FMJ MtlJeudi, 34e Semaine du Temps ordinaire – C
Frère Antoine-Emmanuel
Ap 18, 1…19,9 ; Ps 99 ; Lc 21, 20-28
25 novembre 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

La ruine de Jérusalem, événement eschatologique

Lorsqu’on étudie la Jérusalem byzantine,
lorsqu’on regarde son architecture, son urbanisme, ses édifices,
une chose frappe :
à côté de l’élégance des constructions romaines,
à côté, notamment, des grandes basiliques chrétiennes,
demeure un immense terrain vague :
toute l’esplanade qui fut celle du temple est restée nue, vide…

Pourquoi ne pas avoir bâti là aussi
quelques édifices civils ou surtout religieux ?
Parce que la chute du temple revêtait pour les chrétiens
une signification religieuse de grande valeur.

Quelle signification ?
Y a-t-il un lien entre la Pâques de Jésus,
événement fondateur de la foi chrétienne,
et la destruction de la ville et du temple en l’an 70 ?
Un historien moderne répondrait non :
La destruction du temple est due aux insurrections juives
et à la répression romaine menée par Titus.

Mais nous pouvons – et devons –
aller au delà de ce regard immédiat
pour chercher le dynamisme profond de l’histoire
que nous révèle l’Écriture.
Car, de fait, la « désertification »
de la ville de Jérusalem (cf. Lc 21,20)
est souvent mentionnée par Jésus.
Où cela ?
À l’intérieur même de l’annonce qu’il fait des derniers temps.

*

Nous l’avons bien entendu aujourd’hui :
Jésus annonce la fin de ce monde-ci,
le basculement dans un monde nouveau
qui est la Vie divine elle-même.
Alors que le judaïsme annonce des bouleversements, des ruptures,
mais toujours au sein de la présente économie terrestre,
Jésus nous annonce un passage à une réalité toute autre
qui est le partage de la vie même de Dieu.
Ce passage, Jésus ne fait pas que l’annoncer,
il en est l’Auteur ;
c’est en Lui : en sa personne, en son corps,
qu’est le devenir de l’histoire.

Avec sa venue, avec sa Pâques,
l’humanité bascule dans les derniers temps.
Nous sommes depuis 2000 ans dans les derniers temps.
Aux continuelles épreuves qui ont depuis toujours
marqué l’histoire et qui sont les conséquences du péché,
s’ajoutent depuis 2000 ans un mystérieux combat
où l’Amour du Christ est sans cesse rejeté,
blasphémé, crucifié et remporte la victoire.
Les dernières persécutions de chrétiens en Irak
en sont encore une manifestation dramatique,
mais où nous savons que l’Amour aura le dernier mot.

*

Nous sommes dans les derniers temps,
et nous veillons, nous chrétiens, au nom de toute l’humanité.
Nous guettons les signes dans le ciel annoncés par Jésus,
nous guettons le signe du Fils de l’Homme qui apparaîtra, (Mt 24,30)
nous guettons non pas une manifestation
en tel ou tel endroit seulement,
mais une manifestation qui comme l’éclair (24,27)
sera visible de tous sur toute la surface de la terre.

Alors Jésus viendra avec puissance et grande gloire.
Le Prophète Daniel avait annoncé
que le Fils de l’Homme s’avancerait
vers Celui qui trône, vers Dieu,
et recevrait puissance et honneur :
c’est ce qui s’est passé dans la glorification du Crucifié.
Jésus, lui, annonce que le Fils de l’Homme lui-même,
viendra vers nous.
Il viendra vers nous, et par le ministère des anges,
nous rassemblera pour le jugement de l’Amour,
pour glorifier notre humanité
autant qu’elle se laissera juger et aimer.

*

Mais quel est alors le lien entre ces derniers temps
et la chute du temple ?
En liant ces deux annonces,
Jésus nous fait comprendre que la destruction du temple
appartient très directement aux derniers temps
qu’il annonce et qu’il inaugure.
La destruction du temple
est comme le premier acte des temps ultimes.
« La ruine de Jérusalem est, par suite du refus du Messie,
un évènement eschatologique » dit Hans Urs von Balthazar.
(Dramatique divine, IV, P. 28)

*

Mais il faut aller plus loin :
la destruction du temple n’est pas seulement
le premier acte des temps derniers,
elle a une portée symbolique :
elle nous dit que ce qui arrive depuis 2000 ans
est une entrée dans la communion avec Dieu.
De fait, le temple scellait une clôture,
une distinction nette entre l’espace sacré et l’espace profane.
Cette séparation a éclaté avec la mort de Jésus.
Le rideau du temple s’est déchiré
et c’était la première fissure dans le temple qui allait s’écrouler.
Désormais, le sacré n’est plus à distance,
il se déverse en nous,
il nous saisit en nous attirant à Lui.
Le Sacré, l’Amour qui est Dieu, se livre à nous
en nous attirant en Lui.
Voilà ce que signifie la chute du temple.
Voilà ce qui se déploie dans l’histoire depuis 2000 ans.
Voilà ce qui triomphera au dernier jour de ce monde.
Voilà ce que nous célébrons dans l’Eucharistie.
« Viens, que vienne ta grâce,
que ce monde passe et Tu seras tout en tous. »

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