FMJ Mtl30ème dimanche du temps ordinaire – C
Frère Jean-Christophe
Si 35, 15b-17.20-22a ; Ps 33 (34) ; 2 Tm 4, 6-8.16-18 ; Lc 18, 9-14
23 octobre 2022
Sanctuaire du Saint Sacrement, Montréal

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Etre juste, c’est être sauvé

Jésus conclut cette parabole bien connue 

du Pharisien et du Publicain en disant : 

«Je vous le déclare, c’est lui – le Publicain –
qui était devenu un homme juste plutôt que l’autre.»
Mais qu’est-ce donc qu’être juste ?
Être juste, c’est être ajusté à Dieu,
à ses frères et à soi-même.
Quand Jésus dit qu’il nous sauve,
nous devons comprendre qu’il nous rend justes.
Le salut, c’est être libéré de tout obstacle
qui empêche la communion avec Dieu,
avec ses frères et sœurs en humanité et avec soi,
c’est vivre des relations d’amour et de paix
avec Dieu et son prochain.

Alors pourquoi ce Pharisien n’est-il pas sauvé,
pourquoi n’est-il pas devenu juste ?
Tout d’abord parce que sa relation à Dieu est faussée.
Certes, il utilise la plus belle forme de prière qui soit,
c’est-à-dire l’action de grâce,
mais regardez comment il prie :
la louange qu’il laisse monter en lui
ne s’adresse qu’à lui-même.
Ce n’est pas Dieu qu’il bénit
mais plutôt ses propres mérites.
D’ailleurs, Jésus dit bien qu’il priait en lui-même.
Sa prière n’est pas adressée à Dieu.
Elle est un monologue intérieur
où Dieu n’a qu’un rôle de témoin et non d’interlocuteur.

Regardons maintenant sa relation aux autres.
Elle n’est que mépris et désintérêt.
Les autres sont jugés comme voleurs, injustes, adultères.
Et ce Publicain qui prie avec lui dans le Temple
est la figure de l’homme devant qui il s’écarte.
Le jugement du Pharisien fait barrage à toute relation à l’autre,
tout en cherchant, paradoxalement,
à être bien vu et admiré des autres.
Jésus dit qu’il se tenait debout dans le Temple,
c’est-à-dire bien en vue.
«Ne soyez pas comme les hypocrites :
ils aiment, pour faire leurs prières à se camper
dans les synagogues et les carrefours,
afin qu’on les voie», dira Jésus (Mt 6,5).

Et c’est là qu’on perçoit que si le Pharisien
n’est pas ajusté aux autres,
c’est parce que d’abord il n’est pas ajusté à lui-même.
Il se croit riche de toute sa spiritualité
et de ses performances religieuses.
Il a observé la loi à la lettre,
il est fier de sa bonne morale et de ses vertus.
Il met sa confiance dans ses œuvres.
«Puisque le Pharisien voudrait toujours
se maintenir en haut de l’échelle de son image idéalisée,
on pourrait dire qu’il souffre
du ‘syndrome de la performance’»,
dit un auteur spirituel québécois
(André Dagneault, Le Chemin de l’imperfection, Ed. Anne Sigier, 2000, p.27).

Toute sa spiritualité est centrée
sur ses vertus et ses œuvres.
Fort de sa perfection, il croit que Dieu
le fera entrer dans son Royaume
à cause de ses mérites et de ses efforts.
Il n’est ni ajusté à Dieu, ni à lui-même
car il a peur de Dieu et ignore
l’immense miséricorde qui jaillit de lui
et il se craint lui-même
car toute faute de sa part
écroulerait son édifice de perfection.
Il vit dans la peur de se décevoir lui-même
et en conséquence se rassure en voulant
se montrer supérieur aux autres.
«Moi, je jeûne deux fois par semaine»,
sous-entendu les autres seulement une fois !
Il ne peut se reconnaître pécheur
sinon il tomberait dans la désillusion et le désespoir.
Or celui qui dit qu’il est sans péché
est un menteur. (1 Jn 1,10)
Même le juste pèche sept fois par jour.
Ce déni de la vérité sur lui-même
le pousse à montrer les autres du doigt.

Finalement, frères et sœurs, nous nous retrouvons tous
un peu dans cette attitude du Pharisien
quand nous manquons de confiance en Dieu.
«Vous ne connaissez ni le Père ni moi» (Jn 8,19),
dira Jésus aux Pharisiens,
alors qu’ils connaissent parfaitement la loi.
Puissions-nous connaître Dieu par le cœur,
faire cette expérience intérieure que Dieu nous aime
et qu’il ne veut pas la mort du pécheur.
Nous sommes tous incapables d’être justes
par nous-mêmes, de nous sauver.
Seul Dieu nous rend justes par le don de sa miséricorde.
Le Publicain en a fait l’expérience.
Il s’est regardé en vérité et a pleuré son péché.
Il n’a pas cherché l’admiration des autres
qui sont impuissants pour le sauver.
Il a mis sa confiance en Dieu
qui seul pouvait le sauver.
Le Pharisien tentait de s’élever illusoirement
alors que le Publicain s’est abaissé
humblement devant son Créateur.
C’est toujours en bas, au cœur de notre faiblesse,
que Dieu nous attend.
Le salut ne se trouve pas dans les grandeurs
mais dans nos pauvretés.
C’est pourquoi le disciple qui veut suivre Jésus
doit descendre à son tour et accepter sa vulnérabilité.
Aussi longtemps que nous nous opposons à notre vulnérabilité,
c’est-à-dire à notre nature humaine qui est limitée,
la puissance de Dieu ne peut pas agir en nous.

Notre volonté de bien faire, notre générosité,
sont une bonne chose.
Mais en rester là va nous user,
nous rendre tristes et aigris.
Il existe une meilleure part
qui est d’aimer par amour, et non plus seulement par devoir,
d’ajuster notre être à notre agir,
de perdre sa vie sans chercher à la reprendre,
de se vider de toute suffisance,
de tout faire comme si tout dépendait de nous,
tout en sachant, comme dit saint Ignace de Loyola,
que tout dépend de Dieu.

Être juste, c’est être vrai,
c’est être ce que nous sommes,
c’est être humain et non pas un ange,
c’est découvrir notre pauvreté comme la «perle précieuse»
pour laquelle nous aurons le courage
de vendre toutes nos richesses afin de la posséder.
Dieu s’est fait chair, Dieu s’est fait vulnérable.
Il s’abaisse plus encore dans cette eucharistie
en n’étant plus que du pain
et Il nous élève, nous ouvre les portes du Royaume.
À nous la vie, à nous le salut, à nous la joie éternelle !