FMJ Mtl5e DIMANCHE DE PÂQUES – B
Frère Benoît
Ac 9, 26-31 ; Ps 21 ; 1 Jn 3, 18-24 ; Jn 15, 1-8
10 mai 2009
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

La vie de la Vigne

Frères et sœurs,
commençons par le commencement
et évoquons cette question des antiques philosophes
qui avaient un bon sens de l’humour
et qui voyant que les choses existent
et qu’eux même en tant qu’homme existent,
se sont étonnés et exclamés:
« Mais pourquoi y a-t-il plutôt quelque chose que rien ?
Ne serais-ce pas plus simple s’il n’y avait rien ? »
Et pourtant, disaient-ils, l’univers existe
et nous sommes au milieu de lui
capables de concevoir l’existence.

Eh bien ! la foi chrétienne professe
– avec le judaïsme et l’islam,
mais tout de même un peu différemment –
que tout existe pour la Gloire de Dieu.

C’est une vérité fondamentale,
nous dit le Catéchisme de l’Église catholique,
et que l’Écriture et la Tradition
ne cessent d’enseigner et de célébrer :
Le monde a été créé pour la gloire de Dieu.
(Cc. Vatican I : DS 3025)
Dieu a créé toutes choses, explique St Bonaventure,
non pour accroître la Gloire,
mais pour manifester et communiquer cette gloire.
(sent. 2, 1, 2, 2, 1).

Car Dieu n’a pas d’autre raison de créer
que son amour et sa bonté :
C’est la clef de l’amour qui a ouvert sa main
pour produire les créatures (sent. 2, prol.)
affirme encore saint Thomas d’Aquin.
Et le premier Concile du Vatican explique :
Dans sa bonté et par sa force toute-puissante,
non pour augmenter sa béatitude,
ni pour acquérir sa perfection,
mais pour la manifester par les biens
qu’il accorde à ses créatures,
ce seul vrai Dieu a créé de rien l’une et l’autre créature,
la spirituelle et la corporelle, dans le plus libre dessein,
tout ensemble et dès le commencement du temps.
La gloire de Dieu c’est que se réalise
cette manifestation et cette communication de sa bonté
en vue desquelles le monde a été créé. (DS 3002)

Faire de nous des fils adoptifs par Jésus-Christ :
tel fut le dessein bienveillant de Sa volonté
à la louange de gloire de sa grâce (Ep 1, 5-6)
Car la gloire de Dieu, dit Saint Irénée de Lyon,
c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme,
c’est la vision de Dieu :
si déjà la révélation de Dieu par la création
procura la vie à tous les êtres qui vivent sur la terre,
combien plus la manifestation du Père par le Verbe
procure-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu » (hær. 4, 20, 7)
Et il ajout: Le Verbe de Dieu a habité dans l’homme
et s’est fait Fils de l’homme
pour accoutumer l’homme à saisir Dieu
et accoutumer Dieu à habiter dans l’homme,
selon le bon plaisir du Père.

La fin ultime de la création, selon la première lettre aux Corinthiens,
c’est que Dieu, qui est le Créateur de tous les êtres,
devienne enfin ‘tout en tous’ (1 Co 15, 28)
en procurant à la fois sa gloire et notre béatitude.
(CEC 53 et 293s)

Et le Psaume 21(22) que nous avons chanté tout-à-l’heure :
La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur,
chaque famille de nations se prosternera devant lui :
« Oui, au Seigneur la royauté, le pouvoir sur les nations !»
Et moi, je vis pour lui : ma descendance le servira ;
on annoncera le Seigneur aux générations à venir.
On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son œuvre !

La Gloire du Père est le fondement de notre existence.
Nous sommes pour lui.
Et puisant notre vie dans son Fils Jésus-Christ
nous sommes vivants aussi grâce à lui.
Il ne s’agit pas de s’imaginer
que c’est une gloire veine, mondaine,
que nous connaissons ici en ce monde,
où toute gloire n’est que l’herbe qui fane et qui se dessèche.
La Gloire du Père c’est sa joie, sa béatitude,
son débordement duquel seulement nous vivons.
D’elle tout jailli et se forme.
La Gloire du Père c’est son sourire à toute chose créée.
Et qui attend de toute chose un sourire en réponse.
Pas pour lui, mais pour qu’elle vive et vive en abondance,
d’avantage, plus, beaucoup.

