sanct - sm6e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – A
Mgr Emilius Goulet, p.s.s.
Archevêque émérite de Saint- Boniface
Si 15,15-20 ; Ps 118 ; 1 Co 2,6-10 Mt 5, 17-37
16 février 2014
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Si tu le veux, tu peux observer les commancement, il n’en tient qu’à toi.

Frères et sœurs dans le Christ,

L’accomplissement de la Loi domine toute la Liturgie de ce jour. Dans notre première lecture, Ben Sirac le Sage a choisi de l’aborder sous l’angle de la liberté : « Si tu le veux, tu peux observer les commandements ». Cette affirmation fait écho à la déclaration divine de Dt 30,11 : « Cette Loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-delà de tes moyens ni hors de ton atteinte ». Toutefois, le Seigneur ajoute : « … car la Parole est tout près de toi; elle dans la bouche et dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique » (Dt 30,14). La Loi ou la Parole n’a donc rien d’une contrainte qui s’imposerait de l’extérieur; elle doit habiter l’intime de l’être, le cœur. C’est alors qu’elle devient nourriture de vie : « pour que tu la mettes en pratique ».

« Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle ».

Dieu nous laisse libres. Nous pouvons choisir la fidélité au Seigneur Dieu ou choisir de nous éloigner de lui; nous pouvons choisir la fidélité ou le refus, la vie ou la mort. C’est la conviction religieuse de Ben Sirac le Sage. Mais il ajoute qu’en réalité c’est la sagesse de Dieu qui nous donne cette liberté; si nous acceptons ce don de la liberté, nous ne pouvons en définitive que choisir la fidélité! Dieu nous destine à la sainteté, à la vie en plénitude; c’est là le seul objectif sérieux de notre vie d’ici bas. L’égarement, l’échec, la mort ne font pas le poids!

L’enjeu est vital : « Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu » c’est-à-dire : « … la vie et la mort ». Le Psaume de méditation qui suit immédiatement notre première lecture développe cette symbolique du chemin, pour en détailler les implications ».
« Heureux les hommes intègres dans leurs voies qui marchent suivant la loi du Seigneur! Heureux ceux qui gardent ses exigences, ils le cherchent de tout cœur ».

Dans sa totalité le Psaume 118 (119), le plus long de tous les Psaumes, comporte 22 strophes de huit vers, autant que de lettres de l’alphabet hébreu. Chaque vers comporte l’un des mots qui désignent la Loi du Seigneur (commandements, volontés, exigences, chemins, préceptes, justice…). C’est une grande louange confiante adressée à celui qui s’est fait connaître personnellement à son Peuple et lui a donné sa Loi de vie. On retrouve, de façon développée, la recommandation du Siracide : « Si tu veux, tu peux observer les commandements ».

Dans la deuxième lecture, saint Paul nous parle aussi de sagesse, non pas de « la sagesse de ce monde, la sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent », mais « la sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire ».

La sagesse fondamentalement est l’art de bien conduire sa vie. Les disciples du Ressuscité recherchent, non pas la sagesse des puissants de ce monde, mais la sagesse divine longtemps cachée et qui leur est dévoilée maintenant grâce à son Esprit. La suite de la lettre sera plus explicite. Cette sagesse de Dieu s’identifie au Christ Jésus Sauveur. Le Verbe fait chair est la Sagesse éternelle de Dieu.

Dans l’évangile, le Seigneur Jésus prend position face à l’enseignement des rabbins. En effet, son auditoire est composé de Juifs pour qui la Loi et les Prophètes constituent le cœur même de la foi. « Vous avez appris…. Eh bien moi, je vous dis… » Le Seigneur est-il fidèle à la tradition reçue ou inaugure-t-il une loi nouvelle?

Qui peut se permettre de bousculer la Loi de Dieu? Jamais, Moïse aurait osé dire : « Moi, je vous dis! » Pour l’évangéliste, Jésus a autorisé sur la Loi. Les disciples ont compris après Pâques que Jésus est beaucoup plus qu’un envoyé de Dieu; il appartient à la famille de Dieu. Il est la Parole de Dieu, venue habiter parmi nous. Personne ne peut parler de Dieu comme Jésus. Seul Jésus, le Fils de Dieu, peut parler de Dieu. C’est donc sans prétention que Jésus peut affirmer : « Eh, bien moi je vous dis ».

