1er DIMANCHE DE L’AVENT – B
Frère Antoine-Emmanuel
Is 63, 16-19 ; 64, 2-7 ; Ps 79 ; 1 Co 1, 3-9 ; Mc 13, 33-37
27 novembre 2011
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Avec Isaïe l’indigné

Pour qu’un enfant s’endorme, il faut le bercer.
N’est-ce pas ce que le monde ne cesse de faire ?
La société nous berce.
Elle berce et endort notre conscience.
Nous nous berçons les uns les autres et nous nous endormons.
Nous nous laissons prendre par une mystérieuse torpeur,
un sommeil de l’âme, qui est l’oubli de Dieu et, inséparablement,
le désir de la valeur sacrée de toute vie humaine.

Je pense à une série télévisée
qui remporte un succès considérable en ce moment
en particulier chez les adolescents ;
série qui mélange humour, détente, divertissement
avec un mépris cynique du mariage, de la fidélité,
de la sainteté de la sexualité,
et même de la vie consacrée et de l’Église.
Une série qui consacre l’infidélité conjugale, l’argent,
le pouvoir sur les autres comme source du bonheur.

Mais aujourd’hui, comme les « indignés » de la Place du Peuple,
le prophète Isaïe plante sa tente parmi nous
et lance un cri d’indignation.

Un cri d’indignation, mais un cri tourné vers Dieu :
« Pourquoi nous fais-tu errer, Seigneur, loin de tes chemins,
et endurcis-tu nos cœurs
qui sont loin de te craindre ? » (Is 63,17)
Pourquoi, Seigneur ?
« Depuis longtemps nous sommes ceux sur qui
tu n’exerces plus ta souveraineté,
ceux sur qui ton Nom n’est plus appelé » (v. 19).
De là le prophète tombe-t-il alors dans l’accablement ?
Non !
Poussé par l’Esprit, il lance un nouveau cri
qui n’est plus un « pourquoi » mais un appel :
« Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais… » (id.)
Et il imagine une venue de Dieu
dans un tremblement de terre, dans un feu :
« si tu faisais des choses terrifiantes
que nous n’attendons pas : tu descendrais,
les montagnes seraient secouées devant toi » (Is 64,2).

*

Frères et sœurs, n’est-ce pas à une telle indignation
que le Seigneur veut nous conduire ?
L’appel de l’Évangile est fort, presque brutal :
« Prenez garde, chassez le sommeil ! » (cf. Mc 13,33)
Ne vous laissez pas bercer d’illusions par l’esprit du monde
qui est en vous et autour de vous.
Soyez indignés de ce que l’amour ne soit pas aimé,
soyez indignés de ce que Dieu laisse l’avortement,
les crimes financiers, la pornographie, les injustices sociales
et l’oubli de Dieu sous toutes ses formes submerger
notre monde comme un tsunami sur le net et dans nos vies.

Dieu attend notre indignation.
Dieu attend et désir, notre cri,
car son désir c’est bien de déchirer les cieux
pour venir à nous,
pour nous extirper du mal en nous embrassant,
en nous faisant miséricorde.

Mais « nul n’en appelle à ton nom,
s’écrie encore le prophète,
nul ne se réveille pour t’en saisir
car tu nous as caché ton visage,
tu nous as fait devenir mous
dans la main de notre perversité
pour faire de nous des dissolus » (Is 64,6).

L’image est rude à entendre.
Je deviens mou dans la main de ma perversité…
Notre conscience devient molle…
Mais Isaïe conclut par un nouvel appel à l’aide :
« cependant, Seigneur, notre Père, c’est toi.
C’est nous l’argile, c’est toi qui nous façonnes,
tous nous sommes l’ouvrage de ta main » (v. 7).

En d’autres termes :
Seigneur, ne permets pas que la main qui façonne nos vies
soit le mal qui est en nous et dans le monde.
Viens, déchires les cieux,
et reprends-nous dans tes mains !
Viens nous pétrir à nouveau…
Viens travailler notre humanité
non seulement pour nous purifier de tous nos maux,
mais plus encore pour nous mener
à la sainteté, à l’éternité, à la beauté, à l’au-delà de tout,
dont toi-même tu as mis le désir en nous.
Car « notre soif de liberté et notre besoin d’espace,
nos révoltes mêmes et nos excès
révèlent notre capacité d’infini et notre vocation divine. »

Seigneur tu as mis en nous un désir d’aimer
plus grand que ce monde :
Viens aimer en nous!

*

Frères et sœurs,
Dieu a soif qu’on ait soif de Lui disait Saint Grégoire de Nazianze.
L’Avent est là comme un don merveilleux
pour réveiller en nous le désir de Dieu,
pour crier au nom de toute l’humanité :
Viens Seigneur délier les chaines injustes de notre temps.
Seigneur, ce qu’il nous faut, c’est une «grande visite»,
En grec une « parousia »,
En latin un « adventus »,
Ce qui a donné le nom « Avent »…

Souvenons-nous comment Saint Jean nous parle de Dieu
dans l’Apocalypse : « Il est, Il était et Il vient » (cf. Ap 1,8)
Ce n’est plus seulement « Je suis »
ou « Je suis qui Je serai », « Je serai avec toi », (Ex 3,14)
ce dont Moïse reçut la révélation au Buisson ardent.
Le Seigneur a dévoilé un nouveau verbe :
« Je viens ».
Dieu n’est pas seulement Celui qui est ;
Il n’est pas simplement Celui qui est et qui sera ;
Il est Celui qui vient.
Non seulement Celui qui viendra, mais Celui qui vient.
C’est un présent.
Dieu est Celui qui ne cesse de venir vers nous.
Mon avenir, ton avenir, c’est la venue de Dieu dans notre vie.

C’est donc que Dieu a déjà déchiré les cieux.
Sa miséricorde a été plus forte que nos perversités
et Il est allé jusqu’à laisser déchirer son Cœur
pour venir nous obtenir le Salut.

Il n’est pas venu d’abord dans le tremblement de terre et le feu
qu’Isaïe imaginait.
Il est venu dans une humilité bouleversante,
une voix de fin silence
la voix d’un petit enfant qui balbutie le nom de son père.

La venue de Dieu, la grande visite, la parousia, l’adventus
commence par le gémissement d’un petit enfant
avant de se déployer dans le bouleversement cosmique
qui précédera la venue glorieuse du Fils à la fin des temps.
Et au centre de cette grande venue de Dieu,
il y a la Croix, le mystère pascal de Jésus
où l’Amour est venu jusqu’au plus profond de notre humanité
délier les chaînes du mal les plus antiques,
les plus profondes, les plus néfastes.

*

Et nous, frères et sœurs,
aidés et même secoués par Isaïe puis par Jean Baptiste,
nous allons ensemble entrer dans la veille.
Nous sommes les portiers de notre temps,
les gardiens de nuit, pour reprendre l’image de l’Évangile,
chargés de scruter, d’accueillir
et d’annoncer la continuelle venue de Dieu.

Qu’aucun de nous ne soit un chrétien endormi
qui se laisse bercer par les divertissements de ce monde.
« Votre seule puissance est dans l’infini de votre désir »
disait Jésus à Catherine de Sienne.
Nous ne voulons pas nous affaler dans l’impuissance.
Nous allons laisser la liturgie réveiller notre désir
pour nous ouvrir à tout le mystère de la venue de Dieu :
Il est, Il était, et maintenant Il vient.

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