FMJ Mtl4e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE ‒ C
Frère Antoine-Emmanuel
Jr 1, 4-5, 17-19 ; Ps 70 ; 1 Co 12,31 – 13,13 ; Lc 4, 21-30
28 janvier 2007
Sanctuaire du Saint-Sacrement, Montréal

« Père, qu’ils soient tous un »

« Avant même de te former dans le sein de ta mère,
je te connaissais ;
je fais de toi un prophète pour les peuples.
Lève-toi !
Tu prononceras contre eux tout ce que je t’ordonnerai » (Jn 1, 4-5).

Voilà en quelques versets le dévoilement
de ce que Dieu aime tant accomplir dans l’histoire :
déposer sa Parole dans le cœur de ses enfants.
Dieu Se plaît, Se complaît
à nous parler les uns à travers les autres.

Son désir est éternellement
que sa Parole se fasse chair en nous,
au milieu de nous, pour nous.
Les prophètes du Premier Testament
nous montrent cela
et ils annoncent déjà par leur parole et par leur vie
la réalité bouleversante de l’Incarnation :
« Et le Verbe S’est fait chair
et Il a habité parmi nous » (Jn 1, 18).
« En ces jours qui sont les derniers
Dieu nous a parlé par un Fils » (Hé 1, 1).

Par un Homme, que nous voyons aujourd’hui
dans la synagogue de Nazareth,
Dieu nous parle,
car cet Homme est en personne le Verbe de Dieu,
la Parole vivante,
le resplendissement de sa Gloire (Hé 1, 3).

Dieu nous parle par Celui qui est notre frère, frère en humanité,
en tout semblable à nous à l’exception du péché (Hé 4, 15).

*

Mais, aimons-nous que Dieu
nous parle à travers un frère ?
Aimons-nous entendre la Parole de Dieu
à travers les lèvres d’un homme
qui est bien l’un des nôtres ?

Tous dans la synagogue devinrent furieux.
Ils se levèrent et poussèrent Jésus hors de la ville
pour le précipiter du haut d’une falaise (Lc 4, 29).

À la Parole de Dieu
qui jaillit par les lèvres du frère,
répond notre colère.
La peur du premier Adam
qui se cachait quand il entendait
les pas du Dieu qui lui parlait,
a dégénéré en colère.
Colère contre Jésus,
colère contre tous ceux qui parlent en son Nom :
Jetant alors de grands cris
(le grand prêtre et le sanhédrin entendant Étienne
se bouchèrent les oreilles,
le poussèrent hors de la ville
et se mirent à le lapider (Ac 7, 57-58).

La colère frémit : « Médecin, guéris-toi toi-même » (Lc 4, 23).
La colère jaillit : « Si tu es le roi des juifs,
sauve-toi toi-même » (Lc 23, 37).

Est-ce nouveau ce refus ?
Jésus nous annonce que non.
Regardez Élie.
Qui a accueilli le prophète ?
Qui l’a écouté ?
Qui a pu bénéficier des miracles qu’il accomplissait ?
Une veuve en Israël ? Non !
Une veuve païenne et, qui plus est,
à Sarepta, dans le pays honni de Sidon !

Qui a fait confiance à la parole du prophète Élisée ?
Un lépreux d’Israël ? Non !
Un général païen, Naaman, de Syrie !

Le refus d’entendre Dieu
nous parler à travers un frère, traverse l’histoire.
Il traverse notre cœur
et nous avons cloué en croix le Verbe de Dieu.

Mais le Verbe que nous avons voulu faire taire
est ressuscité Parole de Miséricorde et de Vie
pour tous les temps, pour tous les humains !
Passant au milieu d’eux, Jésus alla son chemin, (cf. Lc 4, 30)
son chemin de Croix
qui est notre salut, notre vie,
notre pardon, notre réconciliation.

À notre refus de l’entendre,
il a répondu par le silence aimant de la Croix
et par l’annonce et le don de la Paix en sa résurrection.
Et de cette Parole d’Amour
plus forte que toute mort
est née l’Église, Corps du Christ.

*

L’Église qui est un peuple de prophètes
car le baptême nous fait tous prophètes,
il nous fait tous porte-parole de Dieu
puisqu’il nous unit à Jésus,
le Verbe de Dieu fait Homme.
Les saints ont vécu cela de manière bouleversante,
ils ont été vraiment une Parole de Dieu
adressée à leur temps.
Mais au prix, nous le savons,
de quelles souffrances,
de quelles persécutions !

« Heureux êtes-vous quand on vous insultera,
quand on vous persécutera (…) à cause de moi.
Soyez dans la joie et l’allégresse
car votre récompense sera grande dans les Cieux.
C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes,
vos devanciers » (Mt 5, 11-12).

Dans la mesure où ils vivent du don de l’Esprit Saint,
tous les baptisés sont prophètes,
prophètes de l’Amour,
annonçant la vérité de l’Amour
par leur vie convertie.
À chacun, la manifestation de l’Esprit
est donnée en vue du bien commun (1 Co 12, 7).

Quelle richesse, quel enrichissement
si désormais graciés par la Croix,
nous savons écouter Dieu
qui nous parle les uns à travers les autres !

