sanct - smLA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
Mgr Émilius Goulet, p.s.s.
Archevêque émérite de Saint-Boniface
Is 9,1-6 ; Tt 2, 11-14 ; Lc 2, 1-14
25 décembre 2014 (messe de la nuit)

« Gloire à Dieu au plus des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime »

Frères et sœurs dans le Christ,

La nuit de Noël nous ramène près de la crèche, où nous admirons avec joie et étonnement un petit enfant emmailloté, couché sur la paille. Ce geste doit nous conduire à contempler dans toute sa profondeur le plus grand évènement de l’histoire : « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous » (Jn ,14). « Pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du ciel », professons-nous dans le symbole de Nicée-Constantinople.

Dieu se fait petit enfant, afin que nous puissions l’aimer; comme un petit enfant, il s’abandonne avec confiance entre nos mains, pour que nous puissions l’accueillir et lui témoigner notre affection et notre amour, pour que nous puissions l’adorer.

Nous sommes toujours de nouveau émus en entendant le récit de la naissance de Jésus dans l’évangile selon saint Luc; car la beauté de cette bonne nouvelle est splendeur de vérité. Cependant, en cette nuit très sainte, concentrons nos réflexions à partir de l’hymne de louange que les anges entonnent après le message concernant le Sauveur nouveau-né : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ».

Ce chant de louange vient se joindre au joyeux message de l’ange comme un chant responsorial; c’est un hymne chanté par « une troupe céleste innombrable ». En effet, les anges en grand nombre entourent l’ange qui avait annoncé la nouvelle de joie et de victoire. Les troupes célestes, dans le monde antique, ce sont les étoiles; disposées dans une immense ordonnance, elles tracent leur trajectoire à travers le ciel; mais ce sont aussi les anges qui les meuvent. Les anges sont comme la cour de Dieu; ce Dieu qui est appelé aussi le Dieu Sabaoth, c’est-à-dire le Dieu des armées. Selon la Lettre aux Hébreux, Dieu dit lorsqu’il introduit son Fils unique dans le monde : « Que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu » (He 1,6). Les anges prennent une part très active aux évènements du salut : « Les anges ne sont-ils pas tous des esprits chargés d’une fonction, envoyés pour le service de ceux qui doivent avoir en héritage le salut? » (He 1,14), souligne la même Lettre aux Hébreux.

Le chant des anges est un appel ou une acclamation messianique. Il n’est pas un souhait; mais il est la proclamation de l’œuvre divine; ce n’est pas une demande; mais c’est un hommage solennel d’action de grâce. En deux versets intimement accordés, est formulé tout ce que la naissance de Jésus doit signifier, au ciel et sur la terre, c’est-à-dire pour Dieu et pour les êtres humains. Comme le ciel et la terre sont concernés par cette naissance, celle-ci possède une importance primordiale et une signification universelle. L’univers prend un tournant absolument nouveau par le message de Noël, par la venue de Jésus. Le ciel et la terre sont réunis par et dans la personne de Jésus.

Gloire à Dieu au plus haut des cieux. « Dieu habite dans les hauteurs », selon la pensée biblique. Dans la naissance de Jésus, c’est Dieu lui-même qui se glorifie, il manifeste son essence intime. En effet, Jésus est la révélation parfaite de Dieu, « le rayonnement de la gloire divine, de son être » (He 1,3); il annonce le règne, la seigneurie de Dieu; il l’apporte et il la réalise; en lui l’amour de Dieu devient visible (cf. Jn 3,16). Il pourra dire au Père à la fin de sa vie « Moi, je t’ai glorifié sur la terre, en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire » (Jn 17,4).

Paix sur la terre aux hommes que Dieu aime. C’est sur la terre que vivent les hommes, alors que Dieu est « au plus haut des cieux ». Ils reçoivent la paix par ce nouveau-né. Jésus est le prince de la paix. C’est bien la venue d’un roi de paix qui va agir selon les vues de Dieu qu’annonce le prophète Isaïe dans notre première lecture :

« Oui! Un enfant nous est né, un fils nous a été donné; l’insigne du pouvoir est sur son épaule; on proclame son nom : « Merveilleux-Conseiller, Dieu-fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-paix ». Ainsi le pouvoir s’étendra, la paix sera sans fin pour David et pour son royaume. Il sera solidement établi sur le droit et la justice dès maintenant et pour toujours. Voilà ce que fait l’amour invincible du Seigneur de l’univers » (Is 9, 5-6)

Cet enfant merveilleux est né pour nous. C’est Jésus. Du chaos et des ténèbres, où nous vivons, il vient faire jaillir la lumière, la joie et la paix de Noël; en somme, il vient créer un monde nouveau.

Qu’est-ce donc que la paix à laquelle notre monde d’aujourd’hui aspire tellement? Qu’est-ce donc que la paix révélée dans les Écritures, celle donc que Dieu offre et désire tant donner aux hommes qu’il aime?

La paix comprend en elle tous les biens du salut. La paix est la restauration et le dépassement de tout ce que l’être humain a perdu par le péché; la paix, c’est le fruit de l’alliance conclue par Dieu avec le peuple d’Israël et renouvelée par Jésus. L’alliance est une alliance de paix, qui demeure inébranlable (cf Is 54,10). La paix, c’est la réconciliation, la joie parfaite; l’annonce de Jésus, c’est « l’Évangile de la paix » (Ép 6,15). C’est lui-même Jésus qui est cette paix.

