FMJ Mtl3e DIMANCHE DE CARÊME – B
Frère Antoine-Emmanuel
Ex 20, 1-17 ; Ps 18 1 Co 1, 22-25 ; Jn 2, 13-25
19 mars 2006
Sanctuaire du Saint Sacrement, Montréal

L’Amour du Père ne s’achète pas

Quand saint Matthieu décrit
cette même scène de la purification du Temple
que nous venons d’entendre,
il donne un détail qui souvent passe inaperçu :
les cris de joie des petits enfants
qui proclamaient à pleine voix
« Hosannah au Fils de David ! » (Mt 21, 15)
Ils criaient avec tant d’enthousiasme dans le Temple
que les grands prêtres et les scribes en étaient indignés !
Ils criaient de joie parce qu’ils avaient compris
que cette entrée de Jésus dans le Temple saint d’Israël
était une chose merveilleuse,
un don de Salut de la part de Dieu !

Alors, regardons, nous aussi,
ce geste insolite de Jésus
pour nous joindre à la louange des enfants !
Observons avec attention :
qui Jésus chasse-t-Il du Temple ?

Chasse-t-Il les pauvres ou les mendiants ? Non !
Non seulement Il ne les chasse pas,
mais Il les guérit ! (cf. Mt 21, 14 ; Jn 9, 1 et 8)

Chasse-t-Il les pécheurs ou les publicains ? Non !
Il donne même en exemple
un publicain venu prier au Temple ! (cf. Lc 18, 9 ss.)

Chasse-t-Il les lévites qui préparaient les sacrifices
ou les prêtres qui présidaient aux liturgies ?
Non, car Il n’est pas venu pour abolir,
mais pour accomplir (Mt 5, 17).

Jésus chasse du Temple ceux qui,
d’une manière ou d’une autre,
y font du commerce.
Même si ce commerce se fait
en vue des sacrifices prescrits par la Loi.

Comment comprendre ce geste ?
Est-ce une sorte de purification morale
par laquelle Jésus pourchasse
toute forme de trafic ou de malhonnêteté ?
Pour une part oui,
car on avait fait du Temple
une caverne de bandits (Mt 21, 13).
Mais la venue de Jésus
n’est pas une croisade de moralisme ou de puritanisme
et Il n’a d’ailleurs pas renversé
la table de Lévi ou celle de Zachée !

Ce geste est aussi un signe.
Un signe bien mûri,
qui n’est en rien un brusque coup de colère.
Marc le démontre puisqu’il nous dit
que Jésus est passé dans le Temple la veille
pour y regarder avec attention ce qui s’y vivait (cf. Mc 11, 11).
Ce n’est que le lendemain qu’Il pose ce geste.

Frères et sœurs, le signe, bien mûri,
que Jésus donne en évacuant
tout ce qui a trait au commerce,
est un geste qui montre
que l’amour de Dieu,
la bienveillance de Dieu
ne s’achète pas
et jamais ne s’achètera.
« Ne faites pas de la maison de mon Père
une maison de commerce ! » (Jn 2, 16)
Jésus bannit de la relation à Dieu, de la prière,
toute forme de commerce.
Au point, nous dit Saint Marc,
qu’Il ne laisse personne transporter d’objet
à travers le Temple ! (Mc 11, 16)
Et nous pouvons contempler Jésus
invitant tous les fidèles à déposer
tout ce qu’ils avaient en main.

Comme Moïse détruisit le veau d’or,
Jésus détruit l’image d’un Dieu
dont l’amour s’achète.
Et il y a bien des manières
d’acheter la bienveillance de Dieu.

La colère de Jésus est une colère d’amour
qui veut libérer les mains et le cœur des humains
pour les introduire dans la gratuité de l’amour de Dieu.

D’ailleurs, si l’amour de Dieu s’achetait,
alors Dieu serait du côté des riches
et de ceux qui ont des mérites.
Non ! Dieu est du côté de tous,
c’est-à-dire de chacun, de chacune.
Et ce sont les pauvres,
les pauvres de cœur qui sont du côté de Dieu.

Oui, l’amour de Dieu ne s’achète pas,
car l’amour de Dieu,
c’est Dieu Lui-même,
et Dieu ne S’achète pas :
Il Se donne !

