FMJ MtlCOMMÉMORATION DE TOUS LES FIDÈLES DÉFUNTS – C
Fr. Pierre-Marie
Is 25, 6-9 ; Ps 26, 1.4a.13.14 ; 1 Co 15, 51-57 ; Jn 6, 51-58
Dimanche, 2 novembre 2008
Montréal, Sanctuaire du Saint-Sacrement

Mystère de la mort

Il a fallu à l’Église toute la lumière de la foi
et la force de l’espérance,
pour oser faire de la commémoraison des défunts
une fête liturgique.
C’est que nous sommes les disciples de quelqu’Un
qui nous a appris à regarder la mort en face.
Le chrétien ne se dissimule donc pas cette réalité
qui sera, pour chacun,
le moment ultime de sa course sur la terre.
Mais quel mystère !

*

Mystère de la mort dans son aspect inéluctable :
pourquoi ne sommes-nous tous
que des vivants en sursis ?
Dès qu’un homme naît au monde,
il est programmé pour mourir !
Mystère de la mort dont nous savons tous,
de certitude absolue, qu’elle viendra,
mais dont aucun de nous ne peut dire
ni quel jour ni comment.
Mystère de la mort dans sa laideur,
quand tout en nous aspire à la beauté ;
dans son non-sens,
au terme d’une route
où tout nous appelle à la vie.
Aurait-elle échappé à Dieu ?
Mais alors, que serait ce Dieu-là ?
Devant le problème de la mort,
le Christ ne nous laisse pas une réponse,
mais il nous donne une Espérance.

La mort des hommes a été vaincue
quand le Fils de Dieu l’a vécue.
Il a rendu un sens à ce non-sens.
Il a fait de cette impasse une pâque.
« Et par sa mort il a terrassé la mort,
nous délivrant d’entre les morts. »
C’est pourquoi l’Église en ce « jour des morts »,
nous redit à tous, avec une force tranquille,
cette triple vérité pleine de lumière et d’espérance :
si nous devons mourir,
c’est d’abord pour vivre, dans l’autre monde ;
ensuite pour voir la vraie lumière ;
et enfin pour aimer, d’un bonheur d’éternité.

*

Serait-ce trop beau pour que nous puissions y croire ?
Non !
Il nous faut d’abord mourir pour vivre à l’autre Vie.
Dieu n’a pas créé la mort, mais la liberté.
Et l’homme, en sa liberté, s’est laissé aller à pécher.
Voilà pourquoi, de même que par un seul homme,
le péché est entré dans le monde et par le péché la mort,
ainsi la mort est passée en tous les hommes,
du fait que tous ont péché (Rm 5, 12).
Voilà ce que nous enseigne l’Écriture.
Et Dieu, prisonnier de son amour,
a vu l’homme et le monde
s’enfoncer, d’eux-mêmes,
vers ce qui n’est plus une assomption vers la gloire,
mais un triste enfouissement.
Désormais, l’enfance est une fragilité ;
l’âge adulte, une précarité ;
L’âge mûr, un vieillissement (Qo 12, 1-5).
Sans le péché, notre vie de la terre,
bien sûr, aurait eu une fin ;
mais cette fin n’aurait pas été déchéance
mais épanouissement.
À la suite du Christ
que nul n’a pu convaincre de péché (Jn 8,46)
et dont le corps glorieux est remonté aux cieux (Col 3,1),
nous devons donc nous arracher
à ce vieil homme et à ce monde de péché.
Nous devons mourir à la tristesse pour renaître à la joie ;
mourir au désespoir pour nous ouvrir à l’espérance ;
mourir à l’égoïsme pour revivre à l’amour.
Oh oui, ce monde est beau et nous l’aimons !
Mais il est aussi caduc et mélangé,
et il faut que l’éphémère et le mauvais,
en lui, finissent par mourir,
pour que dure enfin ce qui est bel et bon :
et pour que viennent un ciel nouveau et une terre nouvelle
où la justice habitera (2 Pi 3, 13).
Parce que cette vie est mortelle,
nous devons la quitter,
pour qu’elle soit enfin immortelle.
Parce que ce corps est périssable,
nous voulons le laisser,
pour qu’un jour il soit à jamais glorifié.
Vue de la terre, la mort est un adieu.
Vue du ciel, elle est une naissance.
« Il faut en effet que cet être corruptible
revête l’incorruptibilité, nous rappelle l’Apôtre Paul,
et que cet être mortel revête l’immortalité (1 Co 15, 53).
À tout jamais !

*

Ainsi la mort engendre-t-elle en nous la vie.
Si le grain jeté en terre ne meurt, il reste seul ;
mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit (Jn 12, 24).
Voilà pourquoi si « la dure réalité de la mort nous attriste,
la promesse de l’immortalité nous console déjà1 ».
Car nous savons désormais
que cette mort que Dieu n’a pas voulue
et dont il partage avec nous la répulsion,
dans la puissance de son amour,
il en fait quand même encore
une pâque vers la vie.
« Qui communie à mon Corps et à mon Sang
a la vie éternelle
et je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6, 54).