Nous ne savons que trop
que le refus de cette écoute
a blessé et blesse le Corps
qui est l’Église depuis 2000 ans.
Mais le retour à l’écoute guérit les blessures !
Quelle grâce quand nous reconnaissons
et accueillons les dons que l’Esprit Saint
dépose dans le cœur de nos frères chrétiens
et en particulier de nos frères
d’autres confessions chrétiennes.

Être catholique est un don de grâce merveilleux
qui nous appelle à la catholicité,
c’est-à-dire à l’universalité de l’amour
qui se fait accueil de tous, respect de tous.
Nous ne sommes pas au-dessus de tous,
mais nous sommes comblés
d’une grâce de vérité et d’unité
qui nous met au service de tous, à l’écoute de tous.

« Il est nécessaire que les catholiques
reconnaissent avec joie
et apprécient les valeurs réellement chrétiennes
qui proviennent du patrimoine commun
et qui se trouvent chez nos frères séparés.
Il est juste et salutaire
de reconnaître les richesses du Christ
et les effets de sa puissance
dans la vie d’autres
qui portent témoignage au Christ
jusqu’à l’effusion de sang ;
car Dieu est toujours admirable
et Il doit être admiré dans ses œuvres. »1

À la suite du Concile,
Jean-Paul II parlera d’un « potentiel œcuménique
extraordinairement riche en grâce »
qui est « le témoignage commun de sainteté »
dans « la fidélité à l’unique Seigneur ». (Ut unum sint, n° 8)

Quelle lumière et quelle grâce
de savoir reconnaître la présence de Dieu
et l’œuvre de Dieu dans la vie des frères.
Et nous pouvons nous aider mutuellement
à reconnaître les dons qui sont en nous.

C’est ainsi que l’ancien Archevêque de Strasbourg
racontait qu’étant allé rendre visite
au grand théologien protestant Karl Barth,
ce dernier l’avait interrogé :
« Selon vous, quel est le grand fruit
du Concile Vatican II
et du renouveau liturgique qui a suivi ? »
Et le vieil évêque de commencer par une boutade :
« Ce n’est peut-être pas
d’avoir introduit la mention de Saint Joseph
dans le Canon romain ! »
Karl Barth, surpris de cette réponse,
affirma qu’au contraire
cela avait une réelle importance
et il conduisit l’évêque catholique dans sa chambre
pour lui montrer un grand tableau
où l’on voyait Saint Joseph
à genoux au pied de Marie et de l’Enfant Jésus
en train de préparer le repas.
Et de dire : « Voilà ce qu’est l’Église :
Servante à l’image de Saint Joseph ! »

Voilà comment nous pouvons
nous enrichir mutuellement
pour devenir une unité vivante.
Plus nous nous enracinons dans le Christ,
plus nous reconnaissons le don merveilleux
qu’Il nous ait fait d’être catholiques, et, dès lors,
fortifiés dans l’Amour et la Vérité,
nous aimons, nous accueillons
toutes les richesses de vérité et de sanctification
de nos frères orthodoxes, protestants et anglicans.

Le dialogue est impossible
si nous ne savons pas reconnaître nos propres dons.
Il est fructueux, il devient un dialogue d’amour
quand nous savons bénir le Seigneur
pour les dons qu’Il nous a faits
et pour les dons faits à nos frères.
C’est pour cela que Jean-Paul II affirmait
que le dialogue œcuménique
« ne se limite pas à un échange d’idées :
En quelque manière,
il est toujours un échange de dons ». (Ut unum sint, n° 28)

Il s’agit donc de nous convertir
à cet enrichissement mutuel :
« C’est à partir du renouveau de l’esprit,
du renoncement à soi-même
et de la libre effusion de la charité
que naissent et murissent les désirs de l’unité.
Par conséquent, il nous faut implorer l’Esprit divin
pour Lui demander la grâce d’une sincère abnégation,
celle de l’humilité et de la bienveillance dans le service,
celle d’une générosité fraternelle envers les autres. » (UR, n° 7)

Nous pressentons aussi la nécessité,
l’urgence de prier pour que soit libéré
l’échange de dons entre nous ;
de prier pour que le même échange de dons
qui est au cœur de la Trinité, s’instaure entre nous.

Nous convertir, prier et… nous offrir :
oui, aujourd’hui, nous pouvons chacun, chacune,
en cette Eucharistie, nous offrir au Père avec Jésus
pour que tous soient un (Jn 17, 23)
comme le Père et le Fils sont Un.

Père, je m’offre à Toi
en ton Fils Jésus.
Je m’unis à l’offrande de Jésus
pour servir par ma vie
ton dessein d’amour et d’unité.

Je Te bénis et je Te rends grâce
de m’avoir donné à ton Église catholique
en laquelle Tu veux faire fleurir et porter fruits
à la grâce de mon baptême.
Je Te bénis et Te rends grâce
pour tous les dons
dont Tu l’as ornée
pour le service et la joie de toute l’humanité.

Mon cœur bat dans le cœur de ton Église
et, en elle, avec elle,
je Te bénis et Te loue
pour ce que Tu nous dis
à travers la vie de nos frères et sœurs
de toutes les autres confessions chrétiennes
qui enrichit tant notre foi et notre amour.
Que ton Esprit Saint guide et fortifie
nos chemins d’unité
pour que se reflète dans le peuple des baptisés
la beauté incomparable de ton unité trinitaire,
pour que le monde croit,
et pour ta joie !

Amen.

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1. Vatican II. Unitatis Redintegratio, n° 4