FMJ MtlSamedi, 29e Semaine du Temps ordinaire – C
Frère Antoine-Emmanuel
Ép 4, 7-16 ; Ps 121 ; Lc 13, 1-9
23 octobre 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Mémoire vive des noces éternelles

Souviens-toi de ton Créateur (Qo 12,1).
Souviens-toi que tu as été en servitude au pays d’Égypte (Dt 15,15).
Souviens-toi de tout le chemin que Yahvé ton Dieu t’a fait faire
pendant quarante ans dans le désert (Dt 8,2).

Combien de fois le Premier Testament nous appelle à nous souvenir,
à ne pas oublier l’œuvre de Dieu dans la création,
et dans l’histoire d’alliance qu’il a tissée avec Israël.

Quand nous entrons dans le Nouveau Testament,
et plus particulièrement dans les paroles de Jésus,
cet appel à se souvenir prend une forme nouvelle :
ce qui revient comme en leit motiv,
c’est plutôt l’appel à veiller,
c’est-à-dire l’appel à ne pas oublier ce qui va venir.

Combien de fois Jésus nous appelle à rester éveillés,
à rester en tenue de service,
à ne pas céder au sommeil,
à tenir nos lampes allumées.

La mémoire est orientée
vers la venue en gloire du Fils de l’Homme,
vers les noces éternelles,
vers la Jérusalem céleste
qui rassemblera hommes et femmes
de tous peuples, races, langues et nations.

Frères et sœurs, gardons-nous cette espérance
dans notre mémoire vive
ou bien dans notre mémoire morte ?

Il nous faut contempler
ce rassemblement de tous les rachetés
dans le monde à venir.
Le Psaume 121(122) nous y aide :
Ô ma joie quand on m’a dit : allons à la maison du Seigneur
Et maintenant nos pas s’arrêtent dans tes portes Jérusalem,
Jérusalem est construite comme une cité unie et compacte.
C’est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur.

Regardons-les ces tribus du Seigneur
qui de toutes parts montaient à Jérusalem.
Tribus du nord et tribus du sud,
tribus d’au-delà du Jourdain, et tribus d’au-ceça,
tribus lointaines et tribus proches.
Tribus au sang royal de Juda et tribus à l’histoire blessée,
toutes, elles montent vers la ville des saintes assemblées
et de la louange commune.

Dans ce même Psaume, nous pouvons aussi contempler
les prémices du mystère du Christ (cf. Ép 3,4)
c’est-à-dire du mystère de réconciliation des juifs et des païens.
L’abattement du mur de la haine (cf. Ép 2,14)
qui séparait ceux qui s’estimaient les seuls détenteurs de l’Alliance
et ceux qu’on regardait comme des impies, comme des chiens.
Vers la Jérusalem qu’est l’Église pérégrinante
montent depuis 2000 ans les tribus de la terre
rassemblées dans la catholicité de l’Église.

Mais il faut aller plus loin encore :
dans ce même psaume nous pouvons – et devons –
contempler la communion eschatologique des rachetés
de toutes les tribus, toutes les cultures,
toutes les religions de la terre à qui a été offert le Sang du Christ,
unique Sauveur de tous,
pour que tous accèdent au banquet des noces éternelles.

Quelle joie quand on m’a dit allons à la maison du Seigneur.
Quelle joie quand on m’a dit que tous les humains y sont attendus,
désirés, appelés par Dieu.
Quelle joie de contempler le Christ Jésus
lavant de son Sang juifs, chrétiens, bouddhistes, musulmans.

Quelle joie de voir se constituer pour l’éternité
la plénitude du corps du Christ
tissée de milliards de visage d’Afrique,
d’Asie, d’Europe, d’Océanie et d’Amérique.

*

Frères et sœurs, voilà ce qu’il ne faut pas oublier.
Souviens-toi de cette espérance offerte à tous les humains !
Quand tu rencontres un frère, une sœur
d’une autre culture, d’une autre religion,
souviens-toi qu’il ou elle partage avec toi la même origine :
le cœur du Père.
Souviens-toi qu’il ou elle a été créé comme toi dans le Christ.
Souviens-toi que Jésus a versé son Sang pour lui, pour elle…
Et souviens-toi tout particulièrement
qu’il ou elle partage avec toi la même espérance :
tu es attendu dans la même demeure,
à laquelle on accède par la même porte : Jésus Christ.

Souviens-toi du jour où tu pourras, s’il plaît à Dieu,
« plonger ton regard dans celui du Père
pour contempler ses enfants de l’Islam
tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de sa Passion,
investis par le don de l’Esprit ». (P. Christian de Chergé)

*

C’est dans cette lumière que nous pouvons accueillir
l’appel à la conversion que Jésus nous adresse aujourd’hui.
La conversion à l’Amour de Dieu passe par la conversion à l’autre,
par le dépassement de toutes les barrières, les exclusions,
les fermetures qui défigurent l’œuvre d’unité du Christ.

Car, « depuis que l’Esprit circule librement entre ciel et terre
écrit le Père Christian,
il n’y a plus de frontière visible entre les hommes »
sauf celles que nous reconstruisons avec le ciment de nos peurs.

La conversion chrétienne est une conversion
à l’universalité de l’Amour.
L’autre n’est pas seulement celui que je dois accueillir,
mais celui dont j’ai besoin comme il a besoin de moi.
« Parce que nous sommes tournés vers la communion des saints,
écrit encore le Père Christian,
nous ne pouvons prétendre nous convertir seuls :
nous avons besoin des autres, de tous les autres,
pour compléter ce qui manque à notre conversion,
et ils ont besoin de nous.

N’est-ce pas ce que frère Charles a expérimenté
quand il eût besoin – vitalement –
du lait de chèvre que lui apportaient les touaregs
dans une extraordinaire compassion pour le marabout malade !

*

Frères et sœurs, si notre ancre est jetée dans le ciel,
si nous sommes profondément enracinés dans la foi chrétienne,
nous ne pouvons plus oublier
la perspective du banquet des noces éternelles
où nous nous retrouverons
non pas côte-à-côte, mais ensemble, unis dans le Cœur de Dieu
avec ceux qu’aujourd’hui nous appelons étrangers
parce que nous sommes encore trop étrangers au Ciel.
Si notre mémoire de la Jérusalem céleste est une mémoire vive,
notre cœur, notre prière, notre regard, nos gestes,
seront ceux de frères universels, de sœurs universelles.

Et où vivifier notre mémoire ?
À la table eucharistique où le Sang versé pour la multitude
nous est confié pour le monde entier.

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