sanct - sm33e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – C
Dom Guillaume Jedrzejczak
Ml 3, 19-20 ; Ps 97 ; 2 Th 3, 7-12 ; Lc 21, 5-19
14 novembre 2010
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Ce moment qui nous est offert

Si on les écoute avec attention, les lectures de ce jour ont une saveur bien étrange. En
effet, après la lecture tirée du livre de Malachie, dans le plus pur style apocalyptique,
l’Église nous propose d’entendre les recommandations de Paul concernant ceux qui
prétendent vivre sans travailler ! Ce premier contraste a quelque chose de surprenant.
Quel rapport y a-t-il entre l’annonce de toutes ces catastrophes et le pain quotidien ? Voilà
déjà un premier mystère à élucider. Et dans l’Évangile, Jésus semble vouloir encore
ajouter un peu à la confusion en détournant le discours apocalyptique suscité par sa
remarque sur le caractère éphémère du temple. En effet, à ses disciples, visiblement
inquiets, il recommande de ne pas écouter les prophètes de malheur : « ne les suivez pas »,
dit-il, et il leur précise même que « ce ne sera pas pour tout de suite la fin ». Voilà qui est
clair, mais qui nous jette dans une certaine perplexité. Comment comprendre ce que Jésus
veut nous dire, à travers ce tissu d’apparentes contradictions ?

Je crois que la première chose qui ressort de ces lectures, c’est un certain humour de la
part de Dieu. Jésus s’amuse, d’une certaine façon, de nos peurs et de notre catastrophisme
invétéré. Et, ce faisant, il souligne une erreur fort répandue parmi les hommes : notre
conception erronée du temps et de l’histoire. En effet, lorsque Jésus prédisait qu’il ne
resterait « pas pierre sur pierre » de ce bel édifice qu’était le temple de Jérusalem, il ne
faisait qu’énoncer une évidence. Tout ce qui appartient au passé est promis à l’oubli, à la
dégradation et à la destruction, plus ou moins rapidement. Énonçant cette réalité si
simple, mais pourtant si difficile à admettre pour tant d’élite nous, Jésus remet le passé à
sa juste place. Le caractère éphémère et fragile de toutes les oeuvres humaines n’a rien de
surprenant. Ce qui est plutôt surprenant, c’est que nous persistions â penser le contraire.
En cela Jésus nous donne une merveilleuse parabole de ce qu’est la Tradition, avec un
grand T: un passé qui enrichit le présent, parce qu’il a accepté de disparaître.

Mais Jésus agit de même à l’égard de tous les prophètes de malheur et tous les
prévisionnistes en mal de sensationnel. Si le passé est passé, le futur est à venir. Jésus ne
nie pas le lien qui nous relie au futur, il ne gomme pas nos responsabilités, mais il nous
remet à notre juste place. Comme le passé nous échappe et risque toujours de devenir
dans nos mémoires une espèce de paradis perdu, de même, le futur est inaccessible et il
ne sert à rien d’avoir peur de ce qui n’est pas encore arrivé. Ainsi, dans ce bref passage
des Évangiles, Jésus nous demande de ne pas céder aux deux tentations qui ont toujours
tenaillé les hommes, depuis la nuit des temps: la tentation de regretter un passé idéalisé et
celle, encore plus pernicieuse, de nous angoisser de ce qui va venir. Le regret et
l’angoisse, voilà bien deux maladies qui nous guettent tous, et qui risquent toujours de
faire de nous des personnes acariâtres et frileuses.

C’est pourquoi, dans l’Évangile de ce jour, Jésus développe le portrait du disciple qui a
échappé à ces deux tentations, pour s’assurer que nous avons bien compris le message. Et
pour cela, il commence par dire que ce ne sera pas facile: il y aura des persécutions, des
contradictions, des contrariétés, des désillusions et des trahisons. Bref, il faudra
s’accrocher. Rien de neuf sous le soleil ! La foi n’est pas un long fleuve tranquille et
l’Église n’a rien d’un sous-marin l’abri des ouragans. Elle tangue et elle tanguera, et nous
aussi. Alors il est important de se prémunir contre le mal de mer, dès le moment où l’on
décide de faire partie de l’équipage ou des passagers, car la tempête va souffler ! Et
comment se prémunir ? Quel est le remède miracle que nous propose le Seigneur ? C’est
tout simple: ne pas se faire de soucis et s’en remettre à l’Esprit Saint! Voilà les deux
remèdesmiracles. Et Saint Paul en ajoute un troisième dans la seconde lecture: travailler ! Oui,
oeuvrer dans ce monde, tel qu’il est, avec ses misères mais aussi ses joies. Et j’ajouterai un
quatrième: arrêter de se plaindre.

L’humour de Jésus et les conseils de Paul sont de merveilleux remèdes pour toutes ces
tentations qui refont sans cesse surface dans notre monde, et particulièrement dans
l’Église. Jésus nous veut du bien, il nous veut présents au moment présent, il nous veut
libres, libres de tout regret, libres de toute peur de l’avenir, il nous veut pleinement
enracinés dans ce monde, créé par Lui, et sauvé par Lui. En se moquant des discours
alarmistes, il nous remet à notre juste place. Le passé, aussi beau fût-il, le futur, aussi
angoissant puisse-t-il sembler, ne peuvent nous exonérer de vivre, dans la foi et
l’espérance, et avec beaucoup d’amour, ce moment qui nous est offert par notre Dieu, et
qui est unique. C’est là, comme nous le rappelle Saint Paul, que nous sommes appelés à
travailler, avec courage, générosité et créativité, pour que le monde soit plus juste et plus
beau. Voilà le don de Dieu, celui qu’Il nous offre maintenant, aujourd’hui, ici.
Amen.