monde de notre temps, des signes étonnants de sens en contestant par notre style de vie certaines valeurs non-porteuses d’avenir. On comprend bien qu’il incombe de s’ouvrir à la réalité sociale de l’appauvrissement des uns au profit de l’enrichissement des autres. On comprend bien que les disciples de Jésus doivent apprendre à se réjouir avant tout des biens du Royaume. À ce propos, rappelons-nous que la liberté dont témoigne saint Paul est accessible à tous. Elle est à l’enseigne de la fraternité, de la solidarité, de la justice.

On comprend bien aussi pourquoi la pastorale sociale se retrouve au cœur de l’action de l’Église : par elle, nous sommes convoqués à choisir entre Dieu et l’Argent. Nous sommes appelés à nous ouvrir à une vision plus large et plus profonde : plutôt que d’être repliés sur nous-mêmes, l’évangile nous provoque à travailler à faire reculer la misère, toutes les misères, à briser les inégalités et à refuser toutes les exclusions. Il nous pousse à nous ranger du coté des appauvris.

Jacques Grand-Maison, dans son dernier volume Société laïque et christianisme (2010) donne la mesure des enjeux actuels : « Il y a dans l’évangile de Jésus-Christ une radicale incitation à bâtir une demeure humaine plus juste, mais aussi plus fraternelle. » (p. 113) « De toutes mes expériences de fraternité, dit-il, je retiens particulièrement ma participation à des chantiers d’économie sociale. Il faut noter ici la formidable expansion de ces chantiers, chez nous, au Québec. C’est là que, comme bien d’autres, j’ai trouvé de l’espoir. Je dis « espoir », car le rebond d’un capitalisme sauvage ne cesse de me désespérer. Je pense à tous ces scandales financiers accompagnés de corruption et de fraudes souvent impunies. Et puis, il y a cet incroyable monde de l’argent qui tourne sur lui-même, jusqu’au détriment de l’économie réelle. » (p. 117)

Chers amis, nous avons à redécouvrir sans cesse comment vivre en chrétiens: nous sommes appelés à proposer une vision autre, en contradiction avec certains prêts-à-penser réducteurs, bourgeois, égoïstes et en nette opposition avec les valeurs qui déshumanisent.
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L’entreprise de mon grand-père a été florissante pendant plusieurs années! Pourtant, des cinq magasins il n’en reste plus un seul. Matériellement parlant, il ne reste plus rien. Cependant, il reste de lui, le témoignage d’un homme droit … autant qu’il l’a pu! Le psaume 15 résume bien l’essentiel de notre réflexion : « Seigneur qui sera reçu dans ta tente? Qui demeurera sur ta montagne sainte? L’homme à la conduite intègre, qui pratique la justice et dont les pensées sont honnêtes. »

« Nous ne pouvons servir à la fois Dieu et l’Argent. » Voilà une consigne évangélique qui nous pousse à choisir le chemin qui ouvre sur un avenir plus juste, plus humain.

AMEN.