FMJ Mtl3ème Dimanche de l’Avent — A
Mgr Alain Faubert
Is 35, 1-6a.10 ; Ps 145 (146) ; Jc 5, 7-10 ; Mt 11, 2-11
11 décembre 2022
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

Attendez-vous le Messie ?


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Frères et sœurs, j’aimerais commencer mon homélie avec une petite question en apparence toute simple : est-ce que ça vous arrive d’attendre le Messie? Moi en tout cas, ça m’arrive!
Avant d’aller plus loin, je dois vous dire que je ne parle pas ici de ce Messi que les Argentins espèrent voir se lever et agir de manière décisive cette semaine, à la coupe du Monde.
Vous aurez sans doute aussi compris que je n’interroge pas… enfin pas tout de suite… votre espérance chrétienne.
Je vais y arriver, mais… Bethany, toi qui es une franco-ontarienne d’adoption, toi qui as un amour ardent de la langue française, tu sais sans doute que « attendre le Messie », c’est une expression populaire…
Une expression populaire, mais avec une pointe négative, péjorative. « Attendre le messie », pour plusieurs, ça veut dire rester là, à ne rien faire, les bras croisés en espérant qu’un autre va tout faire à notre place.
Par exemple, il y a un rappeur français (Oxmo Puccino) qui chante aux jeunes des banlieues: « Cesse de glander, d’attendre le messie, scander qu’ici c’est mort, demander d’l’aide assis sur un banc à la téci… » …

Autre exemple, un fonctionnaire québécois du monde de l’éducation, qui désespère de voir venir des orientations ministérielles, affirme : « On n’attend pas le messie, on va faire le travail chez nous, à l’interne! »
Frères et sœurs, attendons-nous le Messie? Au sens propre comme au sens figuré, je pense qu’une question fondamentale nous est posée par la liturgie de ce dimanche : « Qu’est-ce que nous attendons vraiment de Dieu? Quel messie espérons-nous qu’il nous envoie? Et pour quoi faire? »
Jean le Baptiste attendait le Messie. Il espérait que ce Messie ferait le ménage. Vous l’avez peut-être entendu dans l’Évangile qui nous a été proclamé la semaine dernière. Jean qui met en garde ses compatriotes : « Vous allez voir. Le Messie a une hache en mains… et tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. Le Messie tient une pelle à vanner, il va battre le blé pour séparer le bon grain de la paille. »
Autrement dit… le Messie s’en vient, et les méchants vont en manger toute une! Ce sera le jour de la vengeance de Dieu. Vengeance contre les pécheurs? Peut-être que c’est ce que Jean le Baptiste pense.