« Périsse ton argent
et toi avec lui,
toi qui as cru acheter le don de Dieu à prix d’argent. »
dit Pierre au magicien Simon (Ac 8, 20).
Et il écrira plus tard :
« Ce n’est pas par rien de corruptible, argent ou or,
que vous avez été affranchis
de la vaine conduite héritée de vos pères,
mais par un Sang précieux »,
celui du Christ. (cf. 1 Pi 18-19)

Voilà ce que Jésus proclame aujourd’hui :
la gratuité infinie de l’Amour du Père.
Ce faisant, Jésus S’inscrit
dans la ligne de prophètes et de sages d’Israël :
« Vais-je manger la chair des taureaux ? » dit le Seigneur,
« le sang des boucs, vais-je le boire ? » (Ps 50 (49), 13)
« Le sacrifice qui plaît à Dieu,
c’est un esprit brisé » (Ps 51 (50), 19).
« Oui, qui offrirait toutes les richesses de sa maison
pour acheter l’amour, ne recueillerait que mépris » (Ct 8, 7).

Mais Jésus va plus loin.
Il va jusqu’à Se livrer
pour nous introduire dans cette infinie gratuité.

Il nous faut ici remarquer
que dans les quatre Évangiles,
cette scène de la purification du Temple
s’inscrit dans le contexte de la fête de Pâque
et donc en lien avec la Pâques de Jésus.
Jésus donne aujourd’hui un signe
qui permet de comprendre
ce qu’Il va accomplir par sa croix, par sa Pâques.
Il nous indique qu’Il n’est pas monté à Jérusalem
pour acheter – même « pour nous » –
l’Amour du Père.
Il est venu pour S’ouvrir à cet Amour,
pour S’abandonner à l’Amour du Père.

Ce que Dieu demande,
ce que Dieu désire,
ce ne sont ni des dollars, ni des mérites,
mais des cœurs ouverts
où Il puisse déverser tout son Amour.
Il serait si « heureux de ne point comprimer
les flots d’infinie tendresse
qui sont en Lui » (Thérèse de l’Enfant Jésus, Ms A. 84 °).
Aussi Jésus vient-Il nous rejoindre
au plus bas de nos enfers
pour que nous puissions avec Lui, en Lui,
accueillir l’Amour du Père.

Jésus ne paye pas,
Il s’ouvre.
En son humanité,
Il consent à ne plus exister par Lui-même,
devenant pauvre,
infiniment pauvre sur la croix,
pour n’exister que par l’Amour gratuit du Père.

Jésus ne paye pas comme un riche ;
Il S’offre comme un pauvre,
et c’est ainsi qu’Il nous sauve.

Voilà la « folie de la croix »,
l’amour insondable de Dieu.
Voilà le « scandale de la croix » (cf. 1 Co 1, 23-25),
la pauvreté inouïe de Dieu.
Notre vie est fondée
sur un Messie crucifié (1, 23),
honte du genre humain (Ps 22 (21), 7)
dont notre modernité se moque
parce qu’elle reste fascinée
par le sur-homme, l’übermersch, de Nietzsche.

Aujourd’hui, l’embryon humain s’achète
et l’utérus de la femme se loue,
mais l’Amour de Dieu
ne s’achète toujours pas
et jamais ne s’achètera !
La croix nous a définitivement révélé
la scandaleuse gratuité de l’Amour
qui n’appartient qu’à ceux qui sont pauvres devant Dieu.

*

Frères et sœurs, la question que nous pose cet Évangile
est de savoir si nous laissons Jésus
entrer dans notre sanctuaire,
dans notre relation à Dieu ?
Ou bien sommes-nous
comme le grand inquisiteur de Dostoïevski
qui dit à Jésus : « Pourquoi es-tu venu nous déranger ? »
et qui fait jeter Jésus au cachot.

Aujourd’hui en ce temps favorable du Carême
laissons Jésus entrer et chasser de nos cœurs
tout commerce avec Dieu.
Il vient en nous et nous fait déposer
tout ce que nous avons l’habitude de présenter à Dieu
pour nous assurer sa bienveillance.

Oui, qu’est-ce que nous apportons si souvent à Dieu
pour être sûrs d’être aimés ?
Cela, déposons-le maintenant
pour être les mains vides devant l’Amour !

Laissons Jésus chasser
de nos cœurs,
de nos habitudes,
de nos pensées
tout ce qui n’est pas filial.
Laissons-Le vraiment « demeurer en nous ».
Alors nous entrerons
dans le vrai Sanctuaire,
dans son Corps,
le Corps du Christ ressuscité :
nous « demeurerons en Lui »,
nous habiterons le Sanctuaire
de la liberté et de la joie des enfants de Dieu !
Voilà la merveille
que nous pouvons vivre en ce temps de Carême !

Oui, les petits enfants juifs de Jérusalem
avaient bien raison de crier de joie
« Hosannah au Fils de David ! »

Louange à toi, Jésus,
Toi qui en cette Eucharistie
viens nous purifier
de tout ce qui en nous
n’est pas filial
pour que nous puissions
demeurer en Toi.
Tu es l’Amour,
Tu es notre Sauveur.

Oui, hosannah !

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