sanct - smFÊTE DE TOUS LES SAINTS
Mgr Alain Faubert
Ap 7, 2-4. 9-14 ; Ps 23 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12
1er novembre 2026
Montréal, Sanctuaire du Saint-Sacrement

Dieu EST miséricorde !

«En marche, les matriciels, oui, ils seront matriciés!»

Avez-vous reconnu dans ces mots peu habituels, une des Béatitudes que le Seigneur nous a fait entendre dans son saint Évangile? Aviez-vous reconnu : «Heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde.»?

Au milieu des années 70, André Chouraqui, bibliste de tradition juive, a traduit le Nouveau testament du grec à l’hébreu, avant de le traduire en français… question de nous amener au plus près des paroles que Jésus a pu prononcer en araméen, langue voisine de l’hébreu.

Miséricorde se dit en hébreu Rahamim : les entrailles, et peut-être plus précisément la matrice, cet endroit où la vie est patiemment formée au ventre des mamans. Voilà qui est évocateur! Les entrailles, ce n’est pas seulement cette partie du corps qui se noue de douleur et de compassion devant la misère de ceux qu’on aime. Oui, Dieu a comme des «entrailles» qui se nouent de compassion devant notre misère. Car Dieu est Amour. Dieu est miséricorde. Mais on dirait qu’il y a encore plus à contempler, à admirer de cette miséricorde, à travers les suggestions de notre traducteur audacieux.

Heureux les matriciels… ils seront matriciés! On peut se demander ce que peut bien vouloir dire en concret ce néologisme que vous ne retrouverez pas dans votre dictionnaire. Qu’est-ce que c’est ça, être matricié? J’ose penser que Jésus annonce à ces bienheureux «matriciés», qu’ils seront formés, aux entrailles de Dieu lui-même, à une vie nouvelle, la vie nouvelle du Royaume que Jésus annonce et qui se pointe déjà au secret du monde.

Oui, matriciés et «engendrés» à cette identité nouvelle d’enfants de Dieu… par Dieu lui-même. Et c’est déjà l’œuvre en nous de son Esprit, de l’Esprit de notre baptême. Dieu est Amour, Dieu est miséricorde, Dieu est Matrice. Dieu est Créateur, Dieu est Vie.

Nous avons eu la grâce de cette année jubilaire pour nous émerveiller de cette miséricorde de Dieu. Avec le pape François, nous avons pu dire non seulement que Dieu est miséricordieux, mais que Dieu EST Miséricorde.

Je vous fais une confidence… j’étais ce matin avec un groupe d’évêques. Un des doyens du groupe nous a partagés comment il avait trouvé, cette année, que la miséricorde était partout, dans la Bible, dans la liturgie. Allumé par ce mot, il l’a retrouvé de page en page, au lectionnaire, au missel, et il nous traduisait par là comment il avait pris conscience de la centralité de la miséricorde. C’est étonnant… et il ne faudrait jamais cesser de nous en étonner, de nous en émerveiller, chaque jour, pour mieux en vivre.

Oui, pour mieux en vivre, car c’est, je crois, le projet de Dieu qui se dévoile à travers la traduction d’André Chouraqui… et si Jésus avait voulu dire non seulement : «Heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde», mais aussi et plus profondément : «Heureux les miséricordieux, ils deviendront miséricorde»? Car ils seront «matriciés», formés par Dieu lui-même, pour devenir en ce monde et dans le Royaume, expression de son amour plein de tendresse… «Nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est.», nous a dit saint Jean.

Une année de Jubilé nous a été donnée pour voir, pour nous étonner de la miséricorde, du don de Dieu toujours à l’œuvre. Il faut garder toujours en nous l’écho des paroles de saint Jean : «Voyez quel grand amour nous a été donné.»  Jean a vu déjà ce que ce grand amour cet agapè qui vient de Dieu produit en nous : nous sommes déjà enfants de Dieu. Voilà la miséricorde génitrice, matricielle, du Seigneur.

«Voyez le grand amour…» Voyez les merveilles du Seigneur en vous, autour de vous et à travers vous. Nous rendons grâce pour cet amour!

Mais il faut aussi comprendre que cette année nous a été donnée pour que nous continuions à être formés par la miséricorde, pour que, par notre expérience d’être nous aussi «matriciés», d’être entourés de la miséricorde de Dieu, nos vies prennent la forme de cette miséricorde, la forme de Dieu lui-même. Pour que nous en soyons à notre tour son expression autour de nous.

Alors il faut aussi, je crois, entendre aujourd’hui autre chose dans les Béatitudes que Jésus nous laisse comme la grande charte du Royaume. Le Seigneur s’exclame «Makarioi», «Bienheureux», que notre frère Chouraqui traduit de l’hébreu par «En marche». En marche, les humiliés du souffle, en marche les faiseurs de paix, en marche les matriciels, en marche les cœurs purs.

«En marche»… «En hébreu, le mot Esher-ASHAR (qu’on traduit habituellement par « Bienheureux » en français) évoque la rectitude de l’homme en marche sur une route qui va droit vers l’Éternel.»

En cette fête de la Toussaint, nous célébrons tous ceux et celles qui sont arrivés chez eux, auprès du Père.

Mais nous accueillons aussi l’appel à nous y diriger nous aussi. Les bienheureux de ce monde sont en marche. Ils ne sont pas statiques. Jean a vu leur destination : la Jérusalem céleste, la cité de Dieu. Et il est juste qu’aujourd’hui, ce soit la fête de la fraternité de Jérusalem, posée au milieu de nous comme un signe de piste pour nous rappeler la destination!

Comprenons donc que la béatitude, si elle nous habite déjà de ce côté-ci de la Vie… la Béatitude n’est pas béate…

Toute notre liturgie d’aujourd’hui, il me semble, nous situe entre ces deux pôles : «Voyez», et «En marche». «Voyez quel grand amour le Père nous a donné.» et «En marche vers le Royaume qui vient au-devant de nous, vers Dieu qui vient de l’avenir.»

En marche, oui, il faut nous le redire. Parce que la route est longue et le chemin est parfois escarpé. Il faut gravir la montagne pour se tenir dans le lieu saint… Ce patient pèlerinage, pour certains d’entre nous va prendre la forme d’une grande épreuve, un chemin aux nombreux détours, au péril des  brigands et des loups qui vont peut-être nous réclamer notre vie.

Mais nous comptons déjà, pour garder le cap, sur la prière de celles et ceux qui sont arrivés à bon port. Ils nous invitent, je crois, à ressaisir notre identité profonde. «Tu es enfant de Dieu. Alors, sois comme Dieu. Sois miséricorde. Sois matriciel, sois semeur de vie, porteur de vie, créateur de vie, restaurateur de vie corporelle et spirituelle chez tes sœurs et tes frères en humanité. Sois patient formateur de vie éternelle chez ceux et celles que Dieu te donne pour compagnons et compagnes de route.

Nous arrivons au terme de cette année de grâce. Bonne nouvelle : la porte de la miséricorde qui a été ouverte en cette église ne sera pas fermée; l’année jubilaire prend fin, mais avec Marie continuons à chanter la miséricorde de Dieu qui s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.

J’oserais suggérer que la porte de la miséricorde continue à jouer un rôle… Que nous sortions désormais par cette porte avec au cœur l’engagement passionné de mettre en œuvre ce que nous sommes, à la suite de tous les saints. Nous sommes enfants de Dieu. Tel Père, tels fils et telles filles : Dieu est matriciel, Créateur de vie, soyons-le nous aussi, chaque jour.

En marche, les matriciels!

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