On peut être étonné par l’exigence extraordinaire de Jésus dans le sermon sur la montagne de l’évangile de saint Matthieu. Pour comprendre ces exigences, on doit se rappeler ce qui est au centre de la foi chrétienne : la Résurrection de Jésus. Dieu, en effet, en ressuscitant Jésus, a inauguré la création d’une nouvelle humanité. Avec le Ressuscité, on se trouve déjà dans l’ère messianique, dans les derniers temps, et il faut vivre en conformité avec cette nouvelle époque et se préparer à la manifestation définitive du Royaume de Dieu.

« Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir », nous dit Jésus. Alors, Jésus vient-il seulement apporter une plus grande intériorisation de la Loi de Moïse? L’ « accomplissement » est ailleurs; elle est dans la personne même de Jésus. Ce qui est unique, nouveau, spécifique, c’est que Jésus soit l’expression même de Dieu. Et puis, sa vie de fidélité jusqu’au bout à Dieu son Père est aussi une illustration de cet accomplissement des Écritures. Jésus est venu pour révéler au monde la pleine volonté du Père. Ainsi, la Loi de Moïse n’est pas hors jeu, mais les chrétiens la relisent à partir de Jésus, de ce qu’il est, de ce qu’il fait. Jésus enseigne en homme qui a autorité (cf. Mt 7,29). C’est l’autorité du Fils, Parole du Père. Avant lui, la Loi était transmise par des serviteurs. En lui, Dieu nous envoie son témoin fidèle.

Pour illustrer la nouveauté que Jésus introduit dans l’enseignement et la pratique de la Loi, parcourons rapidement les quatre antithèses que la Liturgie retient dans l’évangile de ce jour; elles portent successivement sur le meurtre, l’adultère, la répudiation de l’épouse et les serments.

« Vous avez encore appris qu’il a été dit… : Tu ne commettras pas de meurtre… Eh bien moi je vous dis… : Jésus donne toute son extension à la Loi mosaïque sur le meurtre; il y inclut la colère, l’insulte et la malédiction. La gravité de ces actes découle du fait que l’autre est un frère ou une sœur. L’on peut tuer son prochain de bien des façons; l’on peut tuer normalement quelqu’un par la médisance, la calomnie et le scandale; on voit bien aujourd’hui tout ce que peut apporter la violence dans notre monde.

Les disciples du Christ sont les défenseurs de la vie humaine, y compris celle à naître et celle qui s’achève. Le plaidoyer actuel pour l’euthanasie ne peut pas les laisser indifférents. Au nom de leur foi, ils affirment le caractère sacré de la vie humaine.
« Vous avez appris qu’il a été dit : tu ne commettras pas d’adultère. Eh bien moi je vous dis …: Jésus affirme que l’adultère ne se limite pas à l’acte sexuel, il commence avec le désir ou le regard chargé de convoitise; c’est là que se situe la racine du mal. Il y a délit d’adultère, même s’il n’y pas passage à l’acte.

« Il a été dit encore : Si quelqu’un renvoie sa femme, qu’il lui donne un acte de répudiation. Eh bien moi je vous dis… » Jésus va jusqu’à interdire ce que la Loi permettait : la répudiation de l’épouse; ainsi, sans le mentionner, il rappelle l’indissolubilité du mariage. On voit bien aujourd’hui toutes les conséquences néfastes de l’infidélité conjugale.

« Vous avez encore appris qu’il a été dit… : Tu ne feras pas de faux serments… Eh bien moi je vous dis de ne faire aucun serment…. » A propos des serments, Jésus affirme : il ne s’agit pas de savoir lesquels sont permis ou non, lesquels tolèrent le parjure ou non; il s’agit de parler vrai, sans détour ni astuce : « Que votre oui soit « oui », que votre non soit « non »! »

Le message de Jésus est celui d’un ami exigeant qui ne flatte pas, mais au contraire avertit, dérange, provoque à avancer et à s’améliorer au nom d’un Dieu qui a pour nous l’exigence de l’amour. L’Évangile est un chemin de vérité, une chance ou mieux une grâce pour qui l’emprunte.

Ce qui donne valeur à notre participation à l’Eucharistie, c’est la réconciliation. « Lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère et ensuite viens présenter ton offrande ». Jésus a poussé jusqu’au bout ce paradoxe. Son offrande a consisté à s’offrir pour les hommes qui l’avaient rejeté. Comment pouvons-nous nous joindre à son sacrifice sans trembler en pensant à la distance qui nous sépare encore de cet amour total? Vraiment, nous ne pouvons nous présenter à Dieu que par Jésus, le seul homme dont l’offrande est une réponse totale à l’appel du Dieu d’amour. Amen!

+ Émilius Goulet, p.s.s.
Archevêque émérite de Saint-Boniface