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SOLENNITÉ DE L’ÉPIPHANIE

Mgr Emilius Goulet, pss
Archevêque émérite de Saint-Boniface
Is 60, 1-6 ; Ps 72 ; Ép 3,2-3a.5-6 ; Mt 2, 1-12
8 Janvier 2017
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

 

« Nous sommes venus l’adorer »

Frères et sœurs dans le Christ,

Nous voici à la crèche ce matin, pour nous prosterner en geste d’adoration avec les Mages venus rendre l’hommage du monde païen à l’Enfant Dieu. Au-delà de l’imagerie populaire, qui a transformé la solennité de ce jour en « fête des rois », prolongeant ainsi l’ambiance de joie et de liesse du temps de Noël, « Épiphanie » signifie « manifestation». Nous célébrons aujourd’hui la révélation faite au monde de l’Incarnation du Verbe éternel de Dieu en notre humanité. Au cours de la vie de Jésus, il y a eu plusieurs gestes ou événements révélateurs de sa divinité. L’Église d’Orient célèbre, en ce jour, les trois manifestations les plus significatives : l’adoration des Mages, c’est-à-dire la reconnaissance de l’Incarnation du Fils de Dieu par toutes les nations; le baptême de Jésus, c’est-à-dire la reconnaissance de son Incarnation par Dieu, le Père; et son premier miracle à Cana : la première prière exaucée, celle de la mère de Jésus. Notre Liturgie des Heures mentionne ces trois manifestations à l’Office du soir dans l’antienne du Cantique de Marie : « Nous célébrons trois mystères en ce jour : aujourd’hui l’étoile a conduit les Mages vers la crèche; aujourd’hui l’eau fut changée en vin aux noces de Cana; aujourd’hui le Christ a été baptisé par Jean dans le Jourdain pour nous sauver, alléluia ».

Le Messie est d’abord révélé aux pauvres, aux humbles, aux bergers qui avaient le cœur assez pur pour accueillir le message des anges et accourir jusqu’à Bethléem, sans se poser trop de questions. C’est maintenant le tour des Mages, des savants, débordants de richesse, et venus de pays lointains.

Qui sont-ils? Combien sont-ils? D’où viennent-ils? La légende en a fait des rois. La tradition de l’Église arménienne leur donne des noms : Melchior, Balthasar et Gaspar. D’où viennent-ils? Ne sont-ils que trois? Se sont-ils rencontrés en chemin? Autant de questions qui importent peu à l’évangéliste saint Mathieu, plus soucieux de nous montrer le sens de leur démarche que de nous renseigner d’un point de vue historique.

Pourtant la réaction d’Hérode nous prouve qu’il ne s’agit pas d’une légende. La prophétie de Balaam, rapportée au livre des Nombres, annonçait que la venue du Messie serait liée à l’apparition d’une étoile : « Ce héros, je le vois – mais pas pour maintenant – je l’aperçois – mais pas de près : un astre se lève, issu de Jacob, un sceptre se dresse, issu d’Israël » (Nb 24,17). C’est pourquoi Hérode prend très au sérieux cette histoire d’étoile que les Mages ont vue se lever et qu’ils ont poursuivie jusqu’à ce qu’elle disparaisse à leurs yeux, près de Jérusalem. Il se fait préciser la date où elle est apparue et alerte les scribes et les docteurs de la Loi. Les renseignements que lui fournissent ces spécialistes de l’Écriture sont formels. Outre la prophétie de Balaam, le prophète Michée, lui, a situé la naissance du Messie à Bethléem : « Et toi, Bethléem Ephrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël » (Mi 5,1). A la peur qui s’empare d’Hérode succède bientôt la détermination d’éliminer ce jeune roi dont la destinée inscrite dans le ciel ne peut qu’exacerber sa jalousie démentielle. Faisant semblant d’être prêt à rendre à l’Enfant de Bethléem les honneurs qui lui sont dus, il invite les Mages à revenir lui rendre compte de la véracité de tous les indices.

Ce qui est extraordinaire dans cette histoire, que nous connaissons bien, ce n’est tant le fait que les Mages, férus d’astronomie, se soient mis en route avec leurs caravanes pour suivre l’itinéraire d’une nouvelle étoile. À l’époque, l’astrologie était déjà à la mode. On scrutait le ciel, un horoscope étant déterminé à partir de la levée d’un astre. Il n’est pas impossible que les Mages aient eu connaissance des prophéties annonçant la venue d’un Messie en Israël. C’est pourquoi ils ont identifié cette nouvelle étoile ou cette configuration exceptionnelle d’astres comme celle de ce roi tant attendu.

