FMJ Mtl26e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – C
Frère Antoine-Emmanuel
Am 6, 1.4-7 ; Ps 145 ; 1 Tm 6, 11-16 ; Lc 16, 19-31
25 septembre 2016
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Empare-toi de la Vie éternelle

« Toi, homme de Dieu (…) mène le bon combat,
celui de la foi ;
empare-toi de la Vie éternelle !
C’est à elle que tu as été appelé ;
c’est pour elle que tu as prononcé ta belle profession
devant de nombreux témoins » (1 Tm 6, 11-12).

Cher André-Gérard, c’est d’abord à toi
que s’adressent ces paroles !
Hier tu as prononcé ta belle profession monastique
devant de nombreux témoins,
et aujourd’hui le Seigneur te dit
cette Profession a une visée, un horizon :
la Vie éternelle.

Alors, mène le bon combat.
Pas n’importe quel combat : le bon combat.
On pourrait aussi traduire le « beau » combat.
Et quel est-il ce beau et bon combat ?
C’est le combat de la foi.

Oui, frères et sœurs,
nous tous qui confessons publiquement notre foi
au moins chaque dimanche en venant à la messe,
nous avons un combat à mener.
Croire !
Choisir la foi.
La choisir en toutes circonstances
comme la boussole qui oriente nos pas,
qui oriente nos décisions.

La foi est un combat, une lutte.
Le terme grec est « agon » qui donnera le mot agonie.
C’est un combat parce qu’il s’agit de s’ouvrir,
de s’ouvrir à plus grand que soi ;
de s’ouvrir à plus humble que soi ;
de s’ouvrir au Tout-Puissant et au Tout-Souffrant.
C’est un déplacement continuel de nos certitudes
pour se laisser surprendre par Dieu,
pour s’en remettre au Mystère de Dieu,
au Mystère du Christ.

Et quel est l’enjeu de ce combat ?
Ré-écoutons l’apôtre Paul :
« Mène le bon combat de la foi :
empare-toi de la Vie éternelle » (1 Tm 6,12).
Oui, vous avez bien entendu :
« empare-toi de la Vie éternelle ».
Prends-la !
Saisis-la, c’est-à-dire que la Vie éternelle nous est donnée
parce que le Fils de Dieu est venu faire dérailler la mort,
pour nous ouvrir le chemin du Ciel.

La Vie éternelle n’est plus un rêve impossible, une chimère :
elle est la réalité la plus sûre qui soit.
Mais il faut la saisir.
Comment ?
Par les œuvres, par beaucoup de mérites,
par beaucoup de piété,
par la compétition,
par la carrière ecclésiastique,
par les honneurs ecclésiastiques ?

NON !
Par la foi.
Par la pauvreté du cœur
qui devient de plus en plus pauvre,
de plus en plus tendre,
de plus en plus démuni,
de plus en plus émerveillé…
Par une foi vive, joyeuse,
à la fois humble et triomphante.

En croyant en Jésus,
en croyant en son amour rédempteur,
en croyant de tout notre être à sa miséricorde,
nous « serons » sauvés ?
Non… Nous sommes sauvés !
La Vie éternelle est déjà en nous,
comme un horizon d’espérance
qui nous permet d’aimer, d’aimer, d’aimer.
Chers frères et sœurs,
n’oubliez pas la Vie éternelle !
N’oublions pas le Ciel !
Regardez l’homme riche de l’Évangile
(je vais l’appeler Caïphe) :
ce Caïphe est vautré dans l’instant présent,
vautré dans les plaisirs.
Les plaisirs de cette vie sont son unique horizon.
Jouir, jouir, jouir… et il n’y a plus d’amour.

Il s’est fabriqué un ciel dans ses plaisirs de la terre
et il a mis des vitres fumées à sa voiture
pour ne pas voir Lazare et ses ulcères
qui quête devant sa villa.
Lui, Lazare ne rêve pas
d’être invité à la table de Caïphe,
il rêve seulement de manger
les miettes qui tombent de la table,
et ce sont les chiens qui lèchent ses ulcères.
Le tableau que fait saint Luc est terrible ;
il est fait pour nous réveiller,
pour me réveiller,
pour que nous sortions de toutes nos formes d’indifférence.

*

Frères et sœurs, n’oublions pas les pauvres,
de toutes les formes de pauvreté qui soient.
Le seul cimetière du Repos Saint-François
a accueilli les corps de 45 défunts
non réclamés ces derniers mois.
Pas de famille, pas d’amis, pas de compassion.
Combien de personnes à Montréal
vivent aujourd’hui dans cette misère ?
N’oublions pas les plus petits !
N’oublions pas les plus pauvres !
Rien n’est pire que l’indifférence,
celle que dénonçait déjà le prophète Amos :
« Ils se frottent avec des parfums de luxe,
mais ils ne se tourmentent guère
des désastres d’Israël » (Am 6,6).

Si notre vie monastique est indifférente aux pauvres ;
si elle ne cherche que notre propre « sainteté »,
elle est dangereuse,
dangereuse pour nous et dangereuse pour les autres
par ce qu’elle ne sera qu’un faux témoignage.

Si notre vie chrétienne à nous tous
est indifférente aux pauvres,
elle n’a plus rien de chrétien.
La miséricorde nous est donnée
et donnée en surabondance,
pour que nous devenions tous
brûlants de miséricorde.
Seigneur, garde-nous de l’indifférence !

*

Frères et sœurs, il faut avoir le courage de nommer
le drame de l’Évangile d’aujourd’hui.
C’est ce qu’Abraham révèle à Caïphe
qui souffre atrocement :
« Si tes frères n’écoutent pas Moïse et les Prophètes,
quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts,
ils ne seront pas convaincus » (Lc 16,31).

Même le signe fort, bouleversant, immense, d’une résurrection
ne parviendra pas à les secouer
de leur torpeur spirituelle…

En gros… rien ne peut les arracher
aux plaisirs et aux jouissances égoïstes
qui ont pris possession de leur cœur.
C’est le drame du cœur humain
qui est fait POUR le bonheur, pour la joie, pour l’éternité
et qui s’arrête à des petits bonheurs factices
au lieu d’entrer dans le grand bonheur
qui est par nature un bonheur partagé,
un amour qui déborde,
un amour qui se met au service de tous,
à commencer par les plus pauvres.

Ah, si Caïphe et ses frères
avaient écouté Moïse et les Prophètes :
Ah, si mon peuple M’écoutait…
Je l’aurais nourri de la farine de froment (cf. Ps 81,13)
Je l’aurais mené à la plénitude de la joie.

*

Frères et sœurs n’oubliez pas la Parole !
La Parole de Dieu, l’Écriture Sainte,
est le sacrement tellement humble,
tellement disponible, remis entre nos mains,
qui nous ouvre le chemin du bonheur,
qui nous ouvre le Ciel
en ouvrant notre cœur aux autres, aux plus pauvres.

Alors en ce XIIe anniversaire de la Fondation de Montréal,
je vous le dis de tout mon cœur :
n’oubliez pas le Ciel !
N’oubliez pas les pauvres !
Et pour cela : n’oubliez pas la Parole,
ne délaissez jamais la Parole de Dieu.
L’Écriture recèle en elle-même d’une force,
d’une puissance extraordinaire
pour déboulonner nos cœurs,
pour déchirer la tristesse,
pour chasser l’agressivité
et surtout pour nous ouvrir à la tendresse.
Si vous laissez la Parole vous toucher chaque jour,
vous vivrez, je vous l’assure, en vous-mêmes,
la révolution de la tendresse.

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