FMJ MtlLA SAINTE FAMILLE DE JÉSUS, MARIE ET JOSEPH – C
Frère Antoine-Emmanuel
Is 1,20-22.24-28 ; Ps 83 ; 1 Jn 3, 1-2.21-24 ; Lc 2, 41-52
30 décembre 2012
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

La Famille, lieu de la croissance en humanité

« Pourquoi donc me cherchiez-vous ? »
vient de demander l’enfant de 12 ans à ses parents.
« Vous ne saviez pas que je dois être à mon Père ? » (Lc 2,49)

Marie et Joseph ne comprennent pas
cette parole que l’enfant Jésus leur dit (2,50).

Que fait Marie ?
Saint Luc nous dit qu’elle retenait
toutes ces choses dans son cœur (2,51).

Marie ne réduit pas le mystère
à une dimension qui lui convient.
Même si elle ne le comprend pas,
pas encore,
elle l’accueille en elle.

Voilà, frères et sœurs
ce que nous sommes appelés à faire nous aussi,
et particulièrement en cette année de la foi :
faire de la place en nous
à ce qui est plus grand que nous ;
entrer dans l’obéissance de la foi,
en renonçant à réduire le mystère
à ce que nous en comprenons.

Alors, mettons cela en pratique ce matin,
pour accueillir ensemble un grand mystère de l’Évangile,
la vie cachée de Nazareth.

Partons de Jean Baptiste.
Que nous est-il dit de la jeunesse de Jean ?
Le petit enfant croissait et se fortifiait en Esprit.
Il était dans les déserts
jusqu’au jour où il surgit en Israël (Lc 1,80).

On peut fort bien considérer
que dès l’âge de 13 ans,
âge de la maturité religieuse et donc sociale en Israël,
Jean Baptiste part pour vivre au désert.

Et Jésus ?
Jésus n’est pas parti au désert à l’âge de 13 ans !
Quand Jean part au désert,
Jésus, lui, part, c’est-à-dire revient, en famille.
Mais regardons cela plus attentivement.

À l’âge de 12 ans, juste avant sa majorité
ou peut-être au moment même de sa maturité,
Jésus qui est monté à Jérusalem avec ses parents
pour le pèlerinage de Pâques,
ne s’en retourne pas dans la « caravane », en grec le syn-ode,
qui au lendemain de la fête revient en Galilée.

Que s’est-il passé ?
L’Évangile nous fait comprendre
que Jésus à 12 ans a pleinement conscience
qu’il doit être à son Père.
Littéralement, il doit être aux choses de son Père,
c’est-à-dire dans l’obéissance à Celui
avec qui il vit une mystérieuse intimité
qui prime sur les liens familiaux.

C’est sur le Parvis du temple que ses parents le retrouve.
Il y est assis comme un maître en Israël.
Il écoute et interroge les sages qui eux-mêmes
s’extasient de son intelligence et de ses réponses.
Jésus est déjà l’extase d’Israël !
Jésus a pleine conscience d’être Fils du Père,
Fils de Celui qu’Israël adore en ce temple ;
et n’a-t-il pas conscience de sa mission,
lui qui commence à enseigner Israël
assis comme un maître dans le temple ?

Or que fait Jésus ?
Va-t-il comme Samuel rester auprès du temple
puisqu’il doit être à son Père ? Non !
Va-t-il partir au désert
pour y vivre cette filiation dans le retrait du monde ? Non !

Jésus dans sa liberté de presque adulte ou d’adulte
prend une décision.
Il décide de demeurer en famille.
Luc le dit clairement :
Il descend avec son père et sa mère (Lc 2, 51).
C’est un choix, une décision personnelle.
Il vient à Nazareth,
le lieu de la vie familiale, ordinaire, cachée,
tout à l’opposé du grand faste religieux du temple.

Et Saint Luc ajoute un troisième choix :
et il était soumis à ses parents (id.).
De sa propre initiative,
Jésus reprend pleinement la vie familiale.

Frères et sœurs, nous voici au seuil du mystère.
Pour Jésus, être à son Père et accomplir sa mission
passe par de longues années en famille…
Or que vit Jésus en famille ?
Saint Luc nous le dit :
« Jésus progressait dans la sagesse,
et en taille, et en grâce
auprès de Dieu et des hommes » (Lc 2,52).