Ce à quoi nous prêtons moins attention, c’est qu’ils se sont mis en route en emportant des présents somptueux. Même si la générosité orientale est légendaire, les cadeaux qu’ils emportent manifestent quelque chose de particulier qui n’a pu que leur être soufflé par l’Esprit Saint. Il y a de l’or pour signifier que l’Enfant est roi; de l’encens pour signifier qu’il est Dieu; de la myrrhe, car le Fils de Dieu s’est fait homme et comme nous il traversera la mort. Ainsi eux, des païens qui ignoraient tout de Jésus avaient bien l’intention, en quittant leurs pays, de se rendre auprès de lui pour se prosterner devant lui en geste d’adoration et de reconnaissance.

Or, arrivant à Jérusalem, la capitale, au palais royal où devait vraisemblablement résider le petit roi, que trouvent-ils? Des experts en Écriture qui déploient leurs rouleaux et scrutent les textes. Leurs reconnaissances sont parfaites. Elles confirment et complètent le sens de l’étoile… Malheureusement leur orgueil les enferme dans cette connaissance de la lettre. Aussi ils vont passer à côté de la plus grande joie de leur vie, celle de reconnaître dans le jeune Enfant de Bethléem, le Messie qu’ils espèrent ; c’est par cet Enfant que Dieu vient à eux pour les attirer à lui. Et ils laisseront des étrangers, des païens, reconnaitre à leur place l’Enfant Dieu.

Contrairement au roi Hérode et aux grands experts en Écriture, les Mages se sont laissé toucher par la grâce. Même à la disparition de l’étoile, ils ne se découragent pas. Ils ne doutent pas de la Providence qui les a menés jusque-là. Ainsi, ils atteindront leur but. Et les voilà devant l’Enfant, entre Marie, sa mère, et Joseph. Ils découvrent la vraie lumière dont l’étoile n’était que le signe. « Debout, Jérusalem, resplendis! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi », affirme notre première lecture. Les Mages se laissent illuminer, éblouir, réconforter. Malgré l’humilité des apparences, ils reconnaissent en Jésus celui qu’ils cherchaient. La joie est au bout de la persévérance. Ils pressentent le mystère qui habite l’Enfant qu’ils contemplent. « Ce mystère, nous dit saint Paul dans la 2ième lecture, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage… dans le Christ Jésus….» Alors, ils se prosternent, s’agenouillent, présentent leurs cadeaux : l’or, l’encens, la myrrhe. Présents de rois! Présents divins ! Jésus n’est pas un roi qui règne sur un territoire et sur un peuple, il est le roi des esprits et des cœurs.

Chers ami(e)s, cet évangile nous apprend que Jésus est l’unique objet de notre recherche. La science, la philosophie, la théologie, la psychologie, toutes les « filles de la raison humaine » ne doivent pas être des obstacles qui nous empêchent de le trouver, mais des moyens pour arriver à lui. Les Mages sont nos guides dans notre quête vers lui. A condition que nous ne nous découragions en route, que nous n’ayons pas non plus d’idée préconçue, mais que nous mettions en œuvre tous les moyens mis à notre disposition (la prière, les sacrements, l’adoration) pour atteindre le but. Alors, et alors seulement, la grâce déblaiera le terrain. Dans notre recherche, l’étoile qui nous guide, la lumière venue d’En Haut, s’arrêtera juste devant l’endroit où Jésus se trouve, où Jésus nous attend. Alors nous entrerons dans son temple. Nous nous prosternons de tout notre cœur et avec tout notre être, y compris notre corps, comme les bergers, comme les Mages. Et nous lui rendrons grâce. Nous lui offrons tout. Si nous n’avons ni or, ni encens, ni myrrhe, nous avons au moins, en commun avec tous nos frères et toutes nos sœurs en humanité, notre cœur, notre énergie, notre foi, notre confiance, notre patience, notre repentir, nos désirs de mieux faire, nos résolutions…Tournons-nous donc vers lui! Recherchons l’Enfant de la crèche! Convertissons-nous!

Comme les Mages, nous voici ce matin à Bethléem, c’est-à-dire, selon l’étymologie du mot, dans « la Maison du pain »; nous sommes réunis dans ce sanctuaire dédié au Saint-Sacrement, où nous sommes venus pour nous nourrir du pain de la Parole et du pain de l’Eucharistie. Puisse la gloire du Seigneur se lever sur nous! Puissions-nous, Seigneur, entrainer nos frères et nos sœurs vers ta lumière, vers la clarté de ton aurore! Amen!

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