Les hommes reçoivent la paix, parce que Dieu les aime, parce qu’il a tourné sa faveur ou sa complaisance vers eux. Jésus garantit aux hommes la faveur de Dieu. C’est par elle seule que l’homme est sauvé. Dans un psaume de la secte de Qumran on chantait : « Tous les coups de ton jugement sont fondés dans ta colère, et dans ta bonté la plénitude du pardon et de ta miséricorde à l’égard de tous les fils de ta complaisance », c’est-à-dire à l’égard de tous les fils que tu aimes (IQH, II, 8 suiv.). L’hymne des anges étend cette complaisance, cette faveur divine, cet amour divin à tous les hommes. A cause de Jésus, la volonté divine de salut est à la disposition de tous, à condition qu’ils en manifestent le désir.

Déjà le prophète Isaïe rapportait : « Car ainsi parle celui qui est plus haut que tout, lui dont la demeure est éternelle et dont le nom est saint : j’habite une haute et sainte demeure, mais je suis avec qui est broyé, humilié dans son esprit, pour ranimer l’esprit des humiliés, pour ranimer le cœur de ceux qu’on a broyés… mais [ mon peuple ] je le guérirai, je le conduirai, je le comblerai de consolation, lui et les siens qui sont en deuil; et, sur leurs lèvres, je vais créer la louange. Paix! La paix à celui qui est loin, et à celui qui es proche! dit le Seigneur. Oui, ce peuple, je le guérirai » (Is 57,15.18-19).

La réalisation de cette prophétie d’Isaïe est décrite dans la deuxième lecture de notre célébration : « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes ». L’Apôtre rappelle à son disciple Tite l’essentiel du message chrétien. Dieu se fait connaître, Dieu apparait par sa grâce. Celle-ci s’accomplit dans le don de Jésus qui nous introduit dans l’attitude juste à l’égard du Père. Celui-ci inaugure un peuple ardent à répondre à l’appel de son amour.

Revenons une dernière fois à l’hymne des anges. L’annonce solennelle de l’ange a chanté l’enfant nouveau-né comme le Messie-Roi; l’hymne des troupes d’anges le loue comme le prince de la paix, comme celui qui apporte le salut et comme le prêtre, qui réconcilie et réunit le ciel et la terre. L’Enfant dans la crèche est le prêtre et le roi du temps du salut.

Le chant des anges a des liens avec les acclamations du peuple qui accompagnera Jésus au début de la semaine de la Passion lors de son entrée à Jérusalem; le peuple criera : « Béni soit celui qui vient, le Roi au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux! » (Lc 19,38). La paix et la gloire qui règnent au ciel doivent être accomplies, réalisées par Jésus sur la terre. L’entrée de Jésus à Jérusalem, où l’attendent la mort et l’exaltation, achèvera l’œuvre du salut; la paix et la gloire du ciel seront données aux hommes. Cette acclamation doit être comprise comme une prière, comme cette prière juive : « Celui qui établit la paix dans ses hauteurs, celui-là veut nous donner la paix, à nous et à tout le peuple ». Ce que la naissance de Jésus a commencé de réaliser, sa mort l’accomplira. L’entrée dans le monde trouve son accomplissement dans l’entrée à Jérusalem et dans la venue dans la gloire du Roi de l’univers lors de la Parousie. Bethléem – Jérusalem – le monde, l’univers, – telles sont les grandes étapes ou stations de l’histoire du salut. Jérusalem se trouve au milieu, c’est la ville de l’enlèvement (cf. Lc 9,51) sur la croix et dans le ciel (cf. Lc 24,51).

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ! »

À l’occasion de son dernier message de Noël, le 25 décembre 1977, le bienheureux Paul VI a fait une merveilleuse synthèse du contenu de cet hymne angélique :

« …L’Évangile est là tout entier; son contenu de salut réel et de libération authentique est enclos dans ces brèves expressions qui, comme une musique secrète, enveloppent la pauvreté nue de la crèche de Bethléem, où naît — homme pour les hommes — le Fils même de Dieu. Le rapport entre Dieu et l’homme est restauré, et s’ouvre pour ce dernier, comme une invitation rassurante et béatifiante, le double chemin de la gloire de Dieu et de la paix avec les autres hommes.

Ne nous laissons pas étonner, déconcerter, scandaliser par la simplicité élémentaire de ces paroles: hommes d’un siècle de grand progrès technologique, il nous est nécessaire et indispensable de retrouver la saveur et le goût des choses plus humbles et plus vraies. C’est la première condition pour découvrir la joie, la sérénité et la paix qui sont les dimensions originales de la vie humaine, touchée par le message évangélique. Accueillons donc, en ce jour lumineux, l’appel de l’ange et celui de l’Évangile, et répétons-le pour susciter en nous une adhésion plus convaincue et plus assurée : là où Dieu est honoré, l’homme aussi est honoré ; la gloire de Dieu est le fondement de la dignité de l’homme ; la naissance du Christ marque, au nom du Père des cieux, le chemin de la paix sur la terre. « La naissance du Seigneur est la naissance de la paix » (Saint Léon, Sermon XXVI, 5).

Né dans « la maison du pain » (c’est le sens étymologique de Bethléem), Jésus a voulu que le pain devienne signe de sa présence au milieu de nous; en effet, le pain et le vin qui l’accompagne expriment, plus que toute autre réalité, le partage et le don que fut toute la vie de Jésus. Il s’est donné à ses frères et sœurs et il s’est livré pour eux. C’est pourquoi, il a pu affirmer, avec tant de force, qu’on le rencontre chaque fois que l’on accueille le plus petit d’entre les siens. Veillons donc à ne jamais séparer ces deux sacrements de sa présence : l’identité avec les plus fragiles et l’Eucharistie! Amen! Joyeux Noël!