Jésus arrive. Jean Baptiste a le temps de reconnaître en lui le Messie promis. Et voilà qu’au lieu de prendre le fouet ou le bâton, Jésus préfère la miséricorde, le pardon. Il s’invite même à manger chez les pécheurs publics. On peut comprendre que Jean veuille des explications : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre? »
Qu’est-ce qu’il y a dans cette question de Jean? Un peu de douleur? Un peu d’inquiétude? On l’entend presque dire : « Voyons, Jésus, qu’est-ce que tu fais à attendre le Messie ? Qu’est-ce que tu attends, Jésus, pour réaliser nos attentes? Pour faire le tri entre justes et pécheurs, pour faire le ménage en Israël? Pour établir ton règne de justice et de paix? »
Jésus lui répond par ses actions : « Allez dire à Jean que les aveugles voient, les sourds entendent, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. »
Le portrait du Messie qui se dessine ressemble plus à ce que le prophète Isaïe attendait. On l’a entendu en première lecture. Isaïe aussi attendait le jour de revanche, le jour de la vengeance de Dieu. Mais pas la vengeance de Dieu contre les pécheurs. Plutôt la vengeance de Dieu contre le mal et le péché qui emprisonnent les hommes.
Voilà mes amis : le Messie est venu. Il est là, au milieu de nous. Mais pas comme nous l’attendions. C’est Jésus de Nazareth… humble et pauvre. Le Messie, autrement. Pour nous révéler le Dieu tout-autre.
Il naît sur la paille, dans une mangeoire.
Il déjoue nos mentalités calculatrices. À Béthanie, il laisse le parfum se répandre, alors qu’on aurait pu faire tant de bien aux pauvres, avec les 300 pièces d’argent qu’on aurait tirées de la vente.
Sur la croix, il se laisse broyer comme le grain de blé. Il vient à nous sous le signe du pain. Ce pain qui nous est si quotidien. Qu’on achète au coin de la rue… qu’on peut briser et partager. Qu’on peut mépriser.
Sa présence, qu’il remet entre nos mains. Alors, qu’est-ce que nous attendons de lui, qu’est-ce que nous attendons de Dieu? Le jugement et la vengeance contre les pécheurs? Jésus est venu, mais il n’a pas apporté le jugement espéré par Jean le Baptiste.
Qu’est-ce que nous attendons de Dieu? La vie rêvée, le paradis sur terre? Est-ce que nous attendons un messie qui fera tout à notre place, qui nous donnera tout, tout de suite, tout cuit dans le bec, pour toujours? Jésus est venu, mais il n’a pas apporté cette vie en rose.
J’entends Jésus nous dire à nous aussi : « Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute! » Parole révélatrice! Jésus sait bien que la projection de nos attentes les plus folles sur le Messie peut devenir un obstacle à notre foi. Littéralement un scandale, une pierre d’achoppement.
Jésus peut nous scandaliser, parce qu’il ne punit pas les pécheurs. Il peut aussi nous scandaliser, parce qu’il ne réalise pas dans nos vies ou dans la vie du monde, le tour de magie que nous aurions espéré.
On va me dire : « Mais Alain, Jésus a guéri les malades, les sourds, les aveugles, les boiteux! » Je crois devoir dire que Jésus a guéri des malades… mais pas tous. Il a guéri des sourds, des aveugles… mais pas tous. Ces guérisons sont des signes que Dieu est à l’œuvre, que son règne est en croissance au secret du monde. Son royaume est déjà là, mais pas encore pleinement manifesté.
« Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! » Oui, heureux qui ne tombera pas du côté du désespoir de voir le jour du Messie, car ce jour est déjà passé et le Christ est déjà venu; heureux qui ne tombera pas non plus du côté de l’attentisme providentialiste et passif, car le royaume est encore à advenir, et nous pouvons mystérieusement hâter sa venue, comme le dit saint Pierre.
Heureux donc celle et celui, même parmi les plus petits, qui mettra le pied dans le Royaume déjà là, en accueillant Jésus comme Sauveur et Libérateur. Comme celui qui libère en nous la force d’agir à notre tour.

Celui qui libère en nous une patience active, la patience du cultivateur toujours à l’ouvrage, dont nous a parlé tout à l’heure la lettre de Jacques. Cette patience est celle de Dieu lui-même envers nous: il ne tire pas sur les fleurs pour qu’elles poussent, il donne encore une chance à l’arbre stérile de porter du fruit l’an prochain.
Heureux celle et celui qui, libéré par le Christ, sauvé du désespoir et de l’illusion, trouve sa joie dans son
engagement patient au service du royaume de Dieu, au service de ses frères et sœurs en humanité.
Heureuse Bethany, qui t’engage aujourd’hui à témoigner par toute ta vie de la présence en toi, en nous, en ce monde qu’il aime, du Dieu tout-autre, du Messie, autrement… surprenant// déroutant// fascinant// attrayant// accueillant// interpellant// agissant.
Ce Dieu pour qui, comme pour toi, le plus important se trouve dans la relation d’amitié et d’amour qu’il veut tisser avec nous, avec chacun.
Chère Bethany, que toute ta vie chante donc : « N’attendez pas le Messie pour commencer à aimer, à aimer follement, comme Lui. Venez déjà, auprès de Lui, le rencontrer. Je vous invite! Pour trouver en Lui l’unique nécessaire, l’espérance du monde nouveau, le sens de votre vie, la source de la véritable joie. » Amen.