*

En second lieu, nous devons mourir
pour voir la vraie lumière.
1 Préface liturgique des défunts.
On ne peut pas voir Dieu sans mourir,
proclame l’Écriture (Ex 33,20).
Ici-bas, nous cheminons comme à tâtons, dit saint Paul,
car nos pistes sont brouillées
et nos yeux obscurcis (2 Co 5, 7).
La lumière a lui dans les ténèbres
et les ténèbres ne l’ont pas comprise (Jn 1,5).
Saint Jean a bien raison de nous dire
que le péché c’est la ténèbre (1 Jn 1, 5-6).
Dès lors, l’essentiel de la beauté de Dieu,
de la splendeur du ciel, nous reste voilé.
Or, de tout notre être,
nous aspirons à voir son visage,
sa lumière, sa gloire.
Et saint Paul nous enseigne :
Quand on se convertit à Dieu,
le voile tombe (2 Co 3,16).
Mais comment mieux nous convertir à Dieu
que le jour où la mort
nous re-tourne entièrement vers lui ?
La mort ne peut éteindre une âme.
En vérité, je te le dis,
à moins de naître d’en haut,
nul ne peut voir le Royaume de Dieu (Jn 3, 3).
Cette renaissance finale, c’est le dies natalis
que chante la liturgie des saints.
Le jour de la vraie vie où,
par la mort apparente,
nous naissons réellement au Jour sans fin.
Merveille de cette mort humaine
qui devient pâque de lumière !
Oui, nos yeux se fermeront un jour pour toujours,
mais pour s’ouvrir ailleurs
sur une réalité de splendeur.
Ici, nous voyons comme dans un miroir
et d’une manière confuse ;
mais alors ce sera face à face (1 Co 13, 12).
Joie plénière de notre âme enfin
capable de contempler la beauté de Dieu !
« La gloire de Dieu c’est l’homme vivant,
dit saint Irénée,
et la gloire de l’homme c’est la vision de Dieu. »
Rude, oui, mais heureuse mort aussi,
ayons le courage de le dire en notre foi
par laquelle, enfin, il nous sera donné de voir
le Royaume des Cieux.

*

C’est pour aimer enfin que nous devons mourir.
Car la plus belle marque d’amour c’est le don de sa vie.
Tous ceux qui aiment savent que,
pour aimer l’autre, il faut mourir à soi.
Celui qui n’aime pas reste dans la mort,
dit saint Jean (1 Jn 3, 14).
On meurt à son amour propre,
à son vouloir propre,
pour renaître à un plus grand amour.
Dieu, le premier, nous a aimés.
Et il l’a fait jusqu’à en mourir (1 Jn 4, 9-10).
La preuve que Dieu nous aime,
c’est que le Christ,
alors que nous étions pécheurs,
est mort pour nous (Rm 5,8), écrit l’Apôtre Paul.
Il n’est pas de plus belle preuve d’amour
que de donner sa vie
pour ceux qu’on aime (Jn 15,13)
proclame le Christ Jésus.
Par notre mort, nous pouvons faire un jour,
par amour, si nous y consentons,
nous pouvons faire à Dieu l’offrande
radicale, définitive, entière de tout nous-mêmes.
À l’absolu de son don,
la mort nous offre l’occasion de répondre
par la totalité de notre abandon.
Ce jour-là nous pourrons lui dire que nous l’aimons
de toute notre âme, de tout notre coeur,
de tout notre corps et de tout notre esprit (Dt 6,5).
Car l’amour est plus fort que la mort
et même dans ses grandes eaux
elle ne peut le submerger (Ct 8, 6-7).
C’est la croix du Christ qui a révélé aux hommes
l’amour fou de Dieu pour nous.
C’est notre mort humaine qui dira à Dieu
notre amour infini pour lui (Ph 1, 21).
Par notre mort tout était perdu.
Par sa mort d’amour, tout a repris vie.
Si quelqu’un garde ma parole,
il ne verra jamais la mort (Jn 8,51).

Oui, ce langage est fou !
Mais il confond la sagesse du monde.
Avec le Christ, il nous reste encore la possibilité
de pouvoir redire avec amour et par amour :
Ma vie, nul ne la prend,
mais c’est moi qui la donne (Jn 10, 18).
Quel retournement inouï !
Le triomphe de notre vie est dans la pâque de notre mort.

*

Sur le calvaire deux crucifiés agonisaient.
Le premier se révoltait.
Refusant l’inéluctable,
il s’enferma dans la plus noire des solitudes.
Le second acceptait :
Pour nous c’est justice, cria-t-il (Lc 23, 41).
Et par ce cri d’acceptation,
il entra le « jour même en paradis ».
Puisqu’il nous est donné,
à nous aussi de mourir aux côtés du Christ,
en ce jour, redisons-lui :
Seigneur, pour vivre avec toi,
pour te voir dans la lumière,
pour t’aimer par l’offrande de ma vie,
enseigne-moi aujourd’hui
comment mourir.

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