« En tant qu’homme, (Jésus) ne vit pas
dans une omniscience abstraite,
écrit Benoît XVI,
mais il est enraciné dans une histoire concrète,
dans un lieu et dans une époque,
dans les différentes phases de la vie humaine,
et c’est de tout cela
qu’il reçoit la forme concrète de son savoir »

Jésus « progresse en sagesse »
Jésus doit apprendre et veut apprendre.
Il doit aussi progresser en grâce…
Et quel est le lieu par excellence
où progresser en sagesse et en grâce ?
C’est la famille.
Ce n’est pas le temple ni le désert : c’est la famille !

Nous avons ici une des plus belles approches qui soit
de cette réalité inscrite dans notre nature humaine
qu’est la famille.

Essayons de creuser cela à partir
de ce que vit notre société
et je me réfère ici à un discours – magistral –
du pape de ces derniers jours.

Une question fondamentale sous-jacente
à la crise de la famille dans notre monde occidental
est celle de la nécessité – ou non – du lien.
Est-ce que nous autres les humains
nous pouvons et devons nous lier
pour toute la vie à une autre personne ?
Est-ce que cela correspond à notre nature, à notre bien ?
Est-ce qu’au contraire ce n’est pas opposé
à notre liberté et à la pleine réalisation de nous-mêmes ?
Si je me lie à quelqu’un,
je perds ma liberté,
je m’atrophie…
D’autant plus qu’on ne peut
se lier à une autre personne pour toujours
sans que cela soit tôt ou tard cause de souffrance.

Si, au contraire, je demeure autonome
et que j’entre en relation avec d’autres par des liens
que je peux rompre à tout moment
alors je vais devenir vraiment moi-même ?

Frères et sœurs, est-ce que cela est vrai ?
Regardez : si je choisis cette autonomie,
en réalité je demeure fermé sur moi-même,
je reste enfermé dans mon « moi » ;
je conserve mon « moi » pour moi-même
et je ne le dépasse jamais.
Il y a là un certain confort, c’est vrai,
mais c’est le confort d’une prison,
le confort du grain de blé en terre qui ne germe pas et qui meurt.

Ce qui nous fait devenir pleinement humains,
c’est d’être en relation jusqu’à nous donner.
Ce n’est que dans le don de soi
que l’on rejoint notre propre identité,
notre propre mission.
L’autre est une chance extraordinaire :
par lui, par elle, je suis amené à m’ouvrir
et je découvre en moi l’ampleur inouïe
de ce qu’est la personne humaine.
Bien sûr, cela est souffrant,
mais c’est l’unique chemin de la vraie réalisation de soi.
Voilà ce qu’offre la famille !
La famille est le lieu par excellence
où l’on est amené à s’ouvrir à l’autre
et à se donner à l’autre.
C’est à cette école
que s’est mis Jésus en son humanité.
C’est en famille qu’il a progressé
en sagesse, en taille et en grâce.

La famille est une réalité irremplaçable.
On y retrouve
l’ouverture à l’autre entre l’homme et la femme ;
l’ouverture à l’autre entre génération ;
l’ouverture à l’autre entre frères et sœurs…
Ceux d’entre nous qui ont eu une vie familiale
plutôt sereine le savent.
Et ceux qui en ont été privés le savent aussi
par la souffrance qu’ils ont endurée

Dans une société qui jadis privilégiait
la famille, la tribu, le clan, la nation,
la foi chrétienne a conduit l’Occident
à prendre conscience de la valeur de la personne humaine.

Mais aujourd’hui, sous l’influence du culte du progrès,
l’Occident en vient à absolutiser l’individu
au détriment de la famille,
au détriment de l’enfant qui devient objet.

Dans le fond, nous avons du mal
à valoriser et la personne et la famille.
Est-ce que nous autres chrétiens
nous n’avons pas quelque chose à dire là-dessus ?

Est-ce que nous allons nous taire
et assister passivement à l’émiettement
de nos richesses d’humanité
sous l’influence de ceux et celles
qui refusent que notre nature humaine ait des limites,
qui refusent qu’il existe une loi naturelle
et que nous ne sommes pas Dieu ?

Que vas-tu faire pour prendre soin de notre humanité ?
Qu’est-ce que je vais faire ?
Voilà la question que nous pose la Sainte Famille,
cette famille rayonnante de beauté et de joie
qui nous dit la grandeur
de notre vocation d’hommes et de femmes
appelés aujourd’hui à la communion,
appelés à l’éternité qui sera communion.

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