Le Père est le vigneron.
Cela veut dire: il s’occupe de sa vigne.
Il sait comment et pourquoi elle existe, il l’aime.
C’est lui qui l’a planté.
Et comme le dit déjà le prophète Isaïe,
elle est destinée à manifester sa Gloire.
Dieu nous a fait pour la vie.
Il veut la vie et il prend soin du fait
que son désir de vie se réalise
plus particulièrement en ceux qui lui font confiance,
ceux qui croient en lui, et qui l’écoutent.

Voilà donc pourquoi Jésus nous parle
du travail d’émondage de la vigne.
L’émondage a pour but de conduire
à une synergie toujours plus grande
entre la vigne et le sarment,
à une communion toujours plus forte
entre le Christ et le disciple.
Et cette communion se révèle comme l’unique condition
pour porter un vrai fruit,
un fruit produit tout à la fois par la vigne et le sarment,
par le Christ et le disciple.

*

Frères et sœurs il ne suffit pas seulement
de commencer à s’accoutumer à vivre avec Dieu,
il faut que la béatitude divine, sa Gloire,
devienne un courant continuel et fort de sève pour notre vie.
Le Père travaille comme vigneron avec un grand soin
sur notre communion avec lui par Jésus-Christ.
C’est en effet toute histoire de salut
avec tous ses mystères, ses moyens,
depuis la contemplation de la Création et de son ordre
jusqu’au baptême et l’Eucharistie,
qui nous donne vraiment et réellement en partage
la vie même de Dieu.
Et l’œuvre finale, c’est notre totale incorporation à lui.

Dans le dictionnaire, les synonymes d’émonder,
sont élaguer, couper, tailler, diviser, sectionner, trancher…
Si c’est cela être émondé, on peut se demander
si c’est vraiment la volonté de Dieu
de nous faire et de nous voir souffrir ?
Bien sur que non…
Le vigneron émonde sa vigne
pour permettre à cette dernière de porter du raisin :
non seulement il taille
mais, il redresse, il attache,
il dirige les branches pour qu’elles soient plus saines
et portent plus de bon fruit.
Le Père nettoie, purifie, libère du péché,
tous ceux qui deviennent des sarments du vrai Cep,
de Jésus et de sa Croix.
(Christian Daenzer)

L’émondage est en réalité un soin intelligent
que le vigneron applique aux pieds de vigne
afin de ramener le plus de sève vitale vers les sarments.
Ainsi elle fournira des fruits
en quantité suffisante et en bon équilibre avec la qualité.
L’énergie de la vie cachée dans le tronc ne doit pas se disperser
à travers les branches sans fruit
ou dans les rameaux trop développés.
On coupe parfois jusqu’à la moitié d’une branche,
derrière la future grappe,
afin d’amener la circulation de la sève vers le fruit.
Cela veut dire qu’il ne s’agit pas seulement d’avoir
sur un sarment un grand nombre des fruits,
mais y avoir un vin qui sera capable d’atteindre sa maturité.
Ceci par ailleurs correspond aux attentes du Seigneur
qui avait fait d’Israël sa vigne, en l’arrachant d’Égypte
et en la plantant dans une terre fertile,
c’est-à-dire dans sa Volonté,
dans la Loi de Moïse.

Alors Jérémie dit:
« Moi, je t’avais plantée comme un cep de choix,
tout entier d’excellente semence.
Comment t’es-tu changée pour moi en sauvageons … ? » (Jr 2, 21)

Ou Isaïe: « Que pouvais-je encore faire pour ma vigne
que je n’aie fait ?
Pourquoi espérais-je avoir de beaux raisins,
et a-t-elle donné des raisins sauvages…
J’attendais le droit et voici l’iniquité,
la justice et voici les cris…»
(Is 5, 2 – 7)

Et Saint Jean nous le dit encore autrement :
« Mes enfants, nous devons aimer,
non pas avec des paroles et des discours,
mais par des actes et en vérité. » (Jn 3, 18)

La valeur de la récolte ne vient pas de nous, mais de Dieu,
qui est le seul capable de juger
à quel point même un petit geste de charité
peut avoir une saveur de la bonté infinie.

Car tout comme Jésus est la Vigne véritable, frères et sœurs,
il s’agit aussi pour nous de porter le fruit en toute vérité.
À la fois donc le porter réellement,
sans quoi elle nous sera enlevée
la joie de la vie du Christ,
et à la fois les porter
sans laisser disperser l’énergie de cette vie
par un désordre des branches qui ne va nulle part.
Les deux sont liés.
La quantité et la qualité.

Cependant frères et sœurs, les sarments et les fruits
ne doivent avoir aucun autre souci
que celui de demeurer toujours « branchés »
sur la vraie Vigne qu’est le Fils de Dieu.

Le secret de la sainteté chrétienne
se trouve donc dans l’union avec le Christ.
C’est une leçon facile à retenir qui nous est proposée
par le symbole de la vigne et des sarments…
Tel est le secret des grandes œuvres accomplies par les saints :
la grâce qui vient du Christ, de sa Parole, de son Sacrifice,
de son Esprit, les a vivifiés et les a conduits
à produire des fruits abondants de bien,
les fruits à la gloire de Dieu et pour le bien de l’humanité.
C’est dans la communion constante à sa Vie
que nous aussi nous recevrons la joie d’être chrétiens.
Nulle part ailleurs.
Si quelqu’un ne demeure pas en moi, nous dit le Seigneur,
il est (déjà) comme un sarment
qu’on a jeté dehors, et qui se dessèche.

Qu’est-ce cela veut dire encore ?
Qu’il y a là une réponse à notre aspiration profonde,
à notre désir secret d’être heureux
dans notre vie à la suite du Christ.
Nous ne pouvons pas être heureux
seulement en connaissant la Loi de Dieu.
Sinon comme le dit Saint Paul,
nous serons avec toute cette exigence morale
que le Christ nous imposerait,
les plus à plaindre des hommes ! (1 Co 15, 19)

Pour pouvoir goûter à la joie chrétienne,
à la joie de la Résurrection, pour pouvoir vraiment vivre,
il nous est demandé de demeurer dans le Christ.
Jésus nous supplie de nous brancher sur lui,
de laisser en notre vie circuler sa Vie !
Nous en lui et lui en nous.
Tant de gens ne sont pas heureux dans leur foi
parce qu’il leur manque cette relation personnelle,
douce et exaltant avec le Seigneur.

En effet il y a un cycle de la sève, un cycle d’amour.
Et sans sève les branches deviennent du bois mort.
Le cycle va du Père au Fils,
du Fils aux êtres humains,
puis des humains entre eux.
Le mot clé est bien « être branché », demeurer,
s’accrocher solidement,
quelles que soient les circonstances,
les situations, les difficultés.
C’est-à-dire persévérer, ne jamais perdre le contact.
(P. Fabien Deleclos)

Nous, dans notre cartier branché,
tous plus ou moins branchés sur les réseaux de l’internet
ou sur notre cellulaire,
cela ne devrait pas poser de difficulté que de comprendre
ce que signifie de rester en contact avec le Christ.
D’être au courant de ce qu’il dit
de ses souhaits,
de sa puissance de guérison et surtout
de son amour miséricordieux pour tout être.

En effet, ce qui va nous mettre en route,
c’est la force de sa miséricorde.
Vivant de celle-ci nous ne pouvons
que nous pencher vers les pieds de nos frères et de nos sœurs
pour les leurs laver.
Sans discours excessifs,
sans complaisance en soi-même,
sans la culpabilité, mais avec le cœur libéré
par le Dieu de miséricorde,
le Vigneron, notre Bon berger,
le Chemin, la Vérité et la Vie.

*

C’est ainsi frères et sœurs que nous pouvons constater
que le fruit de la vigne provient de la synergie entre Dieu et nous.
Les œuvres, les fruits, c’est le Christ qui leurs donne leur valeur.
Ils sont, grâce au Père, le Vigneron,
les fruits de l’Esprit Saint.
Les fruits dont l’amour fraternel est celui au goût le plus exquis.
Mais aussi joie, paix, patience, douceur, bonté,
et les autres qu’énumère l’épître aux Galates.

Puisse-t-elle abonder et déborder en nous,
l’ardente charité que tu nous communiques,
Esprit qui es amour
et fais fleurir l’amour partout où tu agis,
partout où tu habites !

Puisse-t-elle inspirer toute notre pensée,
rendre notre regard bienveillant, indulgent,
nous faire reconnaître en chacun sa valeur,
nous faire découvrir les qualités d’autrui.

Rends notre charité active et efficace,
prête à se dévouer, à servir volontiers,
à promouvoir l’entraide, à restaurer l’union,
et à se sacrifier pour donner de la joie.

Puisque l’Esprit est notre vie,
que l’Esprit nous fasse aussi agir. Amen.

© FMJ – Tous